Jimmy Cliff 'Rebirth'
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Jimmy Cliff 'Rebirth'

Le dernier album de Jimmy Cliff annonce une renaissance. C’est donc l’occasion de revenir brièvement sur la carrière de l’un des artistes jamaïcains les plus célèbres.

Né James Chambers en 1948 en Jamaïque, Jimmy Cliff connait le succès très jeune avec des morceaux ska et rocksteady qu’il enregistre pour le label Beverley’s Record du producteur Leslie Kong.  Des titres comme "Hurricane Hattie" (du nom de l’ouragan qui provoqua de nombreux dégâts en Jamaïque en 1962), "Miss Jamaica", "The Man", "King of Kings",… le propulsèrent comme l’un des meilleurs représentants du ska. Il fit d’ailleurs partie (aux côtés de Prince Buster, Byron Lee,…) des artistes « envoyés » par Edward Seaga en 1964 à New York pour faire découvrir le ska en Amérique. L’année suivante, il partit s’installer en Angleterre et rejoindre l’écurie de Chris Blackwell : Island. Il continua d’enregistrer pour Leslie Kong des titres diffusés en Angleterre par Island sur son sous-label Trojan. C’est ainsi que sortent "Time Will Tell", "Vietnam", "Wonderful World, Beautiful People" et le sompteux "Many Rivers to Cross". En 1972, son rôle dans le film "The harder they come" (réalisé par Perry Henzell) finit de le consacrer comme l’une des figures incontournables de la culture jamaïcaine.  Il y interprète, avec un réel talent, le rôle d’un rude boy qui décide de rejoindre la ville pour tenter sa chance dans la musique, trajectoire qu’ont connu bon nombres d’artistes jamaïcains qui quittaient leur ghetto pour se rendre à Kingston et frapper à la porte de Clement "Coxsone" Dodd, Leslie Kong ou autre Duke Reid. A partir de 1973, ses albums commencèrent à s’éloigner, à la fois de la musique de ses débuts, et du virage roots que prit le reggae à cette époque. Par la suite, Jimmy Cliff a eu une carrière prolifique mais, pour beaucoup, uniquement sur le plan quantitatif.

Avec "Rebirth", Jimmy Cliff effectue, à 64 ans, un retour aux sources à des années lumières de "Reggae Night" ou "Hakuna Matata". Cet opus renoue avec la période ska/rocksteady  du chanteur, mais il ne s’agit pas là d’un simple best-off. Il revisite le passé, sans s’y enfermer, avec l’aide de Tim Armstrong. Car l’album est avant tout celui de la rencontre entre les deux hommes. Tim Armstrong est le chanteur et guitariste de l’excellent groupe punk rock américain qu’il a créé en 1991 : Rancid. Ce groupe s’est laissé à plusieurs reprises influencer par le reggae et le ska, principalement avec l’album "Life won’t wait" qui a, en partie, été enregistré à Kingston. Tim Armstrong a aussi sorti un album solo ("A poet’s life") avec le groupe de (dirty) reggae : The Aggrolites. Jimmy Cliff a pour la première fois entendu parler de lui par Joe Strummer de The Clash, comme il nous l'a précisé lors de notre interview réalisée au Reggae Sun Ska (et que vous découvrirez bientôt) :

«  [Joe Strummer] m’a fait découvrir la musique de Tim. C’est comme ça que j’ai connu Rancid. Mais on ne s’était jamais rencontré avant d’aller au studio. On s’était juste parlé au téléphone. Il y avait un bon feeling car le reggae a influencé la  musique punk. On exprime la même chose, les mêmes idées socio-politiques, l’envie de liberté…, donc ça a été facile avec Tim. »

Tim Armstrong a entièrement produit l’album et a co-écrit quatre chansons avec Jimmy Cliff ("Cry No more", "Children’s Bread", "Reggae Music" et "Outsider"). Le tout a été enregistré en studio à Los Angeles avec Engine Room, le backing band de Tim armstrong qui comprend deux anciens musiciens de The Aggrolites : Jay Bonner et Scott Abels.  Ils ont tous deux souhaité retrouver le son  jamaïcain des sixties.

« L'album a été enregistré comme on faisait au début en Jamaïque : tous le monde en même temps dans le studio …  Nous sommes revenus à la période ska, rocksteady et reggae. »

L’album est d’ailleurs distribué par Trojan (qui appartient désormais à Universal), le label symbole de la diffusion de la musique jamaïcaine en Angleterre dans les années 70. Jimmy Cliff renoue également avec certaines de ses chansons « engagées ». Ces plaidoyers contre l'injustice sociale, que sont "World Is Upside Down" et "Children’s Bread", restent tout de même moins rageurs que le classique "Vietnam" qui resta trois semaines dans les charts britanniques en 1970.

Pour Jimmy Cliff, il faut considérer la sortie de cet album « […] comme un cycle, mais un cycle qui ne serait pas encore achevé. ». Certains diraient que c’est l’histoire de la vie… Essentiellement imprégné de ska et de early reggae, le cycle comprend également un excellent titre soul ("Outsider"), d’autres plus roots ("Rebel Rebel", "Cry no more"), et même deux audacieuses reprises de punk rock : "Guns of Brixton" et "Ruby Soho". La première est une chanson de The Clash écrite en 1979 par Paul Simonon, le bassiste du groupe. Brixton est un quartier de Londres considéré comme le quartier jamaïcain de la capitale anglaise. Dans leur chanson, The Clash dénonçaient les violences policières que subissaient les habitants du quartier à cette époque. Pour l’anecdote, la chanson fait référence à Ivan, le rude boy interprété par Jimmy Cliff dans The Harder They Come. La deuxième reprise, Ruby Soho, est un titre de Rancid sorti en 1997 sur leur troisième album nommé "...And Out Come the Wolves". A propos  de ces deux titres, Jimmy Cliff a d'ailleurs confié :

« J’ai repris ces deux chansons punk qui ont été influencés par le reggae. Le reggae a beaucoup influencé le punk. The Clash ont été les plus grands en Angleterre et Rancid de l’autre côté, aux Etats-Unis. »

Si on peut parfois reprocher à "Rebirth" de tirer un peu trop vers la pop, ce 13 titres confirme quand même bien la renaissance annoncée. C’est d’ailleurs ce qu’illustre "One More", un titre d’une redoutable efficacité dans lequel Jimmy Cliff rappelle qu’il est encore là, et apparemment pour le meilleur.

Par Stéphanie Albon et Greg Wallet
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