Channel One - Sound UK historique
interview Roots 18

Channel One - Sound UK historique

Channel One. Un nom qui retentit dans les oreilles des passionnés de reggae depuis bien des années. Le célèbre studio de Maxfield Avenue à Kingston a donné son nom à un sound system anglais non moins légendaire. Mikey Dread et Ras Kayleb font partie de l'histoire du reggae. Ils l'ont même écrit à leur manière en développant la culture sound system en Grande-Bretagne. Avec une identité profondément roots, Channel One ne se prive pas de suivre l'évolution de la musique et livre des sessions particulièrement variées, réputées parmi les meilleures des sound systems UK.

Entretien avec ces deux artistes, sans langue de bois.


Vous avez emprunté votre nom Channel One au célèbre studio jamaïcain n'est-ce pas ?
Mikey Dread : On n'a pas vraiment emprunté ce nom. C'est juste qu'à l'époque, on recevait beaucoup de dubplates de Channel One. J'allais en Jamaïque et j'allais directement sur Maxfield Avenue pour cutter des dubplates chez Channel One. C'est comme ça que le nom du sound system est venu. Naturellement.

"Pourquoi mixer le reggae ? On n'a pas besoin.Tout ce dont on a besoin pour le reggae c’est d’une platine et d’un deejay."


Et pourquoi ce studio en particulier ?

Mikey Dread : C'est juste parce que j'avais un contact là-bas. Quand j'allais en Jamaïque, j'étais tout le temps sur Maxfield Avenue et c'est là que se trouvait le studio de Channel One.

Connaissiez-vous les frères Hoo-Kim ?
Mikey Dread : Non je ne les connaissais pas personnellement, mais je les ai rencontrés là-bas.



Vous n'êtes pas le seul sound anglais à avoir emprunté son nom à un label jamaïcain. Est-ce en quelque sorte une tradition ?
Mikey Dread : Pas vraiment. Mais c'est vrai qu'à l'époque ça se faisait beaucoup. Je parle d'il y a 30 ou 40 ans. Car à cette époque, on ne jouait que de la musique jamaïcaine. Il n'y avait pas encore de reggae produit en Angleterre. Donc pas mal de sounds anglais s'associaient avec des producteurs ou des studios jamaïcains pour obtenir des tunes exclusifs et c'est comme ça que ça s'est fait.

Parlez-nous de votre rencontre à tous les deux. Channel One est-il né de votre rencontre ?
Mikey Dread : Je connais Kayleb depuis des années. Nos familles se connaissaient bien. Et un jour, Kayleb a eu l'idée de se connecter avec le studio Channel One en Jamaïque. Il avait déjà un sound à l'époque, mais il avait une autre idée en tête. Donc je me suis lancé avec lui.

Kayleb, vous aviez un sound avant Channel One ?
Ras Kayleb : Oui. Mon premier sound s’appelait Jeneva High Power. On jouait surtout dans des blues dances ou des petites réceptions pour mariages, des anniversaires… Mais tu sais quoi, le truc de mon sound ça a toujours été le roots, avec du lovers rock, un peu de dancehall, mais sinon principalement du roots. Et comme Mikey l’a dit on allait à la même école primaire alors on se connaît depuis qu’on a 6 ans. Channel One c’est une histoire de famille. 

A l’époque, on appelait les soirées des "blues dances" ou "blues parties"...

Ras Kayleb : Oui, c’était des soirées non déclarées, illégales. C'était souvent chez quelqu'un dans une cave. Si on pouvait rentrer au moins 50 personnes, ça suffisait pour faire une soirée. Le vendredi et samedi soir, à l’est de Londres, au nord de Londres, tu avais des soirées partout. Ça pouvait être dans une maison, un hall, une école… Il se passait quelque chose tous les week-ends.

Vous savez d’où vient ce nom "Blues Party" ?

Ras Kayleb : Je ne sais pas vraiment, j’entendais mon père dire ça, il allait à des "blues parties", alors on a juste gardé le terme. Mais je pense que ça pourrait venir des États-Unis. Car il y a le blues là-bas et il y avait aussi des soirées illégales et des clubs clandestins. Donc je pense que c’est la même chose.
Mikey Dread : Je crois qu'il y a aussi une référence au rythm'n blues. C'est une musique qui a beaucoup influencé le reggae et on en jouait aussi dans nos soirées. Peut-être qu'avant il y avait des "Rythm'n Blues Parties" et que c'est devenu "Blues Parties".



Quels sont les sound systems qui vous ont donné envie d’avoir votre propre sound ?
Mikey Dread : Beaucoup de sounds à l’époque… On allait écouter des gens comme Duke Reid, Count Shelly, Upsetter, Coxsone… On pourrait citer énormément de sounds jamaïcains et anglais qui nous ont donné envie de faire ça.

