Prince Thierry

Prince Thierry

Nationalité : Française

« Prince Thierry », histoire d’un précurseur valentinois et d’un agitateur culturel au service du reggae.

De la générosité à profusion, une verve à toutes épreuves, une soif d’égalité et de justice, un soupçon d’exotisme, tel est « Prince Thierry », activiste des nuits valentinoises et amoureux de musique reggae depuis plus de trente ans. Pour ce passionné, le reggae, bien plus qu’un loisir, s’apparente à un mode de vie, une véritable quête identitaire. En ce sens, le parcours de vie de Thierry résonne comme un écho au développement de la musique jamaïquaine dans la région valentinoise.
A l’instar de nombreux jeunes français des « seventies », Thierry  n’a que quinze ans lorsqu’il est instantanément touché par cette expression musicale innovante et populaire. C’est une révélation, une seconde naissance pour ainsi dire, avec la découverte des rythmes jamaïcains venus de si loin, de leur message contestataire et d’une singulière culture, popularisés par l’icône Bob Marley. Mais au-delà du personnage et de son charisme, le parcours de vie de Thierry c’est surtout une succession de rencontres avec un tas d’histoires : Histoire des radios associatives valentinoises, histoire de la musique reggae, histoire d’un courant culturel atypique. Comme l’affirme avec véhémence le journaliste et musicologue Bertrand Lavaine, le développement du reggae en France est en effet étroitement lié à un contexte.



Thierry et le reggae : Histoire d’une rencontre

Tout commence à Valence durant l’été 1977. Le jeune Thierry, au hasard d’une émission radio, est saisi par un titre de Pierre Bachelet, « Baby bye bye ». Ce premier contact avec le rythme reggae éveille en lui toute une série d’émotions intenses et délicieuses. Le frisson de la découverte est aussi soudain qu’inattendu. Le jeune homme est captivé et immédiatement se passionne pour ce courant musical  qui fait alors ces premiers pas dans les grands médias français. Ce qui l’interpelle de prime abord c’est « le coté lancinant, incantatoire, presque hypnotique cette musique » dont « le tempo de la guitare basse et de la batterie semble calqué sur le battement d’un cœur ». En France, c’est le temps des grands précurseurs avec les premiers concerts d’artistes jamaïcains (Jimmy Cliff, Bob Marley, Peter Tosh…), avec l’arrivée des premiers disques vinyles importés de Londres, avec les pionniers français du genre emmenés par Serge Gainsbourg et Bernard Lavilliers. Pour Thierry, il s’agit de « l’époque la plus riche du reggae », caractérisée par « des recherches vocales, l’harmonie rythmique et des musiciens hors pairs ». C’est la grande époque de « Studio One », de « Trojan », des innovations sonores de King Tubby… Un brin de nostalgie peut être, mais une passion jamais démentie pour ces brillants ancêtres, ces quasi-prophètes d’une musique qui déferle alors sur la planète entière : « Très vite je me suis passionné pour cette musique ; on est à la fin des années 70, pleines de créativité musicale et si riche en productions ».
Aujourd’hui Thierry conserve précieusement plus de quatre mille disques reggae, une collection riche et diversifiée, témoignage du chemin parcouru en France par ce genre musical, témoignage aussi d’une inévitable évolution personnelle. Si « la sonorité jamaïcaine et le rythme restent (sa) priorité », Thierry met désormais en avant « le message et les valeurs transmises » par ses artistes de prédilection comme Bim Shearman, Sugar Minott, Aswad… et l’inévitable Bob Marley. Ce qui est en effet au cœur du reggae, c’est un ensemble « de revendications et de révoltes auquel chacun peut s’identifier ». Nourri depuis son adolescence par cette pensée contestatrice et subversive, Thierry est un véritable révolté qui se singularise par un état d’esprit pour le moins non conformiste.  En référence à la philosophie de Bob Marley, mais une philosophie épurée de ses concepts mystiques et spirituels, Thierry prône naturellement « l’amour, la paix, la justice et la liberté ». Utopiste assumé, il cultive sa vision idéaliste du monde, dénonçant les injustices sociales et « l’esclavage mentale », une « révolution positive » pour ainsi dire.  Plus qu’une musique, c’est bien une culture qui a envahis sa vie, influé sur sa destinée et façonné tout son être.  C’est là, précisément, qu’un cheminement singulier et que l’intimité d’une existence se télescopent, presque par hasard, avec l’histoire d’un genre musicale et son adjuvant culturel. L’auteur compositeur et écrivain Bruno Blum qui, de façon magistrale, définit le reggae, illustre ainsi sur bien des points la vision du monde de « Prince Thierry » : « Le reggae jamaïcain chante l’amour et la vie de chacun, il ne rapporte que des expériences personnelles et une philosophie afro-biblique de la rue. Il est toujours au premier degré, jamais superficiel, snob ou surfait. Il est direct, sincère, entier. Il est authentique, vrai. Il exprime des intuitions, des sensations, des sentiments et des attitudes, comme la défiance. Sous ses différentes formes, le reggae reflète la réalité du vécu, et en substance, la foi. Il est d’abord un combat contre le laisser-aller er le désespoir ». Prenant à la lettre ces maximes, Thierry prêche sans relâche le partage, la convivialité et l’ouverture. Il se positionne comme un fabuleux agitateur culturel au singulier dessein : « faire connaître et découvrir le reggae à travers différents styles et différentes époques ».



