Depuis 2010, il est parmi les poids lourds qui portent fièrement les couleurs des Antilles sur la scène reggae-dancehall, et c’est mérité. Une grande partie du public qu’il a su séduire et conquérir en un temps record le connaît depuis 3 ans, mais il y a déjà 10 ans que Kalash a commencé le maniement des armes, lui qui a tiré ses premières cartouches dans le milieu underground dès 2003. Ceux qui le connaissent depuis ses débuts se rappellent forcément du refrain accrocheur « Babylone, an ba fèy, ka fouté bordel !» extrait de « Babylone execute », premier succès du deejay originaire de Martinique.
En dépit du fait qu’en 2010 la planète dancehall tourne autour de l’astre Gaza, Kalash parvient à se démarquer avec une voix, un flow et un charisme peu communs. Tout commence avec « Pran pié », devenu en quelques mois premier clip d’un artiste antillais à dépasser le million de vues. Ce qui a fait l’effervescence autour de ce hit est surtout l’empreinte typiquement antillaise amenée par Kalash et Lieutenant qui chantent en créole sur un riddim aux sonorités purement locales. Le succès et la qualité de son premier album lui valent d’être récompensé à l’échelle caribéenne et plus rien ne l’arrêtera dans sa conquête, pas même les polémiques. Après avoir fait voyager sa musique un peu partout avec les succès de «Karibbean World», «Je contrôle ma vie», ou encore «Top a top», Kalash nous a présenté en juin 2013 son second opus : « 2 #Classic ».
Un album stratégique avec des objectifs précis
Trois ans après le premier, ce deuxième album surprend par sa touche marketing et artistique plus abouties, de quoi confirmer qu’il est effectivement «Trop Iwen». Par le biais de nombreux titres aussi différents que ses humeurs et réunissant quelques rares mais efficaces combinaisons, l’intention n'est pas de se limiter à faire danser la foule. Il fallait viser plus haut. Les hits qui l’ont certes fait connaître auprès d’un large public sont loin de donner une idée précise de son univers, lui qui a déjà surpris en chantant en acoustique sur «Je contrôle ma vie». C’est pourquoi cet album compte très peu de sons club, Kalash ayant misé sur la durée plutôt que l’éphémère, le mot « classic » prenant tout son sens.
« Egotrip, hustling, hardworking »
Il y a le game, les coulisses, et le retour à la réalité une fois les caméras éteintes. Kévin en est bien conscient alors il veille à garder à travers sa musique les mêmes directives qu’il suit dans la vie. «2 #Classic » contient plusieurs tunes à travers lesquelles l'artiste tire sur tous ceux qui ont tenté de lui nuire de près ou de loin. Le deejay règle ses comptes dans « Pon kombin », et en profite pour énumérer les coups bas de ses détracteurs à qui il reproche leur acharnement à cause de son succès :
« Yo ja vréyé moun ba mwen […]
Fè son assi mwen, pren buzz si mwen […]
Yo ka fè menas, palé dè fizi, dè couto […]
Mé fo sav kè yo volè mwen, arnaké mwen… »
Peu importe, Kalash sait ce qu’il a à faire alors il avance sans de laisser détourner de ses objectifs. Et comme il souhaite voir les jeunes de son archipel dans le même état d’esprit, il leur dédie le morceau « Victory » où travail, débrouillardise et espoir sont présentés comme les ingrédients d’un avenir meilleur.
Un album intime ponctué par diverses émotions et opinions
Le jeune martiniquais reste fidèle à ce qu’il pense et ce qu’il ressent, même s’il ne se revendique pas comme étant engagé. A 25 ans, Kévin est un homme heureux dans sa vie privée et le fait savoir en s’adressant notamment à celle avec qui il traverse les bons comme les mauvais passages de sa vie d’artiste. « U R My Everything » est une chanson personnelle dans laquelle Kalash chante avec émotion son amour et sa loyauté indéfectibles envers la femme qu’il présente comme incarnant son complément, son pilier, son « tout » :
« Gyal man doubout bô-w mèm si i ni pwoblèm
A nou dé nou pli fô ki an santèn,
Gyal épi-w man ka patagé tout’ pèn […]
Ou ka ban mwen zèl, ban mwen, ou vin’ ésensyel
An la vi mwen ou sé rékonfô,
Chak jou ou ka renn’ mwen pli fô. »
L’égotrip et l’amour sont deux vibes très présentes tout au long de cet opus, néanmoins elles sont compensées par quelques brèves prises de positions. « Independent Gyal » cible les jeunes femmes matérialistes qui se font entretenir alors qu’elles pourraient être plus indépendantes. Si Kalash sillonne le monde toute l’année, il n’oublie pas d’où il vient et tient à le rappeler. Son nom de scène a beau être la contraction d’une arme de guerre, cela ne l’empêche pas de condamner les violences qui sévissent aux Antilles. « Poudrière » est le mot choisi pour décrire les rues des deux îles sœurs où la vie se perd aussi vite qu’elle se transmet :
« Car certaines nuits c’est l’enfer, j’entends au loin les mamas cry,
On se croirait en pleine guerre, de tous les côtés ça mitraille […]
Pour une histoire de go, une histoire de kilos,
Ça finit au cimetière quand c’est pas au cachot […]
Il faut sonner l’alarme,
Ils agissent comme s’ils n’avaient ni mère ni femme. »
En somme, 2 #classic est un album avec de la qualité, du rythme et du contenu que l’on écoute avec attention. On en apprend plus la personnalité de l’artiste, en voyageant dans son univers. Kalash a su ne pas rester sur ses acquis en faisant l’effort de ne pas tirer avantage de son physique, comme il le fait remarquer dans «Pon kombin» :
« Mèci bondié man ni an bèl guèl, mé man ni talen dèyè sa, vwa mwen ni twop décibèl. » (Merci Seigneur j’ai une belle gueule, mais j’ai aussi du talent, ma voix fait grimper les décibels.)
On regrette néanmoins l’absence de prise de risques dans un style différent comme le rap, ou au côté d’un(e) artiste d’un tout autre horizon. L’album est également très électronique, ce qui ne rendra pas facile le fait de le défendre sur scène aux côtés d’un orchestre. Mais Kalash voulait avant tout confirmer au public qu’il compte perdurer parmi les têtes d’affiche du reggae-dancehall. Et c’est réussi.