Buju Banton - Interview Upside Down
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Buju Banton - Interview Upside Down

Dix ans ! Dix ans que celui qui est devenu une légende - avec des titres comme Deportees, Murderer, Champion, It’s All Over, Not An Easy Road - n’avait pas sorti d’album. Upside Down sort ce jour 26 juin (Roc Nation / Def Jam), avec 20 titres d’une grande qualité de production, des featurings à couper le souffle (Stephen Marley, Pharrell, John Legend ou encore Stefflon Don), et la voix rocailleuse du chanteur qui nous avait tellement manquée. Du dancehall moderne au roots, en pensant par du new roots très 90’s et de l’afrobeat, Upside Down se veut un album riche, qui intéressera autant la jeune génération que les fans de la première heure.

Dix ans aussi que nous n’avions pas pu nous entretenir avec Buju Banton. Dix ans dont une très grande partie passée en prison. La dernière fois que Reggae.fr croisait Gargamel c’était à Kingston et toute de suite l’artiste nous avait mis à l’aise en nous parlant du travail important que nous faisions en Europe.

A l’occasion de cette sortie évènement, nous vous proposons de découvrir notre rencontre avec Buju, l’un des artistes les plus insaisissables de sa génération, un chanteur incandescent aux multiples polémiques (ses titres homophobes ont choqué une grande partie du public international...), dont le côté sage et spirituel a largement pris le dessus depuis sa libération fin 2018.

Entretien :


Reggae.fr : Tout d’abord, comment vas-tu en cette période de crise sanitaire et n’est-ce pas particulier de sortir ce nouvel album sachant que tu ne pourras pas tourner cet été pour le défendre ?
Buju Banton : Tu sais, cet album je le sors en toute conscience. Si je n’avais pas quelque chose à dire, je ne l’aurais pas sorti. Mais que cette crise soit présente ou non, je sors cet nouvel album car le public a justement besoin de force, d’orientation et de motivation. Et mon public en particulier a attendu si longtemps. Il est de mon devoir en tant qu’artiste d’inspirer les gens et de les élever.  Cet album ne sort pas en vain, car j’avais beaucoup de choses à exprimer et beaucoup de gens l’attendent. La justice, la liberté et l’égalité sont des valeurs essentielles que je me devais de diffuser.



L’été dernier, nous avons eu la chance de te voir sur scène en Europe et en France en particulier (au Reggae Sun Ska) dans le cadre du Long Walk To Freedom Tour. Comment l’as-tu vécu ?
J’ai beaucoup apprécié revenir en Europe et en France après 10 ou 11 ans d’absence. J’ai aimé retrouver mon public européen, que ce soit à Cologne en Allemagne, en France, aux Pays-Bas. Partager de nouveau ma musique avec les massives a été une telle expérience ! C’était même bouleversant à vrai dire. Il n’y a pas de mots pour décrire ce que j’ai ressenti mais si je devais en choisir un quand même ce serait « formidable ».



Un peu plus tôt l’année dernière, en mars, tu donnais un concert au Kingston National Stadium, où tu étais attendu en véritable héros …
Oui là ce moment était différent de la tournée dont on parlait. C’était mon retour à la maison. C’était très émouvant, c’était le moment où je retrouvais ma famille musicale.



Ton album, qui sort aujourd’hui 26 juin s’intitule Upside Down (ndlr : que l’on peut traduire par sens dessus dessous). Pourquoi ce titre ?
Ce titre correspond tout à fait au monde dans lequel on vit. J’ai choisis ce titre bien avant que le monde ne sombre dans la crise actuelle mais regarde, il est plus que jamais d’actualité. Ce qui se passe aujourd’hui en est une nouvelle preuve, mais en réalité le monde est devenu un vrai bazar il y a bien longtemps déjà. Tout est sens dessus dessous. Mais ce titre évoque aussi le fait que l’on doit renverser la situation pour obtenir plus de justice, de liberté et d’égalité. Et cela correspond aussi à un mouvement global actuel où différents peuples s’élèvent pour un autre monde.



Justement, comment vis-tu le mouvement #BlackLivesMatter qui a resurgit après la mort de George Floyd ?
En tant qu’homme noir, je suis très particulièrement touché par ce mouvement oui. Il s’agit là encore de défendre les valeurs et les conditions d’égalité entre les hommes.

Revenons à l’album, comment as-tu travaillé en termes de production ?
Pour moi, la musique tu sais avant tout c’est une mission. Jamais dans ma vie je n’ai cessé de faire de la musique. Elle me vient du Seigneur pour que je puisse transmettre son message. Je travaille ma musique en toute humilité grâce à la lumière reçue du divin, de l’univers, de la vie. C’est naturel pour moi. Je sais faire beaucoup de choses, mais la chose la plus profonde en moi et que je fais le plus naturellement c’est la musique. Ma musique exprime ce que je suis et partager ma musique avec le public est ce que je sais faire, élever les massives, les éduquer. Alors au de-là de la production, pour moi ce qui compte c’est l’effet de la musique, c’est ce que la musique procure et procurera toujours.
Ndlr : le producteur historique de Buju Banton Donovan Germain est largement présent sur l’album, de même que des producteurs tels que Dave Kelly (Beanie Man, Bounty Killer) ou encore Shane Brown (Protoje, Lila Iké).



