Repose en paix Naâman
dossier Reggae français 4

Repose en paix Naâman

Au moment de te dire aurevoir, Martin, il y a beaucoup de souvenirs qui reviennent aviver la peine profonde que je ressens. Les tournées, les soirées, les concerts, tes débuts il y a une quinzaine d’années, bien sûr, mais bien au-delà de la musique, il y avait ce pays, l’Inde, et sa mystique, sa beauté, sa complexité, que nous avions en commun et qui très vite nous a rapprochés.

Tu l’as découverte une quinzaine d’années après que j’ai foulé son sol pour la première fois, et j’aimais discuter avec toi de ces spots où tu t’étais installé, que j’avais bien connus et qui avaient été ouverts par des hommes et des femmes épris de liberté. Comme toi.

C’était ta deuxième maison, tu y avais trouvé ta femme, la sérénité, l’inspiration, la paix, loin du tumulte de ce monde et de ses affres que tu ressentais plus que tout le monde. Je regrette que nous n’ayons pas pu finir ce que nous avions imaginé là-bas, mais la vie est ainsi faite, et il faut accepter sa destinée.
Bien avant la musique, donc, nous nous sommes connectés autour de valeurs et d’espoirs, d’une certaine manière appréhender l’existence, de l’amour des voyages et des contradictions de cette société et de ce système devenu fou.

Évidemment, ensuite, il y a eu le son, ton arrivée fracassante dans le mouvement reggae, tes premières dates et un de tes tous premiers interviews vidéo que j’ai eu le plaisir de réaliser alors même que tu n’avais pas encore sorti ton premier album. Je ne me rappelle plus qui m’avait demandé de donner une force à un tout jeune artiste totalement inconnu, mais quand je t’ai vu arriver devant la caméra, timide, tremblant, tout jeune, avec ton blouson de cuir noir, m’avouer que c’était ta première fois, je n’ai pu qu’être touché par ta sincérité. Dans cet interview, tu te livrais totalement, sans compter, trop, et je t’ai fait remarquer que tu ne pouvais pas tout donner ainsi. On a refait quelques prises, mais on a surtout refait le monde pour la première fois.


Je n’ose pas revoir ces images, c’est trop dur. Ces moments sont lointains, Martin, mais ils sont là, gravés en moi, encore intenses, comme ta personnalité.

Ce que je retiens de toi, ce ne sont pas des titres de chansons, mais une véritable simplicité dans l’attitude et une incroyable bienveillance pour tes contemporains. C’était aussi notre différence, tu croyais en l’humanité et dans le pouvoir de l’empathie, je n’avais guère d’illusions sur le genre humain et sa bonté supposée. Ce sont probablement ces contradictions qui nous ont rapprochées et fait passer tant de bons moments alimentant nos discussions interminables.

Je t’ai toujours vu tendre la main, être à l’écoute, donner sans attendre en retour, même au plus fort de ton succès, tu étais accessible, quand tant d’artistes qui jouent dans des caves devant dix de leurs potes se prennent pour des cadors et viennent te snober.

Tu m’as offert deux titres pour mes livres, sans rien demander en échange, sans contrat, sans chichi, sans aucune contrepartie, juste en se tapant dans la main, parce que tu croyais dans le combat pour la liberté de l’âme et des consciences que je menais avec Génération H. Tu as participé à nos concerts de soutien quand le CSA s’est attaqué à mes idées, tu as été des anniversaires de Reggae.fr, sans demander quoi que ce soit, et parfois en faisant des détours de plusieurs centaines de kilomètres entre tes dates de tournées, pour être avec nous, tout simplement. Quand le site a failli disparaître en 2020 pendant le Covid, tu as été un des rares, un des seuls, à nous envoyer un message de soutien et une injonction à ne rien lâcher quand d’autres se réjouissaient déjà de notre fin.

Je ne sais pas d’où tu tenais cette gentillesse et cette bienveillance, incroyables, qui ne te quittaient pas, dans aucune situation. Combien de fois j’ai dit à Lénie et à mes équipes de Reggae.fr que si notre mouvement avait eu plusieurs leaders comme toi, nous aurions mieux négocié certains tournants clés. Car oui, il faut le dire, tu as également été d’une rare sagesse et résilience face à la jalousie et à la méchanceté que tu as subies pendant des années. Je ne t’ai jamais vu en vouloir à ceux qui te crachaient dessus sur les réseaux sociaux te reprochant d’être toi, un jeune homme blond, blanc, provincial, heureux de vivre et de faire du reggae. Je n’en dirai pas plus, j’ai gardé les messages de haine que nous recevions à chaque fois que nous t’interviewions, pour ne pas oublier, car ces personnes abjectes sont toujours là à tirer notre mouvement vers le bas, alors que toi, tu t’en es allé…

Alors voilà, c’est ainsi, tu nous as quitté un 7 février, en plein mois du reggae, le lendemain de l’anniversaire du Tuff Gong, et il faut se résoudre à te laisser partir. Je regarde cet élan d’amour qui t’est destiné, et j’ai les larmes qui montent aux yeux, car c’est dur de se dire qu’on ne verra plus ton sourire autrement que dans des dossiers et des émissions spéciales que nous te consacrerons chaque année.

Il y a une phrase de GH que tu aimais bien : « La vie est dure, la vie est belle. On y souffre, on y baise, on s'y oublie, on s'y perd. » Aujourd’hui, la vie est putain de dure car tu es parti trop brutalement et trop tôt, et que tu vas salement nous manquer, Martin… On va essayer d’être à la hauteur, mais je ne te promets rien. Tu le sais, je ne crois pas aux promesses. J’espère juste que l’au-delà te sera paisible, car tu l’as bien mérité.

Paix et amour, mon pote. On lâchera rien.
Sacha

Par Sacha aka Alexandre Grondeau
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