Naâman : artiste engagé, sage et positif
dossier Reggae français 57

Naâman : artiste engagé, sage et positif

Depuis le début des années 2010, un vent nouveau souffle sur le reggae français porté par une nouvelle génération d’artistes dont Naâman est un des leaders. Chantant en anglais des thèmes conscients et engagés, porté par les instrumentaux précis et inspirés du producteur Fatbabs, le jeune Normand s’est imposé dès son premier album Deep Rockers Back a Yard comme un artiste français majeur.

Originaire de Dieppe, en Normandie, Naâman n’a pas grandi dans un ghetto antillais, une banlieue parisienne pauvre ni un quartier HLM. Il ne l’a jamais revendiqué non plus. Comme beaucoup de Français, il est tombé amoureux du reggae en écoutant Bob Marley (Uprising est le premier album qu’il a acheté) et a découvert la culture sound system dès son adolescence. Très tôt, il organise des fêtes avec ses potes où les platines, le micro et les sonos sont les piliers artistiques de leurs nuits blanches. Martin fait ses armes musicales ainsi (il pratique par ailleurs le théâtre) et s’affirme rapidement grâce à signature vocale caractéristique et des aspirations spirituelles fortes.

Influencé par The Gladiators, Dennis Brown, Ini Kamoze et Gregory Isaacs, il s’imprègne du roots jamaïcain et commence à écrire ses premiers lyrics qu’il teste en freestyle dans différents bars de sa ville natale comme le Manhattan. De soirées en soirées, d’instrumentaux jamaïcains à des riddims originaux, Naâman sort naturellement une première mixtape en 2012. Il a 22 ans. Elle s’intitule Deep Rockers et rencontre tout de suite un succès important dans la communauté reggae. Repéré la même année par l’équipe de Music Action et le label Soulbeats, Naâman apparaît pour la première fois au Reggae Sun Ska, sur une scène «découvertes». Il y joue aux côtés d’un autre petit jeune pétri de talent: Biga Ranx. Il part ensuite en Jamaïque enregistrer son premier album, où il est notamment assisté de Sam Clayton Jr (qui a travaillé avec les plus célèbres artistes reggae internationaux: Steel Pulse, Toots & the Maytals...).



Ce premier opus, intitulé Deep Rockers Back a Yard, sort en 2013. Il s’avère être une version améliorée de sa première mixtape à laquelle il a ajouté plusieurs titres originaux. Le tout est un savant mélange d’instrumentaux aux inspirations tropicales et urbaines préparé par le beatmaker « magicien » Fatbabs, où l’empreinte vocale caractéristique de Naâman s’impose avec plusieurs succès comme Smoke Tricks et bien sûr l’incontournable Skanking Shoes. La critique musicale est alors unanime, autant du côté des médias généralistes que de la presse spécialisée (Télérama, Le Monde, Libération, Reggae.fr, Reggae Vibes...). Rapidement, il est surnommé le petit prince du reggae français. La comparaison avec le héros de Saint-Exupery est facile, mais elle n’enlève rien au talent du chanteur qui poursuit son chemin artistique sans prêter attention aux qu’en-dira-t-on.



Le public, lui, ne s’y trompe pas. Il décerne au chanteur – un an après l’avoir élu révélation de l’année 2012 aux Victoires du reggae – le prix du meilleur album dans la catégorie « Reggae French Touch » (artiste français chantant en anglais). L’aventure musicale se poursuit alors sur la route où Naâman et son groupe, le Deep Rockers Crew, enflamment la plupart des villes du pays et les plus gros festivals de reggae européens (Reggae Sun Ska, Garance Reggae Festival, Summerjam, Rototom, Francofolies...). La folie Naâman dépasse nos frontières et le chanteur part diffuser ses good vibes un peu partout autour du monde, du Canada à la Chine, en passant par la Jamaïque, l’Inde, le Royaume-Uni, l’Espagne et le Liban.

Début 2015, l’artiste sort un EP reggae/hip-hop, Know Yourself, accompagné de son frère musical Fatbabs et de deux toasters jamaïcains aux flows ravageurs: Massy et Triple. Les titres Hey Joe, Chill Out et le morceau éponyme de l’EP Know Yourself renforcent le répertoire de l’artiste qui ne cesse de tourner et de conquérir un public plus large !