Mais quel a été ton processus de création sur cet album ? Ecris-tu tous les jours ?
Oui j’écris tous les jours, mais pas une chanson par jour (rires). Le processus de création est simple mais je suis là pour parler du produit fini et pas de mes secrets de fabrication (rires).

A l’image des singles dévoilés avant la sortie de l’album tels que Steppa, Trust, Blessed, Memories, le projet est éclectique, riches en styles avec des morceaux plus roots, d’autres clairement modernes et dancehall.
C’est très important pour moi qu’il y ait de la diversité dans un album. Quand j’écoute un album dans ma voiture, j’ai besoin de différents temps, différents styles et je pense pareil quand je fais un album. Je déteste la monotonie et la créativité va de paire avec la diversité pour moi.

Peut-on évoquer en particulier la chanson Steppa ?
Quand je suis retourné chez moi en Jamaïque, j’ai vu tous ces gangs et toute cette violence. Je me suis dit que j’avais un devoir vis-à-vis de ces jeunes, leur démontrer qu’on n’était pas obligé d’être dans un processus de destruction mais qu’on pouvait aussi progresser, s’élever, devenir un homme meilleur pour sa famille et l’humanité entière. Ce morceau est une aide pour ces jeunes.

Parmi les featurings de l’album, on retrouve Stephen Marley sur Yes Mi Friend, une reprise de Duppy Conqueror de Bob Marley. Peux-tu nous parler de cette collaboration ?
Stephen Marley est mon ami depuis de nombreuses années. Il ne m’a jamais laissé tomber. Il a toujours été là pour moi et je suis toujours là pour lui. Et Duppy Conqueror selon moi est une chanson très importante qui traite de l’essentiel. Je remercie Stephen de m’avoir prêté cette chanson … On a travaillé ensemble par le passé et c’est un plaisir de le retrouver ce track. Stephen est un vrai et sincère ami, et quelqu’un d’intègre. Yes Mi Friend !



Un des autres featurings dont je voulais te parler est la chanson Cherry Pie avec Pharell.
Cette collaboration s’est faite grâce au label Roc Nation avec qui nous sortons cet album. Roc Nation est une maison de disques dynamique, grâce à laquelle je peux faire fusionner mon travail et mon talent avec d’autres grands musiciens actuels et avoir accès à ses artistes internationaux.

L’album se clôt par le morceau afrobeat Unity. Une ouverture sur l’Afrique qui t’est chère.
Il faut comprendre que je suis un africain. Je me souviens avoir été le premier artiste dancehall à jouer au Zimbabwe, Ghana, Malawi, Ouganda … Cette chanson est bien sûr un hommage à l’afrobeat mais surtout à Fela. Fela Kuti le grand, qui a aussi aidé à créer et stimuler la musique en général. Le plus grand problème de l’homme noir, c’est l’unité. Comment empêcher la division ? par l’unité. Comment empêcher qu’on nous contrôle ? par l’unité. Comment briserons-nous ces chaines ? par l’unité.

Est-ce que tu crois qu’un artiste doit avoir souffert pour arriver à créer de la bonne musique ?
Et bien de mon point de vue, la souffrance m’a fait réaliser que la vie n’est pas facile … It’ not an easy road. Tout le monde porte son fardeau tu sais, c’est ce que nous a appris notre père, grand-père et parrain musical Bob Marley. Comme il le chantait « Every man thinketh his burden is the heaviest » (ndlr : chaque homme pense porter le plus lourd des fardeaux).

Qu’est-ce que tu écoutes actuellement ?
J’écoute toute sortes de musiques différentes. J’écoute bien sûr des artistes jamaïcains mais aussi beaucoup d’artistes ghanéens et nigérians, sénégalais. En particulier j’apprécie Burna Boy, Stonebwoy, Wizkid ou encore Davido.

Si tu n’avais pas eu la musique dans ta vie, qu’est ce que tu aurais fait de ta vie ?
J’aurais été un soudeur. C’était ma profession. Soudeur scaphandrier professionnel.

Qu’est ce que tu voudrais ajouter à l’attention de nos lecteurs et auditeurs français.
Je voudrais apporter tout mon soutien au public français et en particulier aux Gilets Jaunes. Il ne faut rien lâcher. Vous devez continuer à vous soulever et vous battre pour vos droits. Vous devez écouter cet album. Il est fait pour vous !

Par Propos recueillis par LN
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