Commémoration de Bob : extraits cadeaux
dossier Roots 46

Commémoration de Bob : extraits cadeaux

A l'occasion de la commémoration des 40 ans de la disparition de Bob Marley (né le 6 février 1945, décédé le 11 mai 1981), nous vous offrons quelques bonnes feuilles de Bob Marley un héros universel, le dernier ouvrage d'Alexandre Grondeau, illustré par Adrian Boot, sorti aux Editions La lune sur le toit et réédité en 2021 !


Extraits choisis :

" Chapitre 1 : En finir avec Bob Marley, caricature bobo pour rebelles sans cause (Extraits)

Les anniversaires sont toujours une occasion de se réjouir ou de se souvenir : se réjouir d’avoir autour de soi les êtres que l’on aime, rassemblés pour nous aider à passer une nouvelle année ; se rappeler les personnes disparues trop tôt, celles qui laissent un vide manifeste, une absence douloureuse. Pour les célébrités qui ont marqué leur temps, et qui ne sont plus, les dates anniversaires permettent un travail de mémoire, de souvenir, de recontextualisation de leur oeuvre, de remise en perspective des traces laissées dans une époque révolue. La mort d’un artiste est aussi parfois l’occasion de faire un pied de nez au destin d’une personnalité extraordinaire ignorée par ses contemporains. C’est le cas de tous
ces écrivains, poètes, peintres maudits de leur vivant, sans le sou et tout à leur dénuement quand la postérité leur a réservé la gloire, l’opulence des salles d’enchères ou les reliures prestigieuses au papier haut de gamme : Van Gogh, Camille Claudel, Rimbaud, Nietzsche… Ou encore ces musiciens n’ayant jamais su combien leurs morceaux avaient connu un succès planétaire, tels Vera Hall, Bessie Jones, Bill Landford dont les samples firent la fortune de Moby dans son album Play (1999), vendu à plus de dix millions d’exemplaires. On se rappelle aussi Sugar Man, ce formidable documentaire oscarisé en 2013, primé au festival indépendant de Sundance un an auparavant, et relatant l’histoire vraie de Sixto Rodriguez, chanteur aux deux albums restés dans l’anonymat de l’industrie américaine du disque, et redevenu ouvrier maçon pendant plus de vingt ans sans savoir qu’il était une rock star adulée en Afrique du Sud.
On pense moins à l’aubaine mercantile découlant de ces commémorations tellement profitables aux marchands de « bonheur » pour faire fructifier leurs petites (ou grandes) entreprises. La disparition d’un artiste est une formidable occasion de se remplir les poches en éditant un album posthume sorti de nulle part ou une compilation des meilleurs morceaux, faces B ou remixes. Amy Winehouse n’a ainsi jamais autant vendu de disques qu’après sa mort. Le grand public sait être versatile et ingrat. Il paie quand il n’a pas su reconnaître le talent d’un homme de son vivant. Triste récompense.
Pour Bob Marley, l’indécence passe un stade : celui de l’instrumentalisation post mortem par l’aseptisation de ces messages subversifs et son établissement en icône de la pop culture internationale capable de plaire à tout le monde, et d’abord à la ménagère de moins de cinquante ans si chère aux publicitaires. Le problème, rappelait Sacha Guitry, c’est que « plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui » ; et Bob n’a pas fait carrière pour devenir l’idole de préadolescents boutonneux de la classe moyenne occidentale, de néo-hippies nostalgiques de la beat generation ou de rastas blancs en sarouel multicolores et au bonnet vert, jaune, rouge. Non, Nesta ne se voulait pas leader des altermondialistes de salon ou des WASP porteurs de drapeau du lion de Judée, pétard à la bouche, regard rougi par le THC et dreadlocks synthétiques sur la tête.

Chapitre 3 : Un héritage musical immense (Extraits)
 