Vous avez assisté à des sessions de Duke Vin et Count Suckle ?

Mikey Dread : Oui j’ai été à quelques sessions de Duke Vin mais c’était il y a très longtemps. C'était à l'époque où je n'avais pas encore la permission de sortir comme je le voulais. Je devais être accompagné de mon grand-frère et je devais rentrer à une certaine heure.

"Beaucoup de sounds veulent courir avant même de savoir marcher."

Pourquoi les sounds anglais n’utilisent jamais deux platines contrairement aux sounds jamaïcains ?
Ras Kayleb : Ça vient de la tradition originale du sound system. Au début aussi en Jamaïque, ils n'utilisaient qu'une platine. Un sound system utilise une seule platine parce qu’il n’y a pas de mix. Pourquoi mixer le reggae ? On n'a pas besoin. Tout le monde, même la crème des DJs comme les DJs de hip-hop américains, ressentent le besoin d’utiliser deux platines. Mais ce n’est écrit nulle part qu'on est obligés de faire ça. Tout ce dont on a besoin pour le reggae c’est d’une platine et d’un deejay. C'est comme ça pour le roots. On ne mixe pas, on ne mélange pas, on joue juste la musique de Rastafari pour l’élévation. Tout ce dont on a besoin c’est d’une platine, c’est tout.  

Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon sound system ?
Ras Kayleb : Avoir une bonne sélection. Si c’est un sound roots, l’essentiel est de réaliser que le Tout-Puissant est le plus grand, et à partir de là ça se ressent quand tu joues. Il faut s’assurer d’avoir une sélection solide et vertueuse. 
Mikey Dread : Il faut du dévouement, de l’engagement, et être conscient que ça peut être beaucoup de travail. Comme le dit la Bible, "la course n’est pas aux agiles..." mais à ceux qui supportent la longue route pour devenir un gros sound system. Beaucoup de sounds veulent courir avant même de savoir marcher. De nos jours c’est très facile d’avoir un sound system, il suffit d’aller dans un magasin avec un tas d’argent et tu te fais ta sono. Sauf que construire une sono, ça se fait avec les mains. Des fois tu te fais mal aux doigts parce que tu utilises un marteau. Tu dois aussi utiliser un tournevis, visser, dévisser…  C’est ce par quoi on est passé, mais beaucoup de sounds ne passent plus par là aujourd'hui. Ils vont faire du shopping avec leur argent et après ils prétendent avoir un gros sound system. Ce n’est pas comme ça qu'on devient un sound system, c’est trop facile. On ne pouvait pas faire ça à l’époque. Nous, on a construit notre sono petit à petit, et après on a pu s’appeler un sound system parce qu’on a pris notre temps pour le construire et obtenir le son qu’on voulait. Un tas de sounds  de nos jours sonnent tous pareil, parce qu’ils ont acheté leur matériel dans les mêmes boutiques. Mais il faut avoir son propre son pour que les gens identifient ton sound.

Est-ce que vous avez déjà construit pour d’autres sounds?
Mikey Dread :
On n’a pas le temps de construire pour les autres, on construit pour nous-mêmes. C’est bien d’être cool avec les autres sounds, mais comme j’ai dit beaucoup d’entre eux ne veulent pas prendre le temps de construire et dépensent leur argent à acheter tout ce qui se fait en magasin. Aujourd’hui, tout le monde peut avoir une sono puissante, il suffit d’avoir de l’argent. Mais si tu n’as pas beaucoup d’argent, tu prends ton temps et tu construis. Ceux qui se font une sono puissante et arrivent du jour au lendemain ne seront pas plus connus que les autres. Tu ne peux pas dépenser ton argent pour bâtir un sound et t’attendre à ce que les gens adhèrent directement, il faut faire grandir ce sound et montrer de la passion, du dévouement et du travail.

Vous êtes un sound system roots mais il semble que vous vous intéressiez aux nouveaux styles musicaux. Vous avez fait des tournées avec Congo Natty et Jazzsteppa. Vous êtes aussi branchés jungle ou dubstep ?
Mikey Dread : Non, on n’est pas vraiment intéressés par la jungle. C’est juste qu’on nous invite à des sessions, et on y va principalement pour promouvoir notre musique et la faire connaître à plus de gens. On ne veut pas que le roots soit cantonné à l'arrière-cour de la musique. Donc on peut aller à certaines sessions et mélanger notre musique à leur type de musique. Ça fait connaître la musique de Rastafari à ceux qui ne la connaissent pas. Ce n’est pas une volonté de nous mélanger avec eux, mais si on veut que notre musique aille encore plus loin et la faire connaître à un nouveau public, alors parfois on doit aller dans l’arène avec ces gens.

