chronique Reggae français 0
On attendait cet album avec impatience et le voilà enfin. Troisième album du
K2R Riddim, il est à la hauteur de nos espérances. Actifs depuis plus de 10 ans, le groupe a atteint une certaine maturité, manifeste dans ce « Décophonik ». On les connaissait fins musiciens, les membres du K2R maintiennent la barre haute tant au niveau de la composition que du traitement du son. Cet album est fait de compositions originales, dinstrumentaux, de préludes et dintermèdes qui créent lunivers K2R. Alternant roots reggae, rocksteady, ragga et même soukouss, cet opus est très diversifié. La réalisation a été confiée à Tyrone Downie qui assure aussi les claviers sur certains morceaux.
Lalbum débute sur une vibe positive avec « Hatta Faya » où le mix nous prédit une très bonne production. Les cuivres sont toujours aussi bien écrits, présents et brillants comme il se doit. Lune des surprises de lalbum cest Tibo, le guitariste, que lon retrouve au chant aux côtés de Just One et Kilo (Loïc) dans ce premier morceau. Autre reggae classique efficace « La nuit je fuis » est moins original mais propose de bons lyrics sur laliénation du travail et la liberté individuelle. Thème que lon retrouve dans le morceau suivant « Paie-moi patron » qui fait partie des réussites de lalbum. Un morceau très bien construit dans lalternance basse/riddim pour une fable anti-patron aérée et pleine dhumour. Un groove Two drop solide et des cuivres délicieux notamment à la fin quand ils développent le thème. Dans « Diplomate » le message est assez engagé et nous donne limpression que K2R a décidé de simpliquer davantage dans le combat contre Babylone. En invitant Karl Zéro, le ton est plus politique et en phase avec une réalité proche. Karl Zéro interviewe tout simplement le Nouveau Maître du Monde sur fond de dancehall tout aussi actuel. « Clash Infos » est engagé et sadresse directement à Bush mais la production est un peu spéciale, avec ses allures moyenâgeuses et grandiloquentes. On préfère largement « Problème », une sorte de wa-do-dem riddim qui vient chroniquer lactualité, les problèmes : Ben Laden, Bush, le conflit israëlo-palestinien, le Rwanda, le Burundi. En majorité, les morceaux sont chantés en français mais on en trouve tout de même quatre en anglais. Parmi eux, « Another day » pour une combinaison avec Manu de
Tryo. Acteur même du renouveau de la Chanson Française (selon moi), on est très étonné dentendre Manu en anglais. Le morceau nest pas très original, laccent hyper-français et les lyrics peu fournis. Comme quoi, un bon riddim ne fait pas tout ! La chanteuse, elle, sillustre avec brio sur les chants en anglais aussi bien dans les parties choristes quen solo, comme sur la reprise du classique de Burt Bacharach « Dont make me over » où les arrangements cordes (inspirés de la version originale) magnifient la prestation vocale. Citons encore « Im a woman » aux accents soul aussi bien dans la composition que les interventions cuivres. « She said » relance la gouache après Manu de
Tryo. Encore une fois, les influences se mélangent pour finir sur un scat jazzy puis un chur gospel
excellent !
Lalbum fait place à des morceaux plus légers dans le message comme « Grand Mama » dédicacé aux futures grands mères. Loccasion de recycler le jingle des « Cafés Grand Mère » le temps dun clin dil. Chacun y va de sa petite anecdote sur fond de zouk/soukouss. Le morceau « Déshumanisé » est dans le même répertoire musical. « Kipoco » conclut lalbum sur une touche calypso/early reggae et son trombone qui nest pas sans nous rappeler les thèmes à la Don Drummond ou
Rico Rodriguez. On y trouve Sgt Garcia dans une impro en espagnol sur fond de piano « salsamuffin ». Passons maintenant aux chefs duvre de lalbum : « Reggae Funky » et « Independence Dub ». Ce dernier est un peu le deuxième chapitre du « Dub en do mineur ». On pourrait passer la chronique entière sur ce morceau ! Il est la démonstration du potentiel musical du groupe, aussi bien dans lécriture que linterprétation. Le pianiste qui débute sur des accords très ouverts rappelle autant Keith Jarrett que Debussy. La section Ténor/Trombone/Trompette est remarquable et variée. Elle débouche sur un riddim trébuchant qui prend tout son sens quand part le stepper. Ajoutez à ça une flûte traversière, des cordes arabisantes, un hautbois et une basse toujours aussi précise
un sax séchappe, la tension monte et le trombone part en solo
la fin est une merveille : les parties semmêlent et le morceau sévanouit entre piano et cordes
.Yes ! « Reggae Funky » porte bien son nom et est lautre bombe de lalbum. Ambiance Huggy (aka les bons tuyaux) et Starsky, guitare à la Shaft, cuivres tantôt JBs tantôt Curtis Mayfield, un chur à la Kool & the Gang et le tout reste définitivement reggae ! « Si Huggy et Starsky ne bougent que sur du funk, ils devraient bouger sur du reggae funky ! », ils ne seront pas les seuls à bouger, cest certain ! K2R ne manque décidément pas dR et signe un très bon album avec ce « Décaphonik », terme qui, selon le groupe, décrit « un état de béatitude artistique dans lequel des musiciens se trouvent après avoir produit un nouvel album riche de toutes leurs influences - Ex : Il est vraiment décaphonik cet album ». Ils sont fiers de leur travail et peuvent lêtre. Un album à écouter.