Alors que Groundation s’apprête à dévoiler Candle Burning, son tout nouvel album, Harrison Stafford nous a accordé un entretien pour évoquer les coulisses de cette nouvelle création, enregistrée intégralement en analogique dans les mythiques studios ICP de Bruxelles. Avec la participation d’invités de prestige comme Alpha Blondy, Mutabaruka, Thomas Mapfumo et Mykal Rose, ce projet s’inscrit dans la continuité d’une discographie militante, toujours tournée vers l’élévation des consciences. Entre souvenirs de studio, réflexions sur l’état du monde et regard sincère sur l’avenir du roots reggae, le leader charismatique de Groundation nous livre ici une parole profonde et nécessaire.
Reggae.fr : Tout d’abord, félicitations pour ce nouvel album magnifique.
Harrison Stafford (HS) – Merci !
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C’était votre première fois à l’ICP Studios de Bruxelles ? Qu’est-ce que le fait d’enregistrer en analogique vous a apporté ?
(HS) – Oui, c’était ma toute première fois à l’ICP Studio en Belgique, et quelle expérience incroyable ! Par le passé, nous avions enregistré en analogique dans un studio en Californie appelé Prairie Sun, mais celui-ci a fermé peu après l’enregistrement de notre album One Rock. Pour moi, l’enregistrement sur bande analogique reste la meilleure manière de capturer la musique. Cela apporte une chaleur et une profondeur particulières au son. Le fait de ne pas pouvoir faire d’"undo" ou de corriger les prises instaure une concentration intense sur chaque performance. C’est “old school”, comme dans les années 1970, le son avec lequel j’ai grandi et que j’aime profondément.
"Avec Candle Burning, tout a été pensé et réalisé au plus haut niveau. Les textes, les compositions, les performances, le son, le mix, l’artwork… tout s’est imbriqué parfaitement. C’est un véritable album-concept (...)"
Comment vous êtes-vous préparés ? J’imagine que vous êtes arrivés avec des démos et des textes ? Ou certaines chansons ont-elles été créées sur place ?
(HS) – Nous sommes arrivés bien préparés. Nous avions maquetté tous les morceaux, nous connaissions déjà l’ordre approximatif des titres sur l’album et nous savions exactement ce que nous voulions réaliser à l’ICP. Ces studios dotés d’équipements analogiques coûtent très cher, donc impossible de perdre du temps. Fini l’époque où Led Zeppelin ou Pink Floyd passaient des mois à enregistrer. Cela dit, certaines textures et certains choix d’instruments ont évolué sur place. Par exemple, Jeff Cressman, notre tromboniste, a composé l’intro de cuivres de Trust Yourself quelques jours avant les sessions alors qu’il marchait dans les rues de Bordeaux. Tous les solos et parties improvisées ont quant à eux été créés en live en studio et capturés sur bande.
Quel est votre meilleur souvenir durant l’enregistrement ?
(HS) – Travailler avec les invités a été un moment très fort, comme pour l’album précédent. Michael Rose, Alpha Blondy, Mutabaruka, Thomas Mapfumo… tous sont des icônes, de véritables légendes. Et puis Fox était également avec nous en Belgique, ce qui a rendu ces sessions encore plus mémorables. Mais je dirais que le plus beau souvenir restera cette camaraderie, ce sentiment de vivre un moment unique que nous chérirons toujours.
Et le pire ?
(HS) – Franchement, rien de négatif. Tout s’est parfaitement déroulé. Peut-être juste la facture du studio… pour tous les cafés qu’on a bus ! :-)
Saviez-vous déjà quels artistes allaient figurer sur l’album pendant les enregistrements ?
(HS) – Oui, à 100 %. Au début des sessions, les titres étaient déjà définis avec les artistes. Tous les featurings de Groundation ont toujours été anticipés. Contrairement à d’autres artistes qui invitent des chanteurs sur des riddims déjà enregistrés, j’écris moi-même les paroles et les mélodies pour chaque invité. Je les enregistre en guide vocal, et les artistes peuvent ensuite poser leur voix en s’en inspirant. Les chansons sont réellement composées pour eux.
Vous avez invité Alpha Blondy, Mutabaruka, Thomas Mapfumo et Mykal Rose. Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez découvert leur musique ?
(HS) – J’ai peut-être découvert le reggae pour la première fois à travers Black Uhuru, donc Mykal Rose est une figure mythique de mon enfance. Je l’ai rencontré en 1999 dans une salle à San Francisco, Slim’s, où Groundation assurait la première partie.
Mutabaruka, c’est un ami d’enfance, Dan Lyon, qui m’a fait découvrir sa musique dans les années 1990, notamment The People’s Court. Ce qui est drôle, c’est que Dan était lui-même mormon, alors que la chanson critique justement les “morons ou mormons” !
