Johnny Osbourne - Interview
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Johnny Osbourne - Interview

C’était l’un des évènements du Garance Reggae Festival 2012 : la première venue en France du Dancehall Godfather, Johnny Osbourne. Il aura livré une des prestations les plus remarquées du festival avec des hits tels que « Rock It Tonight », « Truths And Rights », « Fally Ranking », « Purifiy Your Heart » ou l’éternel « Ice Cream Love » (voir notre video ici). Faute d’avoir pu le rencontrer en tête-à-tête, Reggae.fr vous propose un florilège des questions abordées avec l’artiste lors de sa conférence de presse. Merci à tous les journalistes présents pour leurs questions.

C’est la première fois que l’on vous voit en France. Comment cela se fait-il ?
Depuis que j’habite aux Etats-Unis, j’ai connu beaucoup de problèmes administratifs qui seraient trop longs à expliquer. Mais en tout cas, j’ai connu pas mal de complications qui m’empêchaient de venir jouer à l’étranger. Je ne retournais même pas en Jamaïque. J’y suis allé cette année au mois de janvier pour le Rebel Salute, mais ça faisait très longtemps que je n’y avais pas mis les pieds. J’ai l’intention d’y retourner après ma tournée européenne pour faire à nouveau de la musique.

La première chanson de votre concert a été « Rock It Tonight » (voir notre video ici). Vous pouvez nous en dire en mot ?
Il chante : « We gonna rock we gonna rock it tonight. Dubplate playing in the ghetto tonight ! Dubplate playing inna Garance tonight, seen ? » J’ai fait cette chanson en 1980, à l’époque où le dancehall commençait à arriver. Je travaillais avec King Jammy’s et avec son sound system King Jammy’s Super Power qui était vraiment un gros sound. J’ai décidé de faire une chanson spécialement pour Jammy’s. « On va cartonner ce soir. Jammy’s va cartonner ce soir. » C’est un morceau dancehall et c’est une chanson très forte. Car, quand je monte sur scène, je veux tout déchirer.

Comme vous l’avez dit, il s’agit d’une chanson dancehall. Mais vous avez fait beaucoup de morceaux roots dans votre carrière. Vous vous considérez plutôt comme un artiste roots ou dancehall ?
Non, vous savez quoi ? Les gens vous catégorisent comme ils le veulent. Moi, je ne me catégorise pas. Certains me disent que je suis un artiste roots, d’autres un chanteur dancehall ou un chanteur lover... Je suis un vocaliste, point barre. J’expérimente beaucoup, car ma tête est trop jeune par rapport à mon corps. Je ne reste pas coincé dans la vieille école. Je prends la vieille école et je la mélange avec la nouvelle école pour faire une seule grande école. C’est mon objectif. Je pratique tous les styles de musique. J’essaye d’improviser et de ne pas rester collé à un style pour plaire à toutes les générations.

Qui a été votre premier producteur ?
J’ai commencé dans un groupe qui s’appelait The Wild Cats. Le manager du groupe avait un peu d’argent et il a cru en moi. J’avais une chanson qui s’appelait « All I Have Is Love » en 1961, 62 ou 63. Donc le manager a décidé de louer un studio avec son argent pour enregistrer cette chanson. C’était mon premier producteur, qui n’était pas un producteur à proprement parlé d’ailleurs. Et plus tard, le premier producteur important qui a cru en moi a été Jimmy Riley, de Techniques Records, à l’époque de « Come Back Darling ». C’était en 1968 ou 69. Donc Jimmy Riley n’était pas mon premier producteur, mais c’était le premier qui m’ait mis sur le devant de la scène.

La chanson « Come Back Darling » s’adressait à quelqu’un en particulier ?
Ouh, c’est une longue histoire. Je vais essayer de faire court. C’est une de mes premières chansons qui date de 1969. Quand j’étais jeune, j’étais amoureux d’une fille qui avait de la famille dans les deux quartiers de Kingston : Uptown chez les riches et Downtown chez les pauvres. Elle passait du temps dans ses deux maisons. Moi je viens de Downtown, et quand sa famille a appris qu’elle fréquentait un gars de Downtown, ils ont cessé de l’envoyer là et elle est restée chez les riches. J’ai écrit cette chanson en mémoire de cette aventure car je n’ai jamais revu cette fille depuis 1969. C’est une chanson réelle !