Chaque mélomane peut trouver son bonheur dans la carrière du Tuff Gong. Pour nombre de rebelles et
d’activistes politiques, il est un prophète, chanteur de Revolution (1974) ; pour les panafricanistes, il est l’auteur de la chanson mythique Zimbabwe (1979) ; pour les amants des bancs publics, il est celui qui se demande Is This Love (1978) et souhaite aimer All Day All Night ; la beat generation, les hippies et leurs rejetons l’adulent comme l’incarnation humaine de l’hédonisme… Les voyous aiment son côté rude boy, les filles succombent à son charisme et son sex appeal, les adolescents admirent sa dégaine et son look, les mystiques respectent ses dreads et ses combats, les pauvres vénèrent sa rage et sa volonté de réussir. On a tous en nous quelque chose de Bob Marley. La star jamaïcaine s’adresse à tous les citoyens, quels que soient leurs statuts sociaux, leurs engagements politiques ou leur notoriété. C’est une autre caractéristique du leader des Wailers que de provoquer l’amour et l’admiration autant de la part d’anonymes que de celle d’artistes reconnus.
De Mick Jagger à The Clash, en passant par Jean-Michel Basquiat, Ben Harper ou Lenny Kravitz, les plus grandes stars mondiales ont indéniablement été fascinées par l’énergie scénique et mystique de l’auteur de Get Up Stand Up (1973). Certains ont même repris des titres de Bob, à l’instar d’Eric Clapton dont l’interprétation d’I Shot The Sheriff a été classée numéro un au Billboard américain. L’immense popularité du titre, présent sur l’album 461 Ocean Boulevard, a largement contribué à faire connaître Bob Marley aux États-Unis et relancé par la même occasion la carrière du guitariste américain. Pour l’anecdote, le succès du titre de Clapton permit à ce dernier de passer à la radio jamaïcaine bien avant que le titre original de Bob (sorti en 1973 sur l’album Burnin’) ne rencontre également le succès.
 
Chapitre 5 : Un révolutionnaire sans concession (Extraits)

Pour Bob, la misère socioéconomique du 20e siècle est la déclinaison moderne de l’aliénation implacable dont sont victimes ses contemporains. Non, la violence de Babylone ne s’est pas arrêtée avec la fin de la colonisation et l’indépendance des pays et des peuples. La lutte pour la libération apparaît à l’artiste encore bien longue, et les écueils nombreux pour accéder à la justice sociale et raciale. Pour se libérer, l’Afro-Américain doit « s’émanciper de l’esclavage mental » que Bob chante dans son dernier titre Redemption Song (1980) en s’inspirant d’un discours datant de 1937 prononcé par l’intellectuel panafricaniste Marcus Garvey.
Toute une partie de l’engagement politique de Marley fait écho aux écrits et à l’activisme de Garvey qui a dédié son existence à l’unité du peuple noir et à la défense des droits des descendants d’esclaves, en particulier celui du retour en Afrique. Son journal The Negro World, sa compagnie de bateau la Black Star Line sont des exemples des nombreuses et incessantes actions entreprises par Marcus Garvey en faveur des Afro-Américains. Mais plus encore que ses actes, les écrits et les discours de cet intellectuel
jamaïcain sont fondateurs pour le mouvement rasta et pour Bob Marley. On lui doit le slogan « Un Dieu,
un but, une destinée, » emblématique de l’association Universal Negro Improvement Association and African Communities League qu’il avait fondée en 1914 et qui, plus tard, annonça à son peuple : « Regardez vers l’Afrique, où un roi noir sera couronné, qui mènera le peuple à sa délivrance. » Des mots lourds de sens qui ont fait dire au fondateur du Pinacle, Leonard Howell, que la prophétie garveyiste s’était réalisée avec le couronnement d’Haïlé Sélassié à Addis-Abbeba en Éthiopie. La place de Marcus
Garvey dans le champ intellectuel rasta est centrale, même si l’origine de cette phrase est toujours débattue par les experts.
Le leader des Wailers connait son histoire et s’inscrit dans sa filiation intellectuelle. Il lui rend hommage ainsi dans So Much Things To Say : « Ils ont vendu Marcus Garvey contre du riz », en référence à une élection perdue par l’activiste politique dans son pays contre un adversaire clientéliste qui avait promis aux citoyens de la nourriture contre leurs votes. Dans de nombreux titres, Bob Marley poursuit le combat de Garvey pour la libération des Noirs, même s’il sublime le tout grâce à son talent et à l’invraisemblable machine de guerre musicale que sont devenus les Wailers. En tournée, la lourde et massive basse de Family Man vient souligner les siècles de domination coloniale qu’évoque le titre 400 Years (1970).

