Reggae French Touch

Reggae French Touch

Pour ceux qui ne liront pas l'article jusqu'au bout, il traite des artistes FRANCAIS qui chantent en ANGLAIS ;)

Le Reggae est une musique universelle qui s’adapte à tous les peuples : de la Nouvelle-Zelande à l’Indonésie, du Pérou au Canada, de la Suède au Portugal, la plupart des pays du monde ont adopté le skank et les lignes de basses massives. Des amateurs du monde entier marchent encore dans les pas musicaux des Dennis Brown, Ijahman Levy, Burning Spear & consorts… en reprenant les standards de la musique jamaïcaine ou en interprétant leurs propres morceaux. Dans la majorité des cas, c’est en anglais (dans sa déclinaison jamaïcaine bien sûr) que le reggae se chante pour de nombreuses raisons aisément compréhensibles : cette musique est née en anglais, ses fondations et ses plus grands hits ont été écrits dans la langue de Shakespeare, et il n’existe pas de langue qui soit plus aisément modulable d’un point de vue mélodique.

Des pays comme l’Allemagne et l’Italie ont vu des artistes locaux devenir de véritables stars internationales, à l’instar de Gentleman et d’Alborosie. Ces derniers ont même réussi l’exploit d’installer certains de leurs morceaux au Panthéon des meilleurs morceaux des quinze dernières années (on pense notamment à l’incontournable album Journey to Jah de Gentleman et de ses hits : « Runaway », « Dem Gone », « Jah ina yuh life », « See dem coming »…).
Et la France dans tout ça ? Le pays de Saint-Just et d’Aimé Cesaire ne fait jamais les choses comme tout le monde.
Second marché du reggae au niveau mondial derrière les USA, la France possède une scène locale dont le dynamisme n’a pas d’égal de par le monde. Les groupes et les artistes français se comptent par dizaines (centaines plus probablement…), mais comme souvent dans le pays de Voltaire, le rapport à la musique se couple d’une approche linguistique originale et créative. La langue de Molière n’est pas facile à maîtriser en matière de chant, mais le challenge n’inhibe pas les reggae men en herbe et depuis la fin des années 80, c’est bien en français que la plupart des artistes expriment leurs sentiments et racontent leurs histoires sur le fameux duo basse batterie caractéristique du reggae.
Autre particularité très importante, la France avec ses territoires d’Outre mer dispose d’une communauté fortement passionnée par le reggae, avec une histoire proche de la Jamaïque et une langue différente de l’anglais et du français : le créole. Il suffit de connaître la Jamaïque et d’avoir traîné dans les rues de Fort-de-France ou marché dans le zion guadeloupéen pour comprendre à quel point le reggae est une musique importante pour les Français d’Outre mer. Et il suffit d’écouter les morceaux locaux en provenance des Antilles pour se rendre compte que le créole permet une formidable alternative aux lyrics en anglais.
Ces raisons expliquent en partie pourquoi la France, un pays amoureux du reggae depuis si longtemps, n’a pas vu émerger au niveau international un artiste de la trempe de Gentleman ou d’Alborosie. Mais en musique comme en politique les choses ne sont jamais figées… Depuis six ou sept ans, la scène française a vu émerger une nouvelle génération d’artistes qui ne s’expriment qu’en anglais et qui s’ouvrent ainsi les portes de carrière internationale.
Ces derniers temps, tout le monde a entendu parler de Biga Ranx évidemment, un artiste que reggae.fr suit depuis ses débuts et qui, il y a deux mois était l’invité du Petit Journal de Canal +, ou de Naâman qui réussit à apparaître dans Libération et Télérama en l’espace d’un mois. Ces deux artistes émergent comme les deux locomotives d’une nouvelle génération d’artistes prêts à propulser leurs lyrics aux quatre coins du monde. Porteurs d’une Reggae French Touch, nous vous proposons de plonger découvrir ces artistes prometteurs….

