Les liens entre le dancehall jamaïcain et le Rap Us ne sont pas récents. De nombreuses collaborations ont déjà réuni les deux rives de la mer Caraïbe : Junior Reid avec le Wu Tang Klan, Elephant Man et P. Diddy ou Busta Rhymes, Sizzla et Lil Wayne ou encore Foxy Brown, Bounty Killer et Mobb Deep. Au fil des années, ces associations d’artistes ont tissé un pont solide entre deux styles de musiques qui possèdent de nombreux points communs. Car s’il reste une émanation directe du reggae, dont il constitue la branche la plus radicale, il faut bien avouer qu’il existe peu de similitudes entre les artistes roots aux discours conscients bien que rebelles, et les lyrics crûs et brutaux, dévolus aux guerres de gang qui ensanglantent les ghettos de Kingston, du dancehall jamaïcain actuel. De ce point de vue, ce dernier style musical se rapproche fortement du Rap Hardcore tant par les thèmes abordés que les modes et les codes culturels. Revendication d‘un style de vie bling bling, lyrics souvent violents et machistes, culte du clan, battle de danseurs, le dancehall s’est clairement émancipé de son style originel pour se rapprocher du Gangsta’ Rap. Pour s’en convaincre, il suffit de s’intéresser à Mavado, l’artiste dancehall le plus en vogue du moment. Mavado, David Brooks de son vrai nom, est très certainement aujourd’hui l’artiste jamaïcain le plus recherché sur le marché du disque. Son gimmick « Gangsta for Life » a fait le tour de l’île avant de faire celui du monde jusqu’à se retrouver dans la bande-annonce de GTA IV, le jeu vidéo interdit aux moins de 18 ans réputé pour son ultraviolence. Son récent titre « On the Rock » a séduit Jay-Z qui a décidé de signer le morceau sur son label et de le remixer pour le marché US. Surfant sur cette vague de succès, Mavado a même posé récemment un morceau sur la mixtape de soutien au candidat et désormais président Barack Obama. Derrière ces aspects commerciaux, il ne faut pas se méprendre. Mavado tient plus de Tupac Shakur et Biggie Small dans son attitude que de Bob Marley, même si on oublie trop souvent que ce dernier a appelé à tuer un shérif dans un tube planétaire popularisé par Eric Clapton. Membre de l’Alliance, collectif de deejays jamaïcains hardcore dirigé par Bounty Killer, lui-même actuellement en délicatesse avec de nombreuses associations de lutte contre l’homophobie, les lyrics de Mavado sont explicites : faire beaucoup d’argent et être un gangster pour la vie. Tout un programme pour cet enfant du ghetto de Cassava Piece, l’un des plus violents de Kingston. Récemment, il s’est vu retirer son visa de travail américain parce que la justice de son pays l’accusait de possession illégale d’armes. Il vient tout juste d’être innocenté de ces griefs, mais n’en reste pas pour autant un enfant de cœur. Ses lyrics violents l’ont fait interdire de séjour en Guyane et aux Grenadines où il était attendu pour une série de concerts. Pas de quoi arrêter pour autant la marche en avant de cet artiste de 27 ans qui truste les premières places des charts de son pays avec ses titres « Last Night », « Don’t Worry », « Money Maker » et bien sûr « Gangsta for Life ». Car artistiquement parlant, Mavado est probablement ce qui est arrivé de mieux au dancehall depuis longtemps. Sorte de prêcheur macabre, qui se fait le porte-parole d’un peuple à la dérive, livré sans défense à la violence et la drogue, Mavado n’a pas à chercher loin son inspiration. Le « Gully God », un de ses surnoms qui signifie littéralement le Dieu du caniveau, ne vit pas dans un monde tout rose et il le fait savoir musicalement. Original, son flow colle à cette musique comme une seconde peau. Les sujets qu’il aborde sont ceux de ses contemporains et compagnons de galère. C’est cette authenticité alliée à un talent artistique indéniable qui plaisent tant. Alors oui, ses lyrics sont durs, parfois outranciers, et la place qu’il accorde aux femmes est pour le moins peu valorisante à l’image de son clip « Squeeze her », mais sans que cela puisse l’excuser, Mavado parle d’où il vient et constitue de fait un témoignage radical sur la jeunesse des ghettos de Jamaïque. Et il faut croire que ce message a une valeur universelle puisque son premier album sorti chez VP Records a remporté de nombreux prix un peu partout dans le monde dont celui de meilleur artiste reggae 2008 décerné par le Rolling Stone US jusqu’à la France où il a récolté le Web Reggae Awards, catégorie Dancehall. Paradoxal, Mavado l’est certainement car comme beaucoup d’enfants du ghetto il aspire au succès, à la richesse et tous les avantages qui vont avec, même s’il se déclare rasta sur « Don’t Worry » . La réussite, il l’a obtenue avec son premier album et son second opus, tout juste sorti en Europe « Mr Brooks … a better tomorrow » vient installer durablement l’artiste comme numéro 1 sur la scène dancehall mondiale. Seul son pays natal hésite encore à le positionner comme leader du style. Sa suprématie est en effet contestée par Vybz Kartel, l’autre grand nom du dancehall actuel. Ces deux-là n’ont de cesse de s’invectiver par morceaux interposés et le buzz est monté jusqu’au dernier Sting (le festival jamaïcain historique des clash entre artistes) où Mavado et Vybz Kartel se sont affrontés près de dix minutes sur scène. Verdict ? Pas de vainqueur. Si Mavado est soudainement parti sur scène il avait su auparavant retourner un situation bien mal embarquée grâce à une bonne dose d’humour qui avait retourné une partie du public. On parle désormais d’une revanche mais les mauvaises langues voient plutôt dans leur confrontation un moyen de faire perdurer le buzz qui fait la une des journaux jamaïcains. L’histoire du dancehall est d’ailleurs parsemée de ces oppositions entre artistes (cf Bounty Killer et Beenie Man notamment). Mavado, première gangstar du dancehall ? La question mérite d’être posée et Mavado viendra y répondre directement le 12 mai prochain après son premier concert en France. L’événement aura lieu au Cabaret sauvage et Reggae.fr est bien sûr partenaire de la soirée.