Ijahman Levi : artiste reggae mystique
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Ijahman Levi : artiste reggae mystique

Ijahman Levi fait partie de ces artistes reggae mystiques, touchés par la grâce de la musique roots & culture. Tout amateur de musique jamaïcaine a fait son éducation à l’écoute de titres puissants et profonds comme « Jah Heavy Load » ou « Jah Is no Secret ». Il y a trouvé l’essence même du reggae : des instrumentales planantes et hypnotiques jouées au service de paroles conscientes et positives.

Les débuts de carrière de Trevor Sutherland, son vrai nom, correspondent à ceux de beaucoup d’artistes de sa génération : entre galères et misère, la passion de la musique apparaît comme la seule issue à son destin. Le jeune homme a grandi à Trenchtown, un quartier pauvre de Kingston où beaucoup de futurs grands noms de la musique jamaïcaine traînent dans les années 1950. Trevor s’y lie d’ailleurs très vite d’amitié avec un certain Robert Nesta Marley, qui pousse la chansonnette dans la rue comme lui. Le jeune adolescent veut devenir musicien et il y est encouragé un jour au hasard d’une rencontre par un monsieur blanc (et pas n’importe lequel) qui l’entend et le pousse à persévérer.

« J’ai rencontré Chris Blackwell en Jamaïque quand j’avais douze ans. C’est le premier Blanc que j’ai vu de ma vie ! Il m’a entendu chanter dans la rue et il m’a trouvé pas mal. Il m’a dit que je n’étais pas encore prêt, mais qu’il fallait que je travaille et revienne le voir un jour. »

Le jeune chanteur est alors loin de penser que Chris Blackwell est celui qui va lancer sa carrière à la fin des années 1970. Pourtant, déterminé à réussir, il suit les conseils de cet étranger bienveillant et perfectionne son chant. Au début des années 1960, le travail commence à payer puisqu’il arrive à convaincre le producteur Duke Reid de son talent.



« J’étais très jeune et je voulais être deejay. Je traînais pour me faire repérer par les différents labels comme celui de Duke Reid, celui de Sir Coxsone ou encore Beverley’s Records. C’est Duke Reid qui m’a permis d’enregistrer ma première chanson. À l’époque, tout le monde voulait travailler avec lui ! Un jour en rentrant de l’école, je suis passé à son studio, j’avais préparé mon truc, j’ai chanté ma chanson devant lui et ça lui a plu. Il m’a dit : “OK. Reviens demain !”. Quand je suis revenu, il y avait les musiciens et on a enregistré mon titre “Red Eyes People”. C’est d’ailleurs la seule fois de ma vie où j’ai entendu cette chanson, quand on l’a écoutée en studio. Je ne l’ai plus jamais réentendue. Je crois qu’elle n’est jamais sortie. »



Surnommé Youth à l’époque, l’apprenti chanteur ressort de la session plein de courage et d’envie. Il a été payé 5 pounds pour l’occasion, une belle somme à l’époque, et quand ses parents déménagent en Angleterre en 1963, il les suit avec la ferme intention de parvenir à son but, celui de vivre de sa musique. Il intègre différents groupes britanniques de reggae et mène en parallèle une carrière solo sous le nom de The Youth. Il sort quelques 45-T sur des labels européens comme Polydor ou Decca, mais un passage en prison va changer sa vie en 1972. Poussé à l’isolement et à l’introspection entre les quatre murs de sa cellule, Trevor découvre la Bible et le mouvement rastafari. Durant ses deux années d’incarcération, il applique le précepte « A chapter a day » (un chapitre par jour) et entre dans une quête spirituelle qui façonnera son identité musicale pour les décennies à venir.

Moi, Ijahman, je suis le parolier, le producteur, l’arrangeur... Je fais tout !