Chapitre 6 : Métis cosmopolite et mystique rasta (Extraits)
 
En devenant rasta, Bob Marley s’est fait l’apôtre spirituel du drapeau rouge, jaune, vert, floqué du Lion de Judée. Les couleurs panafricaines deviennent l’étendard du Tuff Gong et montrent son dévouement à un mouvement révolutionnaire et libérateur trouvant ses fondements dans le sang versé par les esclaves (le rouge), la richesse spirituelle et solaire (jaune) et la Terre Mère, incarnation du royaume divin (le vert). La convergence de ces trois éléments installe les préceptes rasta comme un mode de vie difficile à cerner tant il existe de définitions les concernant.
Malgré cela, Bob va adopter de manière progressive cette philosophie qui trouve notamment ses fondements dans les textes de Garvey et le couronnement d’Haïlé Sélassié. Le chanteur remarque très tôt que, face au pouvoir colonial et économique, il n’existe pas beaucoup d’alternatives pour les habitants de Trenchtown : la violence et la vie de gangster, la galère et la vie de musicien, la misère monétaire mais la richesse spirituelle du destin d’un rasta. Marley se convertit à la suite de Rita et de nombre de ses proches, mais surtout après ses entretiens réguliers et soutenus avec Mortimer Planno, l’homme qui lui fera découvrir le lien entre mysticisme des campagnes et mysticisme rasta. Celui que beaucoup considèrent comme l’un des principaux leaders du mouvement rasta, fondateur de la Rastafari Movement Association, initiateur d’une des premières Groundation à Back o’Wall à la fin des années
1950, est un mentor pour Bob. Il l’initie aux rituels rastas : les cérémonies nyabinghi, le régime végétarien (ital), l’usage du chalice plein de weed indispensable à la méditation divine… Il l’aide à se réconcilier avec certains de ses rêves inexpliqués et à accepter ses dons et ses visions. Bob, l’enfant mystique qui voyait les esprits, embrasse ainsi la spiritualité rasta, libératrice et émancipatrice. Il
la place au-dessus de tout : « Rastafari, ce n’est pas une culture, c’est une réalité45. » À la fin des années soixante, l’artiste met en chanson cette dernière réalité avec le titre Selassie Is the Chapel sur lequel on entend les percussions nyabinghi sacrées de Ras Michael et de son groupe The Sons of Negus. Le résultat est profond et hypnotique, tout autant que les paroles sont explicites.

Chapitre 10 : Reggae Boyz et numéro 10  (Extraits)
 
Malgré ses points communs avec El Pibe de Oro, et sa passion pour les attaquants argentins Villa et Ardilles, c’est pourtant du côté du Brésil qu’il faut se tourner pour mieux comprendre la passion de Bob Marley. Le chanteur jamaïcain est un fervent supporter de la Seleçao et de son maillot jaune aux trois étoiles (aujourd’hui l’équipe nationale en compte cinq), de son attaquant légendaire, Pelé, et du club historique du plus grand joueur de tous les temps, Santos. Il insiste d’ailleurs auprès des journalistes pour qu’on le surnomme le Pelé du reggae, plutôt que le pape du reggae, c’est tout dire de son amour pour le football. La reconnaissance est d’ailleurs réciproque puisque le roi Pelé a twitté en 2014 qu’il aurait volontiers échangé quelques passes et joué quelques accords avec Bob Marley. Les légendes reconnaissent les légendes. Pas sûr néanmoins que Bob ait apprécié ce que l’homme Pelé est devenu après sa formidable carrière : ses compromissions médiatiques et promotionnelles, son amour de l’argent et du pouvoir, son narcissisme. Le chanteur jamaïcain n’aurait pu cautionner les dérives de celui que beaucoup d’experts jugent être le plus grand footballeur de tous les temps.
Non, s’il y avait un seul joueur de football, brésilien qui plus est, à qui l’on devrait comparer Bob Marley, cela ne serait pas Pelé. Notre choix se porterait sans hésiter sur Sócrates. Un peu trop jeune pour que le chanteur jamaïcain ait vu l’élégant milieu droit offensif rayonner totalement sur un terrain de football, le buste droit et les jambes interminables. Grand spécialiste de la talonnade, on le surnommait le Talon de Dieu lors de son passage à la Fiorentina en Italie. Il y avait du velours dans les passes du Brésilien, et de la dynamite dans son esprit. Comme Bob. Capitaine emblématique du club de Sao Paulo, Corinthians, Sócrates, le natif de Belém, une ville située au nord du Brésil, est également poète, musicien et titulaire d’un doctorat de médecine. Il écrit et joue de la guitare avec une dextérité certaine, après avoir passé une grande partie du début de sa carrière à sécher les entraînements pour aller suivre les cours à la faculté de médecine. Le joueur est génial et l’homme est curieux de tout.

BOB MARLEY : Un héros universel
Alexandre Grondeau
Editions La lune sur le toit
200 pages

Le livre d'Alexandre Grondeau illustré par Adrian Boot est dispo partout et sur notre boutique partenaire ICI => https://www.lalunesurletoit.com/home/30-bob-marley-9782953883480.html
Par Reggae.fr
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