L'explosion de certains chanteurs

On ne peut aborder ce sujet d'une Reggae French Touch sans évoquer le succès fulgurant de Biga Ranx. Le jeune Tourangeau a longtemps œuvré dans l'underground avant de percer grâce à ses deux premiers albums, plutôt expérimentaux, très variés et surtout très bien produits. Flirtant avec la bass music, le hip hop et le dancehall, Biga a créé son propre style sans jamais s'arrêter de travailler avec des pointures du reggae digital européen comme Maffi ou Mungo's Hi Fi. Il faut dire que son physique de jeune premier (il ne nous en voudra pas pour ce point de vue ma foi très subjectif) et sa voix de deejay yardie – patois jamaïcain parfaitement maîtrisé – ont de quoi attirer les curiosités et donc un public plus large. Les plus gros festivals européens le réclament et les médias généralistes s'intéressent donc à lui, mais pas seulement...
Le jeune Naâman marche sur ses traces. Le parallélisme est évident, même si musicalement, Naâman reste plus classique. Son créneau ? Du reggae aux basses puissantes soutenu par des beats hip-hop, un esprit festif et conscient, et une volonté sans faille. Parti cette année en Jamaïque pour enregistrer son premier album, le singjay impressionne rapidement au point d'être programmé sur les deux plus gros festivals de reggae en France (le Reggae Sun Ska et le Garance Reggae Festival) en l'espace d'un an seulement. En voilà un qui ira loin à n'en pas douter.
Peut-être aussi loin qu'un de ses autres prédécesseurs : l'énigmatique Pupajim. Actif dans un milieu plus underground, le chanteur a pourtant séduit Radio Nova qui diffuse régulièrement ses sons, et ses apparitions aboutissent systématiquement à des sold-out dans les salles où il se produit aux côtés de son inséparable crew breton Stand High Patrol. Inspiré des sonorités Waterhouse et des artistes ayant fait les grandes heures du reggae digital et du rub-a-dub (King Kong, Anthony Red Rose, Tenor Saw, Nitty Gritty...), Jim pose sa voix un tantinet aigue sur des instrus que Stand High qualifie de « dub-a-dub », restant ainsi proche des sonorités UK roots. Il s'autorise de temps en temps quelques collaborations avec d'autres riddim makers majeurs tels que Mungo's Hi Fi, Maffi (encore eux !) ou plus récemment le Français Step Art. 
Voilà trois artistes devenus incontournables dans le paysage musical français qui ouvrent la voix à tout un tas de MCs et chanteurs bourrés de talent et qui ont, comme eux, choisi l'anglais pour s'exprimer...

New Roots à la française

Le new roots a aussi son lot d'artistes français à l'aise avec l'anglais. On se souvient de Maxxo , un de nos chouchous, qui avait remporté le Web Reggae Award du meilleur album français en 2007 dès son premier opus, « New World Design ». Rapidement comparé à Gentleman – à la fois pour son physique et pour sa musique – l'homme avait confirmé son talent avec un très bon deuxième album, au succès pourtant moins retentissant que le premier. Maxxo a cependant récemment choisi de faire une pause artistique, laissant ainsi la place à un jeune artiste qui l'accompagnait régulièrement sur scène : Patko.
Originaire du Suriname en Amérique du Sud mais basé à Grenoble depuis de nombreuses années, Patko allie les racines du reggae à la force de frappe du hip-hop. Très orienté new roots, il s'exprime principalement en patois jamaïcain mais s'autorise quelques écarts dans sa langue natale. Pendant longtemps travailleur dans l'ombre – Patko a composé des riddims pour Turbulence, Takana Zion, Straika D, Lyricson et bien sûr Maxxo – il se révèle enfin cette année avec un album d'une belle qualité pour un premier effort. « Just Take It Easy » s'impose comme un des opus révélation de l'année.
Ilements et Bazil sont de ceux-là aussi. Le premier est venu de l'île de St Martin pour s'installer en métropole et tout fracasser en s'associant avec Irie Ites. Plutôt habitué à poser sur des recuts de vieux riddims en mode hip-hop, Ilements nous avait éblouis par ses excellentes prestations sur le « Party Time Riddim » ou le « Strange Things Hip Hop ». Son premier EP, « Skin A Burn » reste dans la même veine et est d'une efficacité redoutable. Tout comme le son de Bazil, dont la collaboration avec le producteur français installé en Jamaïque, Sherkhan, a abouti à quelques belles tunes gravées sur un premier album prometteur, « Stand Up Strong ». Là encore, le jeune français maîtrise le patois jamaïcain à la perfection. Il n'y a qu'à le regarder se faire interviewer et toaster sur le plateau de Smile Jamaica, une des émissions phares de la télévision yardie, pour s'en persuader.
Impossible dans cette partie de ne pas citer aussi le talentueux Charly B que l'on apprécie particulièrement chez Reggae.fr. Avec une voix à la Alborosie et un patois jamaïcain plus vrai que nature, Charly B a su s'imposer comme une valeur montante du reggae européen avec son hit « Forever » et son album du même nom, sorti en 2012. Ecoutez sa version du Génération H riddim pour vous en convaincre si le besoin s'en faisait encore sentir.