Lorsqu’il sort en 1974, Trevor Sutherland est un autre homme. Il se nomme désormais Ijahman et sa famille le rejette complètement. Il décide alors de retourner en Jamaïque pour retenter sa chance au pays. Il a beaucoup écrit en prison et il est désormais prêt à enregistrer comme jamais. De retour sur son île, il fait la connaissance du tromboniste Rico Rodriguez, qui prépare un album pour le célèbre label Island Records tenu de main de maître par... Chris Blackwell. Rodriguez se lie d’amitié avec Ijahman et lui propose de participer à l’élaboration du titre « Africa », qui deviendra une référence du reggae instrumental par la suite.



« Quand j’ai rencontré Rico Rodriguez, il préparait l’album “Man from Wareika” pour Island. Il m’a fait écouter un morceau, m’a demandé si j’aimais et si je pouvais écrire les lyrics, ce qui a donné “Africa”. C’est là que Chris Blackwell m’a vraiment repéré. On peut dire qu’il m’a redécouvert, ce jour-là. Chris Blackwell était là le jour où on a fait “Africa”. Il m’a entendu et m’a demandé de préparer plusieurs titres en coproduction avec Geoffrey Chung qu’il m’a présenté. Quand je suis revenu vers lui, j’avais onze morceaux. »



Parmi ces onze morceaux, Chris Blackwell en choisit neuf et les compile sur les deux premiers albums de l’artiste, « Haile I Hymn » et « Are We a Warrior ». Deux chefs- d’œuvre du reggae roots qui cassent les codes du genre. Riches en arrangements particulièrement soignés, certains titres durent plus de dix minutes et, parmi eux, LE titre emblématique de la carrière d’Ijahman : « Jah Heavy Load ». Le morceau a été écrit en prison et il résume en quelques sortes la personnalité du chanteur, contraint de supporter la lourde charge que Jah lui a donnée : celle d’assumer ses erreurs pour lesquelles il fut incarcéré et celle d’honorer son rang de nouvelle star du reggae maintenant que le label Island Records le révèle au monde.



Malgré le succès, Ijahman se sépare rapidement de Chris Blackwell en raison de nombreuses divergences, à la fois artistiques et administratives. À ce sujet, l’artiste assume sans problème sa reconnaissance envers celui qui l’a découvert, mais il conserve de l’amertume à son encontre, une rancune discrètement exprimée sur le titre « Ring the Alarm », paru sur le dernier album en date du chanteur, « Versatile Life » (2006).



« Je remercierai toujours Island et Chris Blackwell de m’avoir permis de faire ces deux albums. Mais j’ai été la pierre angulaire refusée par Chris Blackwell. Il ne m’a pas vraiment viré, mais c’est pourtant ce qui s’est passé. J’ai rencontré Chris Blackwell avant Bob Marley. Il y a un vieux proverbe qui dit : “Ce ne sont pas les premiers arrivés qui sont servis les premiers”, et un autre : “La course n’est point aux agiles, mais à ceux qui l’endurent.” Je suis encore là en tant qu’Ijahman Levi et j’ai encore beaucoup de vie en moi. »



Bob Marley et Ijahman Levi étaient amis, un respect réciproque les animait. Ijahman rendra d’ailleurs un vibrant hommage à son compère disparu dans un album de reprises paru en 1995, « Ijahman Sings Bob Marley ». Sa relation avec Blackwell, en revanche, reste en travers de la gorge de l’artiste.

