C'est un très beau projet solo que l'artiste dub lillois Weeding Dub a sorti il y a quelques semaines. Intitulé Where We Come From (Wise & Dubwise Recordings, dispo ici), ce 16 pistes regorge d'éclectisme comme seul le reggae peut en offrir. Allant du reggae roots, au dub, en passant par le stepper, des notes électro et même quelques rythmes ska, sans oublier des vibrations venues de l'est tout à fait séduisantes, Weeding Dub se fait plaisir en invitant sur ses créations des chanteurs comme le jamaïcain Vivian Jones, l'anglais Solo Banton, l'italienne Marina P ou encore le violonniste Ras Divarius mais aussi Little R ou encore Oulda en combinaison avec le rappeur anglais Skatta.
L'occasion était toute trouvée pour nous entretenir avec cet artiste de talent.
Reggae.fr : Comment l’aventure Weeding Dub a-t-elle démarrée ? Comment as-tu découvert et intégré la scène reggae-dub ?
Weeding Dub : Ado dans les années 1990, j'ai commencé par intégrer des groupes de rock, comme beaucoup dans ces années-là. Ça a été mes premiers apprentissages dans la composition. J'ai tout de suite adoré ça. J'ai ensuite voulu aller plus loin avec la MAO que je découvrais alors via les musiques électroniques, pendant que des potes montaient un groupe de reggae roots de leur côté. Et il a fallu qu'un jour je mélange nos deux styles de musique (musiques électroniques et reggae) pour qu'un bon pote me dise en l'écoutant : "tiens, tu fais du Dub toi maintenant ?".
"Le Dub"... Je connaissais alors à peine le nom... Je repars de chez mon pote avec quelques disques dub (Vibronics, Zion Train, Adrian Sherwood, Improvisators Dub...) et je me prends une claque en découvrant ce style qui me permettait à la fois de faire danser les gens, de triturer le son comme j'aimais le faire dans les musiques électroniques, mais qui en même temps laissait la part belle aux mélodies et aux arrangement propres au reggae. Je découvre petit à petit cette musique, son énergie, sa puissance, son côté méditatif parfois, et son histoire aussi, issue du reggae, de son message, de ses revendications... Les premières sessions sound system auxquelles j'assiste me confortent tout de suite dans mon envie de participer à ce mouvement où la danse et le côté conscious de la musique sont si étroitement liés. Merci au Chalice Sound System, au Free I Café, de m'avoir montré l'importance de cet état d'esprit dans notre musique.
"Rares sont les styles de musique autant liés à une philosophie de vie."
L’avènement de la techno électro a grandement révolutionné la musique. Comment ces styles sont venus s’intégrer à ta production musicale ?
L'arrivée des musiques électroniques a littéralement révolutionné la musique. On entendait certains sons, certaines textures pour la toute première fois, les structures "classiques" des morceaux (couplets, refrains...) ont volé en éclat... une intro de 5mn ? Pas de problème ! Un titre qui dure 15 minutes ? Pas de problème ! Le même son hypnotique qui se répète indéfiniment? Pas de problème! ... c'est tout un nouvel univers qui d'un coup s'imposait à tous les musiciens... de mon côté, c'est à ce moment là et avec ces styles que j'ai commencé à apprendre la musique sur ordinateur, apprentissage technique qui me servira par la suite dans mes productions, même si je ne considère pas le dub comme faisant partie des musiques électroniques, mais comme une des branches de la musique reggae, au même titre que le ska, le dancehall, le digital ou le roots.
On voit par exemple cette fusion sur ton récent titre Fighting, Learning, Dubbling. Il n'y a pas de featuring ici et beaucoup d'informations sur le plan sonore et instrumental. Peux-tu nous en parler ?
Il y a peut-être dans ce morceau le coté hypnotique, et des sonorités digitales qui peuvent faire penser à de la musique électronique, mais, encore une fois, je vois mes morceaux comme du reggae, c'est en tout cas dans cet esprit que je les produis. Le coté répétitif, méditatif peut-être de ce titre, je l'associe plutôt à des vibes que j'ai pu ressentir en sound system, en fin de soirée notamment, à ces moments quasi mystiques où tu ne fais plus qu'un avec la musique. Ces sensations, je les avais découvertes pour la première fois dans les années 1990 avec le groupe Improvisators Dub (le groupe pionnier du dub français, respect à vie) qui arrivait à transcender une salle entière, qui créait des moments suspendus comme ca, où le groupe et le public ne faisaient qu'un... J'ai beaucoup de respect pour les sound systems et les sélecteurs qui arrivent, en session, à créer des moments comme ca, "hors de l'espace et du temps" comme disait Knarf.