Mais est-ce un phénomène vraiment nouveau ?

Si l'on constate que de plus en de plus de frenchies s'essayent avec succès à l'anglais, rappelons que Sinsemilia proposait, avec "Première Récolte", des morceaux essentiellement en anglais. Il y a par ailleurs lieu de citer les vétérans du style, ceux qui ont ouvert les portes à toute cette nouvelle génération. Le phénomène ne date en effet pas d'hier ; déjà dans les années 80 et 90, une poignée de deejays squattait les sound systems et toastait en anglais et en jamaïcain.
Le plus célèbre d'entre eux est sans doute Daddy Nuttea. A l'époque des sound systems High Fight et Stand Tall, il n'était pas rare de l'entendre chanter en patois comme un véritable deejay yardie. Pour preuve : son premier album en 1993, « Paris Kingston Paris ». Enregistré sur l'île du reggae avec les producteurs Steely & Clevie, l'album est un vrai concentré de dancehall original. Entre rub-a-dub et vibes digitales, Nuttea alterne chant et deejay, tantôt en français, tantôt en anglais, s'inspirant parfois des sonorités Waterhouse.
Le style Waterhouse et ses intonations orientales à la Black Uhuru étaient d'ailleurs l'apanage de Don Camilo, sélecteur que l'on pouvait parfois apercevoir au micro et toujours actif d'ailleurs (il vient de sortir un maxi chez Jamafra), mais surtout de Colonel Maxwell, un autre vétéran des sound systems franciliens. Capable d'imiter Tenor Saw ou King Kong avec une aisance hors du commun, il collabora notamment avec Saï Saï, Earthquake, Early Days ou encore Youthman. Des noms qui parlent aux spécialistes des sounds de l'époque. Toujours actif aujourd'hui, Colonel Maxwell se déplace régulièrement avec son fils Junior Roy, une nouvelle étoile frenchie capable d'écraser un riddim en patois jamaïcain, à la manière d'un Yami Bolo ou d'un Beenie Man quand ils n'étaient âgés que d'une douzaine d'années.

En manque d'artistes féminines !

Elles ne sont pas nombreuses, comme vous vous en doutez (et reggae.fr le déplore souvent); depuis longtemps le reggae se conjugue principalement au masculin. On en recense tout de même quelques-unes qui tirent leur épingle du jeu quand il s'agit de manier la langue d'outre-manche. Parmi elles, Marina P, qui a su séduire les Écossais de Mungo's Hi Fi et auteure du big tune « Divorce A L'Italienne » sur le « Belly Ska Riddim ». Plutôt orientée reggae digital, on la voit régulièrement prendre le micro dans les sound systems les plus huppés d'Europe. Marina se positionne sans aucun doute comme la représentante N°1 des artistes anglophones en France.
Talonnée de près par la belle et mystique Mo Kalamity qui choisit l'anglais sur quelques titres. Sa voix chaude et envoûtante sied parfaitement aux sonorités english, comme on peut s'en rendre compte sur l'album « Deeper Revolution » et son prochain opus « Freedom of the Soul » à sortir en octobre. Tantôt français, tantôt anglais, c'est aussi le créneau du groupe bordelais Alam, emmené par une chanteuse à la voix cristalline cette fois. Les deux artistes se rejoignent plus sur leurs textes, très conscients et parfois personnels. Deux talents qu'on aimerait voir plus souvent sur le devant de la scène et qui, on l'espère, engendreront l'arrivée de petites sœurs...

