Harrison, peux-tu nous présenter ton groupe ?
Harrison : Bien sur, je vous présente
Groundation :
Ryan Newman le bassiste,
Kelsey Howard au trombone,
Derry Armstrong aux chœurs,
Marcus Urani aux claviers,
David à la trompette,
Paul Spina à la batterie et
Mingo Lewis Junior aux congas et percussions. Tout a commencé avec nous trois : Ryan, Marcus et moi-même. Paul Spina est à la batterie depuis "Hebron Gate". Mingo suit le groupe depuis longtemps mais nous a récemment rejoint. On devait partir avec notre percussionniste habituel mais sa mère est tombée malade à la dernière minute alors c'est avec Mingo que nous avons fait le voyage. Derry chante avec nous depuis le mois de septembre et…nous sommes vraiment ravis d'être ici.
Le jazz a-t-il été votre première inspiration ?
Harrison : La plupart d'entre nous vient du jazz en effet. Mais chacun a différentes influences allant du hip hop au rock. C'est à l'Université que nous nous sommes rencontrés tous les trois.
Ryan : On a tous joué du jazz avant de se mettre au reggae. Moi-même, j'ai repiqué des lignes de jazz bass. Ca a été ma première musique avant de me pencher sur celle de
Bob Marley par exemple.
Quelles sont vos principale influences jazz ?
Ryan : Waou ! Il y en a tellement ! …Miles Davis, Charles Mingus, Coltrane…et même des trucs plus récents.
Comment le jazz s'insère-t-il dans votre reggae ?
Harrison : Je pense que la musique prend la forme que les individus du groupe veulent bien lui donner. Ce qui est clair c'est qu'on ne se dit jamais :
"Essayons de faire un bridge jazzy, une walking-bass ou un truc qui swingue…", tout se décide en jouant. Nous jouons la musique que nous aimons. Personnellement, le roots reggae est la première musique que j'ai véritablement entendue et avec laquelle j'ai grandi. A l'Université nous avons étudié la musique et avons pu nous 'mesurer' au reggae. Le jazz n'a pas été un vrai choix, mon père vient du jazz d'ailleurs. Dans notre musique, chacun a un parcours musical qui lui est propre et je pense que la musique porte cet esprit en elle.
Ryan : Je pense que c'est au niveau de la performance que cela devient quelque chose de très ouvert avec beaucoup d'improvisations. Notre musique ne s'arrête pas au caractère répétitif. En concert, les gens réagissent d'une façon définitivement jazz et je pense que cet aspect n'est pas toujours vrai dans le reggae.
Harrison : Le reggae a lui-aussi cette ouverture. Il y a tant de façons d'aborder le reggae. Ici, on voulait vraiment un album particulier, jamais entendu auparavant. Personnellement, je n'ai jamais entendu d'autres groupes faire ce genre de musique. Les musiciens sont extrêmement talentueux et se font confiance. On essaie donc d'en faire une force. De nombreux groupes ne marchent pas comme ça. On essaie de préserver cette force en live et cela amène parfois des erreurs mais, la plupart du temps, il y a vraiment de bons trucs qui se produisent, des trucs qu'on ne pourra jamais refaire. Ca fait partie des raisons pour lesquelles on a envie de continuer à jouer.
Comment écrivez-vous vos chansons ?
Harrison : C'est quelque chose de collectif. On a de nombreuses façons d'aborder la composition. Les gens du groupe jouent et composent des morceaux. Marcus par exemple apporte quelque chose de plus moderne et va nous faire changer un refrain ou autre.
Ryan : Ca a été différent pour chaque album. Avec celui-ci, on a commencé par reprendre des chansons de cassettes de démo. On les a rejouées en trouvant d'autres arrangements ensemble sans perdre l'esprit du morceau de départ qui sonnait déjà très bien.
Harrison : C'est comme sur
"Hebron Gate" qu'on a à moitié piraté d'une de nos cassettes live. On a d'abord parler de structure et de ce qu'on voulait faire. On voulait garder cette partie improvisée mais les choses ne viennent pas toutes seules dans le reggae. Après cet album, on a recommencé des séances d'improvisation et sept mois plus tard l'album sort ! On n'a pas arrêté de l'écouter en nous disant qu'on avait réussi à retranscrire ce qu'on voulait vraiment. On écrit parfois autrement mais c'est vraiment très rare que quelqu'un dise :
"Voilà ma chanson, elle est finie et c'est comme ça qu'on doit la jouer." Cette approche collective nous permet de garder notre musique vivante.
Vous avez collaboré avec des célébrités comme Ras Michael, Don Carlos, Cedric Myton. En tant que jeunes blancs américains, avez-vous eu du mal à être acceptés et reconnus par ces vétérans ?
Harrison : Les Elders de la communauté Rasta nous témoignent beaucoup de respect. On n'a jamais vraiment eu de problèmes car quand tu les rencontres, ils entendent ta musique, ils voient ce que tu fais et comment tu travailles, ça marche aussi pour le public. Les Rastas nous ont vraiment accueilli chaleureusement. Les groupes de reggae, eux, connaissent peut être des difficultés. Mais ces vétérans adorent bosser avec
Groundation. Nous restons très humbles d'avoir pu travailler avec ces chanteurs, ces légendes mais ils ont toujours été très réceptifs à notre musique. Apple l'a fait,
Don Carlos est sans arrêt en train de parler de
Groundation et nous a donné de nouvelles directions en apportant des changements dans nos chansons. Pour Cédric, c'est la même chose. Ils se sont tous concentrés sur le projet pour faire une production de qualité avant tout.