Sur Where We Come From, tu as su faire cohabiter le ska de Waiting Horns avec de la techno plus expérimentale sur Night Drive sans oublier la vibe un peu swing apportée par la collab avec Ras Divarius. Est-ce une volonté pour toi de bousculer les codes du dub? Pourquoi te plais-tu à fusionner les styles ?
Ces différents styles ne sont pour moi que du reggae, dans le fond. La forme change, c'est vrai, mais finalement, j'ai l'impression d'avoir fait un album de reggae, un album pour les amoureux de la culture sound system. En tant que producteur, j'aime chercher en studio, expérimenter, faire évoluer notre musique, mais je ne saurais pas me détacher fondamentalement du reggae roots, de son groove, de sa musicalité, et du message qu'il véhicule. C'est peut-être le point commun de tous ces titres. Et puis je dis souvent qu'on ne choisit pas forcément la musique qu'on fait, elle s'impose souvent à nous sans qu'on le choisisse vraiment. Pour l'anecdote, le morceau Night Drive que tu décris comme expérimental, était au début de sa composition un morceau de reggae roots plutôt classique... Mais à la fin de cette nuit de studio avec Davio, le morceau était devenu ce qu'il est aujourd'hui, c'est-à-dire un stepper effectivement un peu expérimental, loin de nos intentions du début... Comme disait le peintre français Pierre Soulages : "C'est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche".
Les invités sur ton dernier projet ont tous un univers bien à eux et très différent les uns des autres. Comment sais-tu qui appeler pour un featuring, comment la collaboration se passe-t-elle? Et comment parviens-tu à harmoniser tout cela pour voir émerger un album ?
Je commence toujours par créer des ébauches de riddims que j'envoie aux vocalistes ou instrumentistes avec qui je veux travailler en leur laissant choisir celui ou ceux qui les inspire(nt) le plus. Je fais confiance à chacun pour choisir le riddim sur lequel ils seront le plus à l'aise. S'ensuivent ensuite des échanges pour s'entendre sur la direction qu'on veut donner au morceau avant l'enregistrement final. Et ce n'est qu'après écoute de tous ces morceaux enregistrés que, petit à petit, se fait la construction de l'album en lui même. Pour un morceau qui se retrouve sur l'album, il y a souvent 4 ou 5 morceaux qui finissent à la corbeille... c'est le lot de tous les producteurs je crois...
Certaines de tes productions pourraient être jouées en club. Doit-on y voir une volonté de sortir de la sphère reggae dub et des évènements sound system?
Je ne suis pas sûr que beaucoup de DJ de clubs jouent mes morceaux... ceci dit, historiquement, l'évolution de la musique, des musiques, est une histoire de rencontres, de crossovers, d’expérimentations aussi... les musiques jouées en club et celles jouées en sound system ont bien souvent des racines communes...que serait la techno sans le disco, le funk, la soul, le reggae ?... Et le reggae originel, n'est-ce pas du blues à la sauce jamaïcaine ? Le ragga n'est-il pas le rap des Caraïbes ? Et le rap, ne serait-il pas né avec les toasters dans les sound systems jamaïcains ? Et les remixs dont raffole la scène électronique aujourd'hui, ça ne te fais pas penser au travail de King Tubby, Lee Perry ou Scientist il y a plusieurs décennies à l'autre bout du monde ? Bref, rien ne se crée, tout se transforme, et ma seule prétention est d'essayer, à mon petit niveau, de faire de mon mieux pour honorer cet héritage musical incroyable que représente le reggae aujourd'hui.
Quand on écoute le feat avec Little R sur Time A Go Dread on reconnaît dans ce one drop un peu de la touche Stand High. Sur Skatta & Oulda c’est davantage la patte musicale OBF (on pense ici au titre Sign) qui se ressent. Il y a donc aussi, en plus des styles musicaux, des producteurs qui savent te charmer, t'inspirer. Tu nous livrerais ton top 10 des sons ou producteurs que tu affectionnes le plus ? Ou du moins qu'il faut avoir écouté au cours de sa vie ?
J'ai beaucoup de respect pour Stand High Patrol ou OBF que tu cites. Leur carrière parle pour eux, la qualité de leurs morceaux aussi, mais j'aime surtout chez eux la volonté de s'approprier notre style pour en faire quelque chose qui leur appartient. Dans des styles différents ils cherchent, expérimentent en studio, proposent des nouvelles choses, je respecte beaucoup ça. Faire évoluer notre musique est une des manières de la faire vivre et, paradoxalement peut-être, de faire perdurer son héritage. Pardon d'avance à ceux que je ne vais pas pouvoir citer mais mon top 10 des producteurs serait, sans ordre particulier :
- Stand High Patrol et OBF (pour les raisons citées plus haut)
- Mungo's Hi Fi pour la versatilité et la qualité de leurs productions (foncez écouter l'album "Soul Radio" avec Marina P... un must have!)