Connaissez-vous la nouvelle génération d’artistes reggae en Jamaïque comme Chronixx , Protoje et tout le mouvement Reggae Revival ?
Ras Kayleb : En ce moment en Jamaïque, il y a un soulèvement dans la scène roots. Mais ce qu'ils font, j'appelle ça du dancehall roots, pas du roots. En fait, les jeunes en Jamaïque n'aiment pas le roots authentique. Mais il y a des jeunes qui regardent sur Internet ce qui se passe en Europe et ailleurs dans le monde et réalisent que la vibe est complètement différente de celle en Jamaïque. Pas besoin d’aller loin, il suffit d’aller en Amérique du Sud ou dans certaines parties des États-Unis pour se rendre compte que c’est une vibe différente. Certains jeunes comme Chronixx et Protoje s'intéressent à ce qui plaît au public étranger et ils ont compris que le roots était au goût du jour. Ils ont aussi passé beaucoup de temps avec Gabre Selassie, le propriétaire du Dub Club à Kingston. Gabre est un Jamaïcain qui a passé beaucoup de temps en Angleterre. Il est retourné en Jamaïque aujourd'hui et il a ramené la vibe UK et européenne avec lui. Et les jeunes s'y intéressent. Le Dub Club se développe de plus en plus et ça montre aux jeunes ce qu’il se passe dans le reste du monde. La Jamaïque ne jure que par le dancehall, donc ça leur montre qu’il y a d’autres choses qui se font dans le roots. En Jamaïque , ça prend de l’ampleur avec des mecs comme Chronixx et Protoje. Et ce nouveau feeling que l'on ressent en Jamaïque en ce moment, ils l'apportent au reste du monde.

"Si tu veux un authentique son de sound-system, il faut un pré-ampli, ça fait tout."

Avez-vous déjà amené votre sono hors d’Europe ?
Ras Kayleb : Non, d’un point de vue logistique et matériel, c’est trop compliqué. Si un mec veut ramener notre sono en Australie par exemple… ça coûte trop cher.

Dans quel pays le public vous a-t-il le plus surpris ?
Ras Kayleb :
Ça fait environ 20 ans qu’on fait des sessions en Europe, dans différents pays, différents endroits… On peut jouer à un endroit en France où la vibe sera juste bonne et le lendemain à un autre endroit en France où ce sera complètement le feu… Mais au final, chaque session aura été bonne donc je ne peux pas vraiment parler d’une en particulier puisque chacune était bien à sa manière.. Je n’ai jamais eu de mauvaise expérience en Europe, sincèrement. J’en ai eu en Angleterre mais pas dans le reste de l'Europe (rires) !

Une mauvaise expérience en Angleterre ?

Ras Kayleb : Non, pas une mauvaise expérience, mais tu fais une session et il n'y a que deux personnes présentes, tu vois de quoi je parle (rires)… Ce n’est pas une bonne danse.  En Europe, il y a une énergie différente et même quand il n’y a pas beaucoup de personnes c’est le feu. Les expériences en Europe sont toujours bonnes et dans le reste du monde aussi. Même en Angleterre au final et même quand il n'y a que deux mecs… L’année dernière Mikey et moi on a joué dans une université de Londres, il n’y avait que sept personnes et c’était une bonne danse (rires) ! Sérieux, sept personnes ! Juste devant nous, et on a joué de la même manière.

"Le Carnaval de Notting Hill a une place particulière dans le développement du reggae en général, pas juste pour Channel One."

Parlons équipement. Vous utilisez un pré-ampli ?
Ras Kayleb : Oui, on utilise un pré-ampli, un amplificateur de puissance, et c’est tout. Le pré-ampli, c’est la base. Si tu veux un authentique son de sound-system, il faut un pré-ampli, pas un mix-amp, pas de crossover, pas de lumières clignotantes, pas besoin de tout ces trucs qui font que ton sound ressemble plus à un studio. Tout ce dont tu as besoin c’est un pré-ampli, ça fait tout.

Combien de stacks possédez-vous ?
Mikey Dread : On a trois murs de 4 basses mais on ne les utilise pas tout le temps tous. Tu peux nous voir jouer à un endroit avec seulement un mur.

Et continuez-vous à augmenter vos basses ?

Ras Kayleb : Non, on n’a pas besoin de plus.
Mikey Dread : On se fait vieux maintenant et on n’a pas besoin de construire plus, on laisse ça aux sounds plus jeunes. Maintenant, si tu nous invites et que tu as un gros sound, on vient, on joue sur la sono de quelqu’un d’autre pendant deux ou trois heures puis on rentre à la maison. On a gagné ce droit !

