La musique jamaïcaine s’est égarée. Elle a perdu sa force, cette identité positive et créative, ses textes comme ses mélodies. Cette force qui la caractérisait pourtant depuis sa naissance au début des années 60 jusqu’à quelques années après la mort de son leader incontestable Bob Marley en 1981.
Cependant, il existe encore des artistes qui tentent de poursuivre et de persévérer sur les pas de leurs pères. Des pères qui avaient élevé le reggae à un niveau mondial autour de valeurs apolitiques de paix, d’amour et d’harmonie. Derajah appartient à cette catégorie.Aujourd’hui, et depuis 25 ans, malgré quelques sursauts réguliers du « reggae conscient » (à travers des artistes comme Garnett Silk par exemple, qui reste, vingt ans après sa mort, le premier fer de lance de ce courant post Marley), la scène artistique de l’ile est globalement dominée par des artistes qui prônent la violence et la guerre des gangs. Les clashs constants des artistes du moment comme Vybz Kartel et Movado autour de leur quartier surnommé Gaza en sont l’image la plus probante. De cette tendance lourde, c’est toute la Jamaïque qui en pâtie ; le pays se maintient depuis trop longtemps dans le top 5 des pays où le taux d’homicide est le plus élevé au monde. Ce mal est d’ailleurs surreprésenté dans l’album de Derajah, qui ne compte pas moins de deux titres sur des proches perdus par mort violente. Son ami Mario («Mario») et surtout sa sœur («My sista»), assassinée sous ses yeux : « Oh ma sœur tu me manques / Et c’est pour toi que j’ai écris cette chanson, et je te la chuchote / Quand tu es partie je l’ai ressenti au plus profond de mon corps / Tout a changé depuis / Maman pleure chaque jour et papa aussi / Ton petit frère t’appelle / Je me souviens parfaitement de cette nuit / Quand le monstre est apparu pour te prendre la vie / J’étais dans l’obscurité et eux, debout dans la lumière / Et c’était évident à l’éclairage de la rue / Qu’ils avaient des armes / Mais je ne savais pas qu’ils avaient prévu de mettre un terme à ta vie / Sinon je l’aurais sauvée … »
Nouveau souffle de la scène Roots jamaïcaine, Derajah possède une voix envoutante, profonde et éthérée. Auteur, compositeur, interprète, producteur, il débute sa carrière à la fin des 90. Ses talents le mènent à collaborer avec les plus grands, à commencer par Sugar Minott dont il fut très proche, puis Kiddus I et Earl « Chinna » Smith. Cette dernière rencontre sera décisive; au sein du collectif Inna Di Yard, Derajah est pressenti par les pères fondateurs comme la relève du Roots Rock Reggae. Ses titres «Well Ah Oh» et «Who Yeah Ya», sortis sur les albums Inna Di Yard du label Makasound entre 2005 et 2009, feront l’unanimité lors des tournées européennes du collectif en 2009 et 2010. Doué d’une aisance vocale remarquable, passant du «Churchical Chant» au «toast» rugissant, il pose ses paroles « conscientes » avec versatilité sur les différents courants de la musique jamaïcaine. À tout juste 30 ans, Derajah est un artiste complet, l’un des plus prometteurs de sa génération.
Né à Kingston à la fin de l’âge d’or du reggae, Derajah a grandi dans un environnement familial équilibré, en musique, entouré par deux sœurs, un frère et ses parents. Durant sa jeunesse, il est confronté aux deux mondes musicaux qui ont formé la plupart des artistes jamaïcains : d’un coté le reggae, musique de la rue, fierté nationale qui résonne constamment à chaque coin de rue , et de l’autre les chants d’église où sa maman excelle encore aujourd’hui : « Ma mère a toujours été une grande chanteuse dans les églises du quartier, et d’ailleurs elle y chante toujours ; cela a surement participé au soutien de mes parents qui m’ont toujours poussés à persévérer dans la musique ». Les oreilles de Derajah s’initient donc à la musique avec d’un coté Bob Marley, Sugar Minott et des artistes internationaux comme Stevie Wonder et Michael Jackson, et de l’autre les « churchical chants » (chants d’église). Mais l’influence décisive qui le poussera rapidement vers un choix de carrière artistique est celle de son cousin Black Pearl, artiste d’une scène très locale, celle du quartier. En sortant de l’école, le jeune Deraja Mamby aime trainer aux abords des sound-systems ; ce qui l’incite peu à peu à battre le rythme pour des DJ et chanteurs en herbe, avant de mettre le nez dans les cahiers de chanson de son cousin qui lui ouvre les yeux sur les formules d’écriture et la construction d’un morceau : « ça n’est que lorsque je me suis penché sur les cahiers de mon cousin que j’ai compris comment bâtir un morceau, autour de la formule refrain /couplet/refrain, et de trouver les phrases clés pour un bon texte ».
DERAJAH & THE DONKEY JAW BONE
Le chanteur jamaïcain et le groupe français se rencontrent à Kingston en décembre 2007. Entre Derajah et les Donkey Jaw bone, l’alchimie opère immédiatement. Dans la foulée, ils enregistrent au mythique studio Tuff Gong quatre titres, première pierre de leur aventure musicale et humaine. Entre Paris en Kingston, le groupe élabore des riddims originaux, un reggae puissant et mélodieux, un son authentique teinté des accents plus modernes de la musique jamaïcaine contemporaine. Les arrangements, fouillés, offrent une large place aux percussions ; les morceaux s’étirent dans une progression dub. Il y a fort à parier qu’ils rassembleront les amateurs des courants Roots / Nayahbinghi et ceux des styles New Roots actuels.
Après s’être déjà produit sur les scènes des Printemps de Bourges, Paléo, Dour, Escales de St Nazaire, et autre Cabaret Sauvage avec la formation Inna de Yard, c’est avec les Donkey Jaw Bone que Derajah sillonnera désormais les routes de France et d’Europe en 2012.