David : Ils nous aiment bien et nous respectent. Je ne dirai pas ça de toute la scène reggae jamaïcaine, encore que…, mais les artistes qui ont travaillé avec nous ne l'auraient pas fait s'il n'y avait pas eu ce respect mutuel.
Ryan : La musique qu'on fait est directement inspirée de ce qu'ils ont apporté à l'époque en terme d'innovation donc je pense qu'ils peuvent entendre que c'est un prolongement de leur musique.
David : C'est la musique qu'ils ont produit qui les rend si respectables.
Harrison : L'opinion qu'on nous renvoie souvent c'est que notre musique est différente et qu'elle adopte une forme différente. Je le vois plus comme une évolution du roots, une perspective. La musique change tellement ! Le reggae s'est mêlé à la pop et différents styles. Je pense que
Groundation suit cette lignée. Il n'y a qu'à regarder les
Wailers. Leur musique n'était pas … conventionnelle. Il n'y avait pas qu'une seule ligne plaquée sur un one drop, ils ont intégré des éléments de pop qui ont rendu leur musique unique. On essaie de faire la même chose en fonction de ce que chacun recherche. Il nous faut trouver notre espace.
Quel est le sens du titre "We Free Again" ? Est-ce une façon d'en finir avec la politique de Bush ?
Harrison : Dans
Groundation, il y a de profondes significations qui se perpétuent et c'est comme ça que notre musique s'est élevée. Nous voulions un titre fort pour cet album mais
Groundation n'est pas un groupe ouvertement politique. On ne se voit pas insérer dans nos chansons : "Bush par-ci, Bush par-là". Nous parlons de choses plus spirituelles, de communauté, de tout le monde ! Nos chansons ne concernent pas des trucs de présidence ou de race, cela concerne ce que nous avons tous en chacun de nous. On s'en fout de savoir qui est le vainqueur, l'important est au bout d'un long chemin et nous concerne tous en tant qu'individus qui, ensemble, peuvent utiliser notre intelligence et mener un combat. En ce sens, nous sommes engagés mais c'est plus une réflexion sur nous-mêmes. Cela ne tourne pas autour d'une seule personne. "We Free Again", c'est juste
Groundation qui continue de faire avancer la musique. La musique est au cœur de nos préoccupations et c'est à la musique de se surpasser.
David : Tu peux changer politiquement les choses par la musique et on a pu le comprendre avec
Bob Marley. Il a changé la face du monde d'un point de vue politique grâce à sa musique. Nous ne sommes pas des politiciens mais nous voulons que ça change…..mais on n'a pas voté pour Bush !!! (rires)
Harrison : Parce qu'il a gagné ? (rires)…on est Californiens vous savez…
Groundation : Et nous nous excusons pour le reste de notre pays….
Harrison : Vous n'avez pas encore entendu l'album mais quand vous l'entendrez, vous vous rendrez compte de l'esprit. C'est un vrai combat !
Le nom du groupe fait référence à un mot spécifiquement rastafarien, comment placez-vous Rastafari dans votre carrière et dans votre vie ?
Harrison : En Jamaïque, tu as la Grounation (sans le D) qui peut être vue comme la première visite de Selassie en Jamaïque (avril 1966 ndlr). La maison des Nyabinghi a longtemps porté ce nom.
Groundation est quelque chose de différent qui vient néanmoins de l'héritage jamaïcain et des racines rastafariennes du roots reggae.
Groundation ne signifie pas que nous essayons de nous impliquer dans ces questions de classes sociales et de races. Nous essayons juste de rappeler qu'il y a des gens qui tentent de survivre. Tu dois être près de la terre (ground) et c'est ici un premier pas avant celui de la raison. Nous rappelons que personne n'est au-dessus des autres et que nous vivons tous ensemble. On ne doit pas chercher qui est plus fort que les autres. C'est un combat global. En ce qui concerne Rastafari, je pense que chacun d'entre nous pourrait apporter une réponse différente en fonction de son vécu. La musique découle de ces aspirations et selon moi, Rastafari signifie la renaissance de la conscience et de l'unité. Ce n'est que sur les dernières années du mouvement que sont apparus les dreadlocks et les barbes. Les rastas ont alors délibérément choisi de se mettre en marge de la société. Le patois rasta vient lui aussi de là, cela a été une façon d'affirmer sa non-appartenance au système. Voilà ce dont à quoi nous aspirons. Pas dans le sens des dreadlocks mais c'est le même esprit, le même univers.
Ryan : Pour être honnête, je pense que l'on peut retrouver notre sens des valeurs dans la plupart des religions pacifistes.
Harrison : Personnellement, Rasta a eu une place très importante dans ma vie et on appris tant de choses venant des Elders rastas. Le monde entier est constitué de bons et de mauvais. On est tous là pour donner le meilleur et c'est précisément ce qu'est Rasta.
Merci Groundation…
Harrison : Merci à vous d'être venus ici pour nous…