Des groupes roots en nombre

Bien que la plupart des artistes cités plus haut s'apparentent à des styles de musique plutôt modernes, on constate aussi une montée des groupes français roots qui s'attachent à reproduire la musique jamaïcaine des années 70. On note parmi eux Obidaya, aux harmonies vocales proches des Abyssinians, des Mighty Diamonds ou encore d'Israel Vibration. Particulièrement lié aux thèmes rastas, le groupe livre un reggae spirituel dans un anglais parfaitement accessible.
Spiritualité est  aussi l'un des premiers mots qui nous vient à l'esprit pour qualifier la musique de Rod Anton & The Ligerians. Originaire de Tours (décidément un vivier d'artistes reggae aux accents anglais) le groupe s'est révélé en 2012 avec l'album « Reasonin' », une véritable perle qui accueille notamment des featurings avec les Congos, Max Romeo et même Midnite (chose assez rare pour être signalée).



Tout aussi roots et tout aussi efficace : The Banyans. Le band toulousain a tourné pendant des années aux quatre coins de la France et de l'Europe avant de confirmer son talent avec l'album « Steppin' Forward », début 2013, complétant ainsi le tableau des découvertes roots françaises.
Le roots conjugué à l'anglaise est également à l'honneur sur le label Ka Records, qui va jusqu'à utiliser des anciennes techniques de création pour reconstituer l'ambiance des studios jamaïcains d'antan. Leurs enregistrements en live et en analogique nous ont permis d'apprécier des artistes lyonnais comme The Mighty Lions, Joe Pilgrim, Likkle Johnson, Christophe Rigaud, Woody Allan et The Maât Disciples.



Et ce n'est pas fini ! Le roots chanté en anglais semble paradoxalement devenir une vraie spécialité française. Ils sont des dizaines d'autres groupes à avoir attiré notre attention ces dernières années, à l'image de Soul Sindikate & Dub Trooper – vainqueurs du web reggae award du meilleur album dub en 2011 – et Sundyata – vainqueurs français de l'European Reggae Contest en 2012 – mais aussi City Kay, Wailing Trees, Jayadeva, Mayasay, Spirit Revolution, Jah Legacy, Sanjy'la, Mawyd, Natural Mighty, Monkey Tree, Païaka, La Granja Orchestra, ou Bambool…. les absents nous excuseront, ils sont trop nombreux !

Et si l'on regarde plus loin vers l'avenir...

Tout ceci est plutôt réjouissant et nous réserve de belles surprises pour la suite. Mais qui sont les youths français adeptes de l'anglais à surveiller de près ? Reggae.fr vous livre ici une liste non exhaustive de ces artistes en devenir...
Côté rub-a-dub, digital et sound systems, la relève est d'ores et déjà assurée par Junior Roy, le fils de Colonel Maxwell dont on vous parlait plus haut, ou encore Fu-Steps. Mais on vous conseille aussi de vous intéresser à des gens comme Peter Youthman ou Ghostrider, deux deejays que l'on croise de plus en plus souvent aux côtés des plus grands selectors et MCs européens du moment. Le premier marche clairement sur les pas de Biga Ranx, en copiant les Jamaïcains avec une certaine virtuosité, quand le second commence déjà flirter avec le hip-hop ou le new roots (on peut notamment l'apercevoir sur scène avec No More Babylon).
Justement, côté hip-hop et new roots, Jr Yellam et Mardjenal commencent sérieusement à tirer leur épingle du jeu. Yellam, aux origines américaines, a déjà séduit les Manceaux d'Irie Ites et vient de sortir un premier album prometteur intitulé « Turn Up The Sound ». Quant à Mardjenal, il fait son petit bonhomme de chemin du côté de la Haute-Savoie et collabore déjà avec Fatbabs, l'homme responsable d'une grande partie des riddims dévastateurs d'un certain Naâman.



On vous souhaite également de découvrir rapidement des artistes comme Rojah B, Duke Salomon, Guive, Kassah, Lexon, Tony Nephtali, Auba, Pablo Anthony, Maty Soul, Jahmaï, Djanta, Vanupié ou encore la nouvelle sensation reggae/soul The Soul Sonics et l'ancien chanteur de Rastamytho, Kateb, qui s'en sort plutôt très très bien lorsqu’il s'agit de toaster en jamaïcain (lui aussi a tout cartonné avec sa version du Génération H riddim). Bref, cette Reggae French Touch a encore de beaux jours devant elle, pas de doute là-dessus !

Biographie par Djul, Sacha Grondeau et la rédaction
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