- Iration Steppas (rares sont ceux qui peuvent se vanter d'avoir autant réinventé, voire créé un style...)
- Steve Vibronics, Russ Diciples, Dougie Conscious Sound, les "BIG THREE" du dub anglais, les producteurs de référence, des centaines de hits à eux trois...
- Les productions de Blackboard Jungle ou Bat Records en France et de Roberto Sachez en Espagne sont à recommander aussi pour qui est attaché au son roots des années 1960 ou 1970. Ils perpétuent ce son originel avec bien souvent des instruments et effets d'époque, une vraie gageure aujourd'hui !
- Tomaski (du nord de la France) et le duo Fred Machinist / Itist (du sud de la France) qui, avec Miniman, m'ont beaucoup influencé à mes débuts.
- et dans d'autres styles, je citerais Imhotep (I AM) producteur avec qui je rêverais bosser (c'est un grand fan de reggae!), le label soul Daptone (le son de Gabriel Roth est terrible, certains LP sont exceptionnels), Jason Lytle du groupe rock américain Grandaddy (là aussi, un son bien à lui que j'adore), et Geoff Barrow de Portishead, pour ses recherches en studio à l'époque et pour l'incroyable musicalité de ses scratchs.
"Comme disait le peintre français Pierre Soulages : C'est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche."
MAD aux côtés de Solo Banton nous a particulièrement conquis. Il a une dimension très impériale et fédératrice. Que peux-tu nous dire sur cette collaboration? Comment as-tu procédé ?
Solo Banton est un MC très versatile, capable de se poser sur de nombreux styles. Quand je l'ai contacté, je lui ai dit d'office que je voulais faire 2 titres avec lui : un morceau qui montrerait son coté plutôt Reggae (le titre ska "Waiting Game") et un titre aux sonorités plus modernes sur lequel je savais qu'il excellerait,et qui a donné le titre "Mad". Le chant de Solo Banton y est effectivement impérial, donnant à ce stepper une dimension particulière. L'intro magistrale de Ras Divarius au violon y est aussi pour beaucoup je crois.
Jah Is The Ruler est très profond et propose des basses vrombissantes. Quel est ton rapport à la culture rasta et comment en intègres tu ses messages dans tes prods?
Je ne suis pas Rasta. J'ai trop de respect pour la sagesse que j'ai pu ressentir en discutant avec des Rastamen pour me prétendre Rasta. Mais je respecte infiniment ce mouvement, que j'ai découvert avec le Reggae. Rares sont les styles de musique autant liés à une philosophie de vie. La culture Rasta, qu'on résume peut-être parfois trop vite par un simple "Peace & Love", inclue aussi des luttes, des revendications, des messages d'universalité et...d'amour... dont je me sens proche. La bienveillance, l'ouverture, la spiritualité - quelle qu'en soit la forme- mais aussi la lutte contre les inégalités que notre monde sait si bien créer sont des valeurs importantes pour moi et je sui fier d'appartenir à un mouvement qui n’hésite pas à les mettre en avant sur scène ou en studio. "Jah Jah Is The Ruler" martèle ces convictions ancestrales sur une rythmique très actuelle, une manière pour moi de passer le message transmis par plusieurs générations de musiciens et chanteurs avant moi.
Depuis plusieurs années tu as plusieurs portes d’entrées pour faire connaître ton univers au public. Des Mc peuvent s’inviter dans la danse, tu expérimentes en sound system avec tes titres ou non. Quel aspect te plaît le plus de ces moments avec le public ?
En live je ne selecte pas, je ne joue pas non plus avec un band, mais je fais du live Dub mix. Les morceaux sont rejoués sur une console de mixage, et sont mixés en direct, comme on le fait en studio depuis l'invention du Dub. Et c'est ce qui me plaît le plus dans ces moments avec le public : pouvoir modifier un morceau à souhait selon la réaction des gens venus à la session, pouvoir adapter le set et la vibe en fonction de l'énergie que donnera (ou pas!) le public. Un même morceau peut, selon comme il est dubbé en live, prendre une dimension très explosive, ou au contraire très mystique... quand je sens les gens connectés à un morceau, je peux décider de le faire durer 20mn par exemple...c'est un exercice dont je ne me lasse pas! Avec des chanteurs ou MC, l'exercice est d'autant plus jubilatoire, les combinaisons quasi infinies.... j'adore ca !
Si tu devais faire le bilan de ton parcours