Que pensez-vous de cette course dans les sound systems où il faut avoir toujours plus de son?
Ras Kayleb : C’est une compétition, mais la vérité c’est que dans la majorité des endroits où tu joues, tu ne peux utiliser que deux stacks. Et si le lieu est en extérieur, le maximum que tu puisses utiliser est trois murs. Donc pourquoi construire 25, 30 ou 40 basses alors que le maximum que tu pourras utiliser c'est 12 ?



Vous avez participé à plusieurs clashes. Pouvez-vous nous parler de la culture du clash ?
Mikey Dread : Ça fait partie de la culture sound system. A l'époque c'était quelque chose de normal entre les sounds. C'était une compétition saine. Mais aujourd'hui, ce ne sont plus des vrais clashes. Il y a des sounds qui ne pensent qu'à ça et qui se bâtissent uniquement dans le but de faire des clashes. Mais ceux qui font ça ne sont capables de jouer que des clash-tunes. Ils finissent par être catalogués par le public et en plus, ils ne peuvent jouer que 15 ou 20 minutes par set. Mais demandez leur de jouer 6 heures d’affilée et vous verrez qu'ils ne peuvent pas. Ils jouent clash tune sur clash tune, font du jugglin, et au final certains organisateurs leur tournent le dos et ne veulent pas d’eux parce qu’ils vont venir et jouer comme en clash. Il faut réfléchir entre aller loin dans le milieu du clash, ou se faire un nom par soi-même et être divertissant. Je pense qu'il vaut mieux avoir un public propre à son sound system plutôt que de compter sur un ou deux autres sounds avec qui alterner pour jouer 20 minutes chacun. Il faut construire son organisation et sa façon de jouer. Quand tu peux assurer 6 ou 7 heures par session, tu gagnes le droit d’avoir un gros public pour toi. Mais, encore une fois, il n’y a pas beaucoup de sound systems qui peuvent faire ça aujourd’hui.

"Même dans le hip-hop, tout le monde veut un sound system."

Quel est votre meilleur souvenir de clash ?
Mikey Dread : Il y en a plein qui me viennent à l’esprit mais ces clashes remontent aux années 70 et 80 et ça ne parlera pas aux gens. Donc je dirais quand on a gagné le Culture Clash en 2010. Ça a davantage mis en valeur le reggae et les sound systems par rapport aux autres types de musique. Et depuis on voit des acteurs de la bass music s’y mettre. Même dans le hip-hop, tout le monde veut un sound system. Grâce à cette nuit où on a gagné le clash, d’autres sound systems veulent faire pareil. On l’a fait pour le reggae et pour montrer de quoi le sound system et le reggae sont capables. Car ce soir-là on a quand-même battu Skream et Benga qui sont des pionniers du dubstep.

Et quel est votre pire souvenir en clash ? Peut-être votre deuxième participation au Culture Clash ?
Mikey Dread : (rires) Peut-être oui !  On est venus préparés et organisés. On a ramené Luciano avec nous ce soir-là. Mais on savait que ça allait être compliqué car la majorité du public ce soir-là était des gamins de 16-17 ans. On savait bien que Channel One n’était pas leur truc. Et on a joué contre des gens qui ont des gros labels et beaucoup d’argent comme Major Lazer et Boy Better Know.

Le Carnaval de Nothing Hill semble avoir une place particulière dans le développement de Channel One … 
Mikey Dread : Je pense qu’il a une place particulière dans le développement du reggae en général, pas juste pour Channel One. Aujourd'hui on est au Dub Camp, mais quand on a commencé à jouer à Nothing Hill il y a 31 ans, on n’aurait jamais imaginé voir tous ces gros festivals de reggae. Je pense que c’est à travers des choses comme le carnaval de Nothing Hill que tout cela est devenu possible.

Est-ce que vous vous rappelez de votre première session au Carnaval ?

Mikey Dread : Waow ! Ça remonte à loin. Je crois qu'on a joué devant 10 personnes pas plus. On a joué dans un jardin avec quatre basses. Deux dans un coin et deux dans l'autre. Ce n'était pas facile. Mais on a quand-même joué pour dix personnes. Personne ne connaissait Channel One à l’époque. Et chaque année, on a eu un plus de monde jusqu'à arriver dans les rues les plus fréquentées. En 31 ans on n’en a jamais manqué un seul.

Quel est votre meilleur souvenir au Carnaval ?
Mikey Dread :
Un de mes meilleurs souvenirs, c’est quand on a joué dans un garage ouvert. Il n’existe plus depuis. C’était en 1984 ou 1985, et Channel One a joué dans ce garage. On a utilisé 26 basses ce jour-là. C’était un immense espace, on pouvait même garer un gros camion dedans !

Par Propos recueillis par Ju Lion
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