« Je n’ai pas trop envie de récompenser Chris Blackwell, car il ne rétribue pas bien ceux avec qui il travaille et il ne pense qu’à l’argent ; mais il faut dire que s’il n’avait pas été là, Bob Marley n’aurait pas été si loin. Bob avait le talent, Chris Blackwell avait l’argent. Je me suis toujours demandé si Blackwell ne s’était pas intéressé à Bob parce que son père était blanc. Je suis persuadé que Chris Blackwell n’aurait jamais dépensé tout son argent pour Peter Tosh, qui était complètement noir ! »



Ijahman Levi parle de Tosh, mais c’est son propre nom qui s’inscrit en filigrane dans cette citation lourde de sens. Depuis cette histoire, l’ombre du succès international de Bob Marley plane au-dessus de la carrière d’Ijahman... Plus jamais il ne parviendra à atteindre le succès obtenu avec Island et ses deux premiers albums. Une fois son divorce d’avec Chris Blackwell consommé, Trevor Sutherland crée son propre label, Tree Roots, et continue de proposer des morceaux très spirituels qui abordent ses thèmes de prédilection : l’Afrique, le zion, la justice, l’égalité et l’amour. Sa voix angélique et profonde sert parfaitement des textes souvent inspirés des propres rêves de l’artiste. Extrêmement productif – l’homme a environ 35 albums à son actif aujourd’hui –, il lui arrive de sortir jusqu’à trois albums la même année.

Je suis protégé par Jah, car je suis sur le bon chemin.

En 1988, il réédite le sublime « Haile I Hymn » sur son label avec des mix différents, comme pour régler ses comptes avec le vieux sorcier blanc. Il propose ainsi l’œuvre qu’il aurait aimé livrer et s’octroie sans doute par la même occasion les véritables droits d’auteur qu’il explique ne jamais avoir perçus. Ijahman estime aujourd’hui à trois millions d’euros l’argent qu’il aurait dû toucher à la suite des ventes de ses deux premiers opus produits par Island Records. On comprend mieux les raisons qui le poussent à contrôler sa musique.

« Moi, Ijahman, aka T. Sutherland, je suis le parolier, le producteur, l’arrangeur... je fais tout pour moi. Tout m’appartient. C’est aussi un poids lourd à porter. Mais je suis protégé par Jah, car je suis sur le bon chemin. On n’emprunte pas tous les mêmes routes et je ne veux rien céder à personne. Ce qui est à moi est à moi. Je veux bien partager certaines choses, mais en ce qui concerne ma musique, croyez-moi, je suis égoïste. Je la partage avec le monde, oui. Mais je ne vais pas écrire des chansons pour les abandonner à je ne sais qui. »



À près de 80 ans, l’homme reste déterminé à ne plus rien partager, si ce n’est son amour de la musique avec un public qui guette chaque année les tournées d’un des derniers grands lions défenseurs du reggae roots et de ses valeurs.

Retrouvez l'artiste en tournée ce printemps. Voici ses dates françaises :
23/04/2025 – Lille – Le Splendid
24/04/2025 – Nancy – L'Autre Canal
25/04/2025 – Saint-Étienne – Le Fil
26/04/2025 – Clermont-Ferrand – La Coopérative de Mai
27/04/2025 – Strasbourg – Le Point D'eau Ostwald
29/04/2025 – Caen – Big Band Café
30/04/2025 – Brest – La Carène
01/05/2025 – Nantes – Warehouse
02/05/2025 – La Rochelle – La Sirène
03/05/2025 – Limoges – CCM John Lennon
04/05/2025 – Sainte-Bazeille – Salle des Fêtes
06/05/2025 – Bordeaux – Rocher de Palmer
07/05/2025 – Biarritz – Atabal
10/05/2025 – Perpignan – El Mediator
11/05/2025 – Marseille – Espace Julien
13/05/2025 – Nice – Stockfish
14/05/2025 – Montpellier – Rockstore
15/05/2025 – Toulouse – Le Bikini
16/05/2025 – Cahors – Les Docks
17/05/2025 – La Roche-sur-Yon – Quai M
18/05/2025 – Massy – Paul B
20/05/2025 – Le Havre – Tetris
24/05/2025 – Charleville-Mézières – Le Forum
28/05/2025 – Paris – Élysée Montmartre
Billetterie : https://bento.me/mediacomtour






Par Reggae.fr avec A.Grondeau - J.Marsouin - L.Achour
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