Warped, la voix de la rue
chronique Reggae local 19

Warped, la voix de la rue

La Caraïbe est un carrefour et un pôle culturel indéniable, la Martinique et la Guadeloupe notamment sont des îles très prolixes en artistes. La scène reggae est toujours active et même si elle n’a plus la raisonnante des années 2000, une nouvelle génération d’artistes a pris peu à peu ses marques, offrant  une musique où le reggae se teinte de gwo ka, flirte avec le rap, la trap sans oublier le dancehall. Warped qui a sorti son premier opus La Voix de La Rue en décembre dernier est de cette catégorie d’artistes, à l’aise dans des styles variés.

Si Warped a nommé son album La Voix de la Rue c’est parce que ses textes reflètent le quotidien de son île, il se veut le porte-parole des sans voix, et cela depuis ses premières lyrics, qu’il a écrites à son plus jeune âge. Comme il le dit lui-même "J’ai toujours parlé de la vie de tous les jours, de ce qui m’entoure, de ce que je ressens..." Parfois dans la mélancolie (Rip Jaho), quelques fois abordant l’amour et ses déceptions (Elle me hante, On fwa, Ce regard), les textes de Warped traitent aussi de sujets sociaux (Nikole) avec des questionnements sur la place du père (Eritaj). La plume de Warped est poétique et engagée (An neg a l’Elyse).



Le choix d’une carrière dans la musique lui est apparu comme une évidence, sensibilisé à celle-ci par une famille de musiciens amateurs, un grand-père saxophoniste, un père joueur de tambour-ka (tanbouyé) et des cousins DJs. Même si La Voix de la Rue est son premier album, Warped n’est pas un nouveau venu sur la scène Guadeloupéenne. Il a accru sa popularité au fil des titres qu’il a proposés au public, construisant sa carrière avec patience et travail pour aboutir à la sortie de son opus : "Mon album s’est construit avec du temps...beaucoup de temps, de la patience, de l’amour pour ce que je fais ! Et j’ai également été bien accompagné tout au long de ce beau projet."

Si Warped est actif depuis de nombreuses années sur la scène musicale, c’est avec des titres telle que SMS Si Maman si ou O.C.A.N en feat avec Drexi qu’un plus large public l’a connu. Il s’agit de reprises, mais il a su se les approprier et leur donner sa propre couleur musicale : "Une reprise ce n’est pas forcément chanter le son original, il ne suffit pas de faire un copier-coller pour en faire un tube, ça devient beaucoup trop facile. Il faut ajouter sa touche personnelle pour pouvoir se l’approprier et toucher un maximum de personnes, pour SMS Si Maman si, c’est un morceau que j’ai beaucoup écouté plus jeune et qui m’a parlé, donc j’ai demandé à un beatmaker (Hanto) de sampler le refrain et de nous faire deux couplets."

C’est grâce à cette originalité mais aussi à son travail qu’il a pu développer une communauté qui le suit dans son évolution musicale, et même si maintenant ses clips cumulent un nombre de vues confortables, il aime le rappeler "Je ne suis pas devenu un artiste en 2015, ça a pris son temps mais petit à petit, de fil en aiguille, le bouche à oreille à fait son taff comme la plupart des artistes que j’ai écoutés dans ma jeunesse..."

Mister Franky, activiste musical depuis plus d’une vingtaine d’années, que l’on a connu à coté d’artistes tels que Krys, Admiral T, ou des plus récents Foxy Myller ou Datcha Dollar’Z s’est chargé des prods. Celles-ci sont tirées au cordeau, habillant parfaitement le chant mélancolique de Warped : "Il a travaillé sur toutes les prods de l’album. C’est un génie de la musique avec qui je m’entends très bien, il donne toujours envie de se surpasser sur ses compositions." A n’en pas douter, le dialogue est passé entre l’artiste et le producteur, la complémentarité de leur travail sur les compositions donne la cohérence à l’ensemble du projet.

"Ma musique n'est pas toujours joyeuse parce que je parle de la vie", c’est vrai qu’il y a de la mélancolie à l’écoute de La voix de la rue, mais ce n’est pas forcement ce qu’il cherche à provoquer chez son public : "Je fais la musique que j’aime entendre. Je parle de ce qui me concerne, de la vie de tous les jours. Si ça touche certains auditeurs, c’est que ce que j’écris, je le fais avec le cœur et l’envie de faire partager ce que je ressens".



Il y a de nombreux featurings sur l’album, avec des artistes variés tels que T Kimp Gee, Misié Sadik, Mel et François Ladrezeau, Didgis, Bilix, Warped a voulu avant tout s’entourer "de personnes et d’artistes que je respecte et que j’apprécie tous autant qu’ils sont".

On associe souvent le style musical de Warped au gwo ka surtout dans sa manière de chanter, il en est d’ailleurs très fier mais il évolue dans son propre style, se faisant fi des étiquettes : "Le fait qu’on assimile souvent mon style musical au Gwo Ka n’est pas forcément voulu mais c’est une fierté, je suis fier de représenter la culture guadeloupéenne. Mais en soit je n’ai pas forcément de style musical, Pour moi être un artiste, ce n’est pas s’enfermer dans un style particulier, il faut être capable de faire de tout !"

Cloisonner Warped dans un style précis ne serait pas rendre honneur à sa musique, car celle-ci se colore aussi de reggae, de dancehall et de rap et comme il le dit "Moi je fais de la musique avant tout".

Ce qui est sûr, c’est que sa musique a cette identité forte qui caractérise les peuples ultra marins. On irait jusqu’à penser que le nouveau médium de la négritude comme l’entendait Césaire, s’exprime à travers la poésie des chansons de la génération à laquelle appartient Warped, mais aussi T Kimp Gee… A travers leurs textes, se pose le récit du quotidien antillais, la fierté de l’héritage mixée à une réalité parfois violente, parfois discriminante.

Ces dernières années, la musique utra marine a acquis une plus large audience en métropole avec des artistes comme Kalash, Meryl, Titof, Jahyanaï King, et l’évolution des moyens de diffusion permet de toucher un plus large auditeur, cependant Warped pense que cela implique aussi qu'il y ait moins de chances pour un artiste d'être entendu. "ll y a beaucoup plus de facilité pour se faire entendre aujourd’hui, mais il y a aussi beaucoup plus de possibilités de passer inaperçu. Tout le monde veut devenir quelqu’un aujourd’hui, tout le monde veut être une star mais beaucoup oublient qu’à la base, tout part d’un don ou d’un talent et qu’au final, malgré tout ça, il n’y a que le travail qui paie."

A l’écoute de La Voix de la rue il est évident que Warped fera partie dans les prochaines années des artistes qui portent la culture antillaise au-delà de leur île.

Par Franck Blanquin
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