Alpha Blondy, je pense l’avoir découvert ado, avec des titres comme Jerusalem ou Apartheid is Nazism, un album très puissant pour moi à l’époque. Certains disent que ma voix ressemble un peu à la sienne. Peut-être… l’influence est là, quelque part.
En 1997-98, je suis allé au Zimbabwe, dans la famille d’un ami, et tout le monde me parlait de Thomas Mapfumo. Quand ils ont mis sa musique, j’ai été captivé. Une vraie énergie spirituelle transmise par la voix. Ensuite, j’ai acheté plusieurs de ses albums lors de passages à Harare.
Vous avez déjà expliqué la symbolique du titre Candle Burning et du visuel avec la bougie sur vos réseau sociaux. Ce message d’espoir et de lumière semble plus que jamais nécessaire. Aviez-vous anticipé sa pertinence au moment de la sortie ?
(HS) – Oui, je pense que cet album va vraiment toucher les gens. Ceux qui l’ont déjà écouté en témoignent. Le message est universel, clair, chaleureux… comme la pochette.
En tant qu’Américain, comment vivez-vous la situation politique et culturelle actuelle, notamment avec Trump en figure dominante ?
(HS) – Je ressens un profond malaise. Mon cœur saigne pour la Terre et l’humanité. Nous sommes perdus, menés à l’abattoir. C’est la mort de la décence, de l’honnêteté, de la compassion. Et la culture et les arts sont les premières victimes. Or, ce sont justement eux qui permettent la liberté d’expression et d’esprit. Le progrès vers un monde harmonieux recule de nombreuses années.
Peut-on faire un parallèle entre cette lumière à préserver et la nécessité de protéger le roots reggae, parfois perçu comme en péril ?
(HS) – Oui, il y a quelque chose de vrai là-dedans. Le monde reflète notre état. L’humanité abandonne ses racines dans tout ce qu’elle fait. Et tout finit par disparaître.
Certains craignent que le roots reggae attire de moins en moins les jeunes. Quel est votre avis ?
(HS) – Je me pose souvent cette question : “Le reggae est-il impopulaire parce que les gens ne l’aiment pas ou parce qu’on ne le promeut pas ?” Toute musique qui défie le système sera rejetée par lui. Mes enfants adorent la pop moderne, et en écoutant leurs radios, on croirait qu’il n’existe que 15 artistes dans le monde. Taylor Swift est-elle populaire pour son talent ou parce qu’on diffuse ses morceaux 200 000 fois par jour aux États-Unis ?
"Pour moi, l’enregistrement sur bande analogique reste la meilleure manière de capturer la musique. Cela apporte une chaleur et une profondeur particulières au son."
En tant que musicien, avez-vous encore des rêves à réaliser ? Featurings ? Lieux ? Autres ?
(HS) – Oh oui, plein ! Le prochain projet va être énorme ! On travaille déjà sur les idées et les concepts. :-)
Récemment, votre musique a servi à un spectacle de danse contemporaine en Allemagne. Est-ce que cela vous a ouvert de nouvelles perspectives ? Ce nouvel album semble d’ailleurs très cinématographique par moments.
(HS) – Cette expérience avec les danseurs en Allemagne était magique. Jamais je n’aurais imaginé ma musique jouée dans un théâtre national. Être sur scène avec eux, c’était captivant. Par moments, je les regardais danser et j’en oubliais de chanter ! C’est une expérience unique, et elle sera d’ailleurs immortalisée dans le clip à venir du morceau Hypnotized. Le reggae n’a peut-être pas encore atteint tous ses horizons.
Qu’est-ce qui fait de Candle Burning l’album le plus important de votre discographie ?
(HS) – Avec Candle Burning, tout a été pensé et réalisé au plus haut niveau. Les textes, les compositions, les performances, le son, le mix, l’artwork… tout s’est imbriqué parfaitement. C’est un véritable album-concept, comme certains anciens disques de Groundation, mais ici nous avons atteint notre cible : dans le mille ! C’est un album joyeux, lumineux, qui montre notre son sous un nouveau jour.
Vous allez tourner en France cet été et cet automne. Que peut-on attendre de ce nouveau show ?
(HS) – Tu parlais de théâtralité, et c’est bien l’idée. Chaque performance vise à marquer les esprits, mais avec la thématique de l’album et l’enchaînement des morceaux, cela donne une vraie narration. Le dernier titre Anew représente musicalement le dernier souffle de la bougie, avec un one drop de plus en plus lent, alors que les paroles disent : “ce n’est peut-être pas la fin, mais le début d’une nouvelle expérience”. Une conclusion forte, avec ce mantra : “keep the candle burning, pass it around”. J’espère que les gens repartiront du concert avec une nouvelle lumière dans le cœur.
MERCI
Tout l’honneur est pour moi.