A la fin de la même année, il publie son second album, Rays of Resistance où il invite notamment la deejay écossaise Soom T à partager le micro. L’album remporte à nouveau une Victoire du reggae et il donne lieu à un Olympia complet, le 29 septembre 2016, et à une tournée internationale qui le mènera jusqu’en Nouvelle-Calédonie, en Nouvelle-Zélande et en Inde. Cet album illustre parfaitement l’éclectisme de l’artiste et son engagement dans la musique consciente. Il dédie ainsi le titre Resistance au jeune écologiste Rémi Fraisse :

"Deux évènements m’ont inspiré ce morceau : la mort de Rémi Fraisse, ce jeune manifestant qui a été victime de l’explosion d’une grenade offensive, et les évènements de Charlie Hebdo deux mois plus tard. J’étais à l’étranger, loin de tout ça, mais j’ai ressenti un profond sentiment de révolte parce que j’ai clairement vu le contraste (entre ces deux faits d’actualité). Tu tues un jeune Français qui manifeste pour défendre une forêt, et après tu te dis défenseur de la liberté d’expression. Donc l’idée ici c’est de résister contre un gouvernement manipulateur..."



Naâman assume ses engagements comme il assume la positivité de son discours et se défend de toute naïveté comme cela peut être reproché à certains textes de reggae français. Ainsi, il déclare au sujet de son titre I’m Alright :

"Je revendique cette positivité parce que c’est un message qui vient du cœur. Le message de mon titre I’m Alright, ce n’est pas quelque chose de naïf, c’est bien plus profond que ça. Le message de ce morceau, c’est que la vraie révolution commence par se changer soi-même, son intérieur. La force de l’intention est une chose qui peut changer le monde tous les jours (...) Si on y croit, si on est capable de prendre sur soi et de montrer le meilleur aux gens, si on manifeste cet amour qui est en nous, on peut changer beaucoup de choses. La révolution, elle est là."



En 2017, Naâman sort son troisième album intitulé Beyond. Toujours épaulé de Fatbabs, l’artiste explore différentes sonorités (on retrouve des morceaux plus soul, gospel) et élargit le spectre de ses capacités vocales. Il invite également la légende Toots Hibert à le rejoindre sur le morceau Got to Try. L’opus de douze titres marque aussi une étape dans la carrière de l’artiste qui prend en main ses affaires en créant son propre label avec son manager Pierre « Peter » Lemaire et son producteur Fatbabs. Partisan du Do It Yourself, Naâman reprend la route avec son groupe pour diffuser ses idées et des messages sans équivoque. Il prône la prise de conscience collective, la résistance à l’oppression et la responsabilité de chacun à pouvoir changer le monde :

"On ne veut plus de partis politiques qui divisent. On veut juste que tout le monde puisse vivre décemment et ça, on peut y arriver si on décide d’arrêter d’être des moutons."

Le rythme est effréné de tournées en France et à l’étranger. Naâman remplit les salles et les festivals. Il sort même un album live retraçant différents moments forts de scène en 2019. Il cumule des millions de vues sur Youtube ainsi que les disques d'or.



La pandémie de 2020 arrive comme un signe du destin. L’artiste se pose en Inde où il réside déjà depuis plusieurs années et en profite pour créer son prochain album.



L’album tant attendu sort enfin en mars 2022 sur son label Big Scoop Records. Temple Road, du nom de la route où l'artiste vit en Inde, est un opus solaire et propose dix-sept pistes d'une grande finesse de production. Avec son acolyte de toujours Fatbabs à la réalisation des instrumentales, Naâman a voulu offrir un son qui lui ressemble : profond, mêlant reggae, hip hop, soul et même folk, le tout avec une grande humilité et dans des circonstances personnelles particulières - on lui a découvert une tumeur cérébrale en 2019 et il confie alors à ses fans avoir crée cet album comme le dernier ...



Naâman explique, à propos de tout ça : "Certaines emotions de détresse de ces dernières années sont à la base de certains morceaux tels que Cheer Up ou On The Lookout... La musique apporte du sens à ma vie et en cela elle m'aide à faire face. Je pense que la maladie en règle générale a pour effet de cultiver la force intérieure. C'est inconcevable pour moi de remettre en question ce que la vie a choisi de me faire vivre, je ne peux qu'accepter le chemin emprunté car c'est le seul, c'est mon chemin. Lorsqu’on est enfin capable de regarder les épreuves en face, on découvre en elles un infini pouvoir de transformation, d'alignement. Le fait de concevoir la mort comme une éventualité proche nous pousse à creuser notre compréhension de l'existence. Qui suis-je? C'est évidemment pas dans les livres ou sur internet qu'on trouve réponse à ces questions, regarder en soi et y déceler les processus qui nous limitent est infiniment puissant et libérateur. Cette tumeur cérébrale ne fait que remuer en moi une profonde gratitude, celle qui est là depuis le debut et qui ne me quittera jamais."

Le public n’attend aujourd’hui plus qu’une chose : retrouver Naâman en forme et en live à l’automne 2022, en particulier à Paris au Zénith le 22 octobre !



Extraits du livre Reggae Ambassadors 100% Reggae Français, La lune sur le toit, 2018

Par Reggae Ambassadors Grondeau Marsouin
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