Et avec les Wild Cats vous avez fait du rocksteady et du ska...
Vous savez, j’ai toujours écrit des chansons sans jamais me demander quel style je faisais. Je chante, c’est tout. Je ne me demande pas comment on va appeler mon style où dans quel genre on va classer ma chanson. Parfois, j’écris une chanson sans même me demander sur quel tempo je vais la chanter. Car je suis un parolier et un vocaliste. Donc je peux chanter n’importe quel type de chanson. J’aime toutes les musiques. Par exemple, j’aime beaucoup la country. J’ai déjà enregistré des morceaux country mais ils ne sont jamais sortis. C’est un de mes projets.

Vous avez connu à peu près toutes les phases de la musique jamaïcaine et vous avez travaillé avec la plupart des grands producteurs. Quel producteur vous a donné le plus d’espace d’expression ?
Je dois dire que c’est Sir Coxsone Dodd, Studio One. Quand j’étais jeune, mon rêve était d’enregistrer dans ce studio car je le considérais comme la Motown du reggae. Et donc j’ai fait beaucoup d’auditions pour tenter ma chance, tous les dimanches, et je n’y arrivais pas. Celui qui s’occupait des auditions disait que je n’étais pas prêt. Je n’ai pas réussi à enregistrer pour Studio One avant 1980. En fait j’ai commencé à enregistrer en 1979, mais mon premier album Studio One, « Truths And Rights », est sorti en 1980. Les gens croient que c’est un album plus vieux que ça à cause des riddims anciens que j’utilise. Quand j’ai commencé à enregistrer pour Mr Dodd, il m’a dit que j’étais un de ces artistes dont il n’a pas besoin de s’occuper. J’étais prêt avant d’arriver chez lui, il n’avait pas besoin de m’apprendre quoi que ce soit.

Avez-vous choisi les riddims vous-mêmes ?
Oui. En fait, j’ai vécu au Canada entre 1969 et 1979. Et quand je suis retourné en Jamaïque cette année là, j’ai relancé ma carrière. C’était une deuxième carrière en quelque sorte. Donc ce que j’ai fait : j’ai mis un t-shirt crade, et je suis descendu à la cave pour ressortir les vieilles cassettes. Je les ai écoutées et j’ai choisi quelques riddims. C’est comme ça que j’ai compilé les riddims pour l’album « Truths And Rights ». Car ces riddims, je les écoutais depuis des années et ils m’avaient captivé.

Donc c’est vous qui avez ressuscité le riddim de « Take A Ride » ?
Oui. J’ai ressuscité beaucoup de vieux riddims de Studio One. J’ai fait ça en 1980 et à partir de là, tout le monde s’est mis à faire la même chose.

Vous avez fait une chanson pour Studio One qui s’appelait « He Can Surely Turn The Tide ». Cette chanson a été samplée par des dizaines d’artistes de techno et house. Vous ont-ils demandé l’autorisation ?
En fait, ils ont eu à faire directement avec les éditeurs. Je ne m’en suis pas occupé. Mais tout a été fait dans les règles oui.

Vous aimez ces versions ?
Oui bien sûr. Quand quelqu’un sample ce que je fais ou fait une reprise d’une de mes chansons, ça veut juste dire qu’il aime ce que je fais. On ne peut qu’apprécier ça.

Vous avez également beaucoup travaillé avec le producteur Junjo Lawes. Pouvez-vous nous parler de cette collaboration ?
Oh Junjo Lawes était un bon ami. Quand je suis retourné en Jamaïque en 1979, Junjo avait entendu que j’étais là. Il a demandé à Jah Thomas de me trouver. Jah Thomas m’a beaucoup cherché, et quand il m’a enfin trouvé, il m’a mis en contact avec Junjo Lawes qui avait des riddims pour moi. Il voulait faire un album. Alors j’ai choisi des riddims et j’ai rapidement écrit des paroles de l’album « Fally Lover », mon premier pour Junjo.

Vous êtes connu comme un artiste conscient. La réputation de gunman de Junjo ne vous a jamais posé de problème ?
Non, car je le connaissais longtemps avant qu’il soit producteur. Junjo a toujours aimé ma musique et il dansait beaucoup sur mes titres en sound system. On sortait beaucoup ensemble. Je n’ai jamais eu de problème avec lui, c’était un ami et il a cru en moi.

