Jose Adelino Barcelo de Carvalho était champion du Portugal du 400 m quand son pays, l’Angola, était lejoyau de l’empire portugais jusqu’à son indépendance le 11 novembre 1975. L’athlète du club de Benefica délaisse la course à pied et se met à chanter sous son nom africain Bongo Kuenda. Trente ans plus tard, aujourd’hui,
Bonga est devenu coureur de fond de la musique que tout le monde croyait disparu dans l’animation marathonienne des baloches de la diaspora afro-lusophone, dispersées entre Lisbonne, Paris, Rotterdam ou le Massachussetts. La résurrection du champion au plus large public eut lieu à la fin de l’année 2000 avec
Mulemba Xangola, un album déjà produit par Lusafrica, captivant, sobre et sophistiqué à la fois. Les anciens y ont retrouvé le
Bonga qui fit frémir leur jeunesse. Les plus jeunes sont remués par un grain de voix miraculeux. Mais les plus avisés savent que Jose Adelino Barcelo de Carvalho dit Bonga(celui qui cherche, qui est en avant, en mouvement) est un cas exceptionnel.
Né en 1943 à Kipri, au Nord de Luanda,
Bonga a grandi dans la capitale de l’Angola auprés d’une mère au foyer zaïroise et d’un père petit fonctionnaire angolais. Un père qui jouait de l’accordéon. « J’étais le seul de ses neuf enfants à l’accompagner dès mes 10 ans à la dikanza, un bambou strié grattté avec une baguette, se souvient
Bonga. Le père interprétait essentiellement la rebita, le rythme des pêcheurs de Luanda. Cité alanguie le long d’une baie, en forme de presqu’île, c’est aujourd’hui une ville balafrée par un quart de siècle de guerre civile entre MPLA (Mouvement pour la libération de l’Angola, anciennement marxiste-léniniste et actuellement au pouvoir) et par l’Unita (union pour l’indépendance totale de l’Angola, soutenue par les Etats-Unis et l’ex-apartheid d’Afrique du Sud).
Bonga y a remis les pieds pour la première fois en 1992, après 25 ans d’exil européen : « Mes relations avec le pouvoir se sont un peu améliorées. Mais avec tous leurs dollars, ces gens, qui ont conduit le pays à sa perte, n’ont pu récupérer ni ma conscience, ni ma lutte, ni ma musique ».
Bonga est aussi connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche et pour ses positions controversées.
D’ailleurs, c’est la politique qui fait de
Bonga l’un des tous premiers inventeurs de la world music bien avant la formulation de l’étiquette dans les années 80. poursuivi par le redoutable Pide, la police politique portugaise de l’ère fasciste,
Bonga l’indépendantiste se réfugie à Rotterdam auprés de la communauté capverdienne. Pour le label Morabeza, il s’enferme avec trois potes musiciens dans un studio de la cité hollandaise. Huit heures d’enregistrement plus tard cela donne Angola 72, son premier album, un chef-d’œuvre déchirant de la musique moderne africaine. Il est suivi par un autre disque né de la même révolte, Angola 74, quand
Bonga s’installe ensuite à Paris. Le chanteur fait découvrir le semba, rythme populaire de Luanda, ancêtre de la samba brésilienne : « Dès mes 12 ans, j’avais délaissé la rebita considérée comme une musique de vieux semba, qui se joue sans accordéon, avec une guitare ».
A Lisbonne, la révolution des Œillets balaie les 40 ans de la dictature instaurée par Salazar ; à Luanda, l’Angola devient indépendant ; à Paris,
Bonga publie son troisième album, Angola 76. Mais la lutte anti-fasciste, la révolte anti-colonialiste n’étant plus de mise, les oreilles des amateurs de musiques africaines se tendent vers le Mali, Le Sénégal, le Nigéria, le Zaïre… Au milieu des années 80,
Bonga retourne à Lisbonne : « Les producteurs venaient avec leurs ciseaux et coupaient par-ci, par-là dans mes enregistements. Ils voulaient faire de moi le Julio Iglesias Africain ». La suite, on la connaît, repli, fêtes et albums communautaires jusqu’à la renaissance sur la grande scène avec Mulemba Xangola. Aujourd’hui, le disque Kaxexe (en cachette) approfondit le même sillon et surtout se concentre sur une musique absolument angolaise, c’est-à-dire métisse mais définitivement africaine. Quatorze chansons qui murmurent comme des ruisseaux, qui ondulent comme des rivières sensuelles. Des chants maussades qui implorent comme des prières jamais exaucées tel le titre qui donne son nom à l’album : « Je veux entendre tes pas/ Je veux occuper ton espace/ Mais tu ne laisses jamais de traces/ Par où tu passes / Kaxexe… ». Des musiques lascives qui sont des balancements irrésistibles, des déhanchements à faire damner un saint comme ceux du Marimbondo (nom de fourmi féroce) : « Je suis allé chez Zengue Uiu / Voler des noix de cajou en son absence / Et le Mrimbondo est mort ».
Bonga va cette fois à des rythmes essentiels, une sobriété magique, fruit de plusieurs années d’expérience inégales, d’essais embrouillés. Guitare de soie, dikanza lancinante, airs d’accordéon gémissants, percussions étrangement douces,
Bonga chante des amours contrariées, des maux sociaux persistants, et cette humiliation qui tue l’Afrique, qui a à peine changé depuis la peur des temps coloniaux, des temps de Poeira (poussièreà : «Je me souviens / De toute cette disgrâce/ Des Noirs en sueur / Essayant d’échapper à la rafle ». Il dit aussi la saudade, la nostalgie suave du carnaval, de l’enfance de Kutonoka : « Un enfant pleurait/ Un adulte le consolait/ Pour bien grandir/ Dans l’assurance du bonheur ». Chansons légères ou thèmes graves, il y a cette voix unique rauque, presuqe croassante, qui faisait croire à
Bonga qu’il chantait comme une casserole : « Mon oncle, choriste dans l’église, s’en moquait constamment ». Mais le grain rauque est porté par un doux écrin de velours. Cela s’appelle sensualité.