« Prince Thierry », un agitateur culturel

Afin de promouvoir sa passion dans le bassin valentinois, Thierry bénéficie du contexte médiatique favorable du début des années 1980. En effet, le 9 novembre 1981, le nouveau président socialiste François Mitterrand, respectant une promesse de sa campagne électorale, libéralise les ondes radios, mettant fin au monopole d’Etat établis par l’ordonnance de mars 1945. Les « radios libres », plus au fait des innovations musicales, deviennent un média fondamental dans la diffusion du reggae.
Bien évidemment, Thierry saisit l’opportunité et, adoptant le pseudonyme de « Prince Thierry », s’engage sur-le-champ dans une carrière d’animateur – Disc Jockey sur les ondes locales. Son parcours culturel depuis ce jour rend compte à bien des égards de l’épopée des radios libres et associatives valentinoises.  Les débuts sont précaires, incertains, mais l’enthousiasme et le cœur ne manquent pas, d’autant plus qu’il suffit de deux platines-disques, d’une table de mixage et d’un modeste réduit pour se lancer. L’aventure commence en 1982, en compagnie d’un ami, Farid (plus connu sous le pseudo de « King Far I »), sur les ondes de Radio Méduse, nichée dans un petit appartement du quartier de Fontbarlette à Valence. Ce duo de pionniers, « Prince Thierry » - « King Far I », profitent de l’antenne pour diffuser le nouveau son jamaïcain qui déferle alors sur la France. En constant renouvellement, les deux activistes animent ensuite plusieurs émissions consacrées au reggae sur d’autres radios valentinoises, Valence FM, Radio Méga et Radio Feeling, perchée au troisième étage sous les toits d’un immeuble de la Côte des Chapeliers. A partir de 1985 « Prince Thierry » évolue en solo, expérimentant l’univers du mixage, trente minutes hebdomadaires, dans l’émission Babylon Burning  de Franck et Nadi sur Radio Méga. C’est sur cette radio historique (née en novembre 1981) du paysage médiatique valentinois, que « Prince Thierry » va durablement s’implanter, promouvoir sa passion et développer son style si particulier.
En mars 1988, il lance son émission  Dance Hall Style, toujours sur les ondes du 99.2 Mhz, le lundi de 21 à 23 heures avec des rediffusions le mardi à 16 heures et le samedi minuit. Ce rendez-vous incontournable pour les amateurs reggae de la région, propose chaque semaine un voyage musical en deux temps, d’abord une heure de nouveautés, puis une sélection des artistes et des titres mythiques de Jamaïque et d’ailleurs. Plus de 20 ans d’antenne et plus de 1000 émissions ont fait de « Prince Thierry », un véritable « Talk over », un virtuose du micro au style si particulier, un mélange de convivialité, d’humour et de « tchatche » sur le modèle du « Massilia Sound System ». Au service d’une culture musicale, à l’instar des Disc Jockey jamaïcains, « Prince Thierry » se transforme régulièrement en animateur de soirées, enchaînant les titres, gérant le mixage, chauffant la salle. En contact direct avec le public reggae de la région, ces soirées festives, agrémentées d’artistes invités, ont établis la réputation de petites scènes et de cafés-concerts valentinois : « Le Caliente » (entre la faculté de droit et l’Hôtel des impôts), « L’Accoudoir » (côte des chapeliers), l’inévitable « Mistral Palace » (rue Pasteur) et, depuis 2010, le « Webster » (333 avenue Victor Hugo)… Qu’elles sont loin les premières fêtes, les premières soirées reggae des années 1980, en compagnie de « King Far I », dans les sous-sols de la M.J.C du « quartier du Plan »… Au « Webster Café », c’est désormais en quasi-professionnel que « Prince Thierry » officie, ne laissant rien au hasard, surchauffant la salle dans un style incantatoire mi-chanté, mi-parlé, mixant et remixant avec talent jusqu’au bout de la nuit. Certains soirs, un peu particuliers, la magie s’accomplit, une délicieuse effervescence traverse le public, une intense communion s’opère avec le Disc Jockey et les artistes invités par ses soins. Le « Webster » a ainsi accueilli la 1000éme émissions de « Prince Thierry », retransmise intégralement sur Radio Méga ; les 30 ans de cette même radio ont également donné lieu à une inoubliable soirée reggae (le 28 octobre 2011), toujours au Webster et toujours en direct, avec la participation exceptionnel de Papet J. du « Massilia Sound System »… Dans ses « Reggae Party », Thierry s’attache aussi à promouvoir la scène locale en s’entourant  d’artistes drômois ou rhônalpins, tels le virtuose Don Matino, Will Faya, Square Roots, The Soul Sonics….



Dans la vie de « Prince Thierry », le reggae occupe donc, depuis plus de trente ans, une place de choix, entre rêve et réalité.  Ce passionné, véritable « passeur culturel », a mis tout son cœur et une bonne partie de son temps pour partager et faire découvrir « sa » musique. « Le plaisir de participer à cette aventure, de préparer le terrain pour voir le reggae grandir était presque en soi une récompense » ; en ce sens, « Prince Thierry », selon les termes du journaliste Bertrand Lavaine, apparaît bel et bien comme un des pionniers du reggae. Alors, souhaitons-lui encore une longue et fructueuse continuation…lançons-lui un énorme « Big Up ! ».

David Vinson
Docteur en Histoire et civilisations de l’Université Paul Valéry – Montpellier

Bibliographie
Blum Bruno: Bob Marley, le Reggae et les Rastas, Hors Collection, 2010.
Boot A., Salewics C. : Reggae explosion , Paris, Le Seuil, 2001.
Bradley L. : Bass Culture – Quand le reggae était roi, Allia, 2005.
 Colomé Anne-Marie Sophie : L’épopée du Rastafarisme, Paris, L’Harmattan, 2010.
Constant Denis: Aux sources du Reggae – Musique, société et politique en Jamaïque, Marseille, Edition Parenthèses, 1982.
Douglas R.A. Mack : De Babylone à Rastafari, Jahnhoy Editions, 2010.
Lavaine Bertrand : Le reggae comme contre-pouvoir, Marseille, Mémoire d’IEP, 1995.
Lee Hélène : Le premier Rasta, Paris, Flammarion, 1999.
Miséma J.-C.: La mystique rastafari de Bob Marley, Editions Degor, 2010.
Musso Joseph, Les pionniers
 Bertrand Lavaine dans, Joseph Musso, Les pionniers du reggae en France, Edition Laboutiquedesartistes, septembre 2010, page 10.
 Pierre Bachelet : Baby bye bye (composition Pierre Bachelet et Mat Camison), Polydor-Sirocco, 1977.
 Entretien avec « Prince Thierry », 29 novembre 2011.
 Joseph Musso, Les pionniers du reggae en France, Edition Laboutiquedesartistes, septembre 2010.
 Entretien avec « Prince Thierry », 29 novembre 2011.
 Prince Thierry, page Facebook, « informations générales », décembre 2011.
 Joseph Musso, op.cit., page 39
 Entretien avec « Prince Thierry », 29 novembre 2011.
 Bruno Blum, op.cit., page 16.
 Entretien avec « Prince Thierry », 29 novembre 2011.
 Entretien avec « Prince Thierry », 29 novembre 2011 ; Prince Thierry, page Facebook, « informations générales », décembre 2011.
 Site internet de Radio Méga : www.radio-mega.com
 Bertrand Lavaine dans, Joseph Musso, page 11.

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