Avec Junjo vous avez fait « Fally Ranking » et « Kiss Somebody » qui sont considérés comme des morceaux précurseurs dans le style early dancehall. Etiez-vous conscient à l’époque que vous faisiez quelque chose de nouveau dans le reggae ?
Non. Vous savez, quand j’écoute un riddim et qu’il me plaît, j’écris quelque chose qui me semble approprié pour ce riddim. C’est un peu de la magie, je fais ça inconsciemment. Parfois, quand j’écoute un riddim, il me dit lui-même ce que je dois dire. Ça vient naturellement.

Quand on vous donnait de nouveaux riddims, est-ce qu’il vous arrivait de les trouver étranges car novateurs ?
Non, je ne critique aucun genre de musique car je n’aime pas me ranger dans un style particulier. Je voudrais être éternel. Je veux être le chanteur d’hier, d’aujourd’hui et de demain donc j’essaye de toujours improviser et d’apprendre quelque chose de ces nouvelles musiques. Quand la musique me plaît, je fonce.

Pouvez-vous nous parler de la chanson « Nightfall » ?
Oh c’est une chanson spéciale. C’est une chanson américaine que j’écoutais quand j’étais jeune. Je ne sais pas qui la chante, mais l’original est vraiment terrible. Je ne me souviens que d’une phrase de l’original. Alors j’ai pris cette phrase et j’ai écrit tout le reste du texte pour faire ma propre chanson. Donc ce n’est pas vraiment une reprise, j’ai juste pris la première phrase de l’original.

Un mot à propos de la chanson « Buddy Bye » sur le Sleng Teng Riddim ?
OK. En fait, « Buddy Bye » est un genre de salut, un gimmick qu’on retrouve dans les sound systems, comme lorsqu’on imite un flingue et qu’on fait « Pam Pam ».  Mais à la base, je ne disais pas « Buddy Bye », je disais « Put it by N°1, Put it by N°2 ». Mais les gens ont entendu « buddy bye » alors j’ai adopté ce mot. C’était un truc pour dire que cette chanson devait être jouée plusieurs fois dans une soirée. En rapport avec le Pull Up. Car quand la foule aime une chanson, elle te demande de la rejouer et tu dois le faire sinon, tu vas te faire insulter.

Vous avez récemment sorti un vinyle avec les Français de Blackboard Jungle...
Ils sont venus me voir à New-York avec leur riddim en me disant que j’étais un de leurs chanteurs préférés. J’ai écouté le riddim et j’ai beaucoup aimé la manière dont il était construit. Comme j’aimais le riddim, j’ai commencé à écrire une chanson tout de suite, devant eux. Cette chanson, « Freedom » a beaucoup de sens. Comme j’ai beaucoup voyagé dans ma vie et que je suis resté bloqué aux Etats-Unis les 15 dernières années, j’ai pensé au mois de janvier 2012, lorsque j’allais pouvoir retourner en Jamaïque pour la première fois.

Maintenant que vous pouvez voyager partout dans le monde, est-ce qu’on peut s’attendre à de nouvelles productions et collaborations ?
Oui bien sûr. Aujourd’hui, je suis prêt pour le monde et prêt pour faire de nouveaux morceaux. J’ai déjà des nouveaux titres enregistrés, mais je crois que les producteurs ne sont pas encore prêts à les sortir. Mais je vais continuer à enregistrer. Je ne m’arrête jamais d’écrire et je ne m’arrête jamais de me battre.

Quels sont vos rêves ?
Je rêve qu’on se souvienne de moi comme un grand chanteur. Et je rêve de continuer à faire de bonnes chansons et à chanter jusqu’à ce que ma voix ne le puisse plus.

Si vous deviez choisir vos 3 chansons préférées tous styles et tous artistes confondus...
Sam Cooke : « It’s Been A Long Time Coming ». Jimmy Cliff : « Many Rivers To Cross ». Et Bob Marley : « Get Up Stand Up ».

Pour regarder des extraits vidéo de cet entretien, cliquez ici.

Par Djul; Photo: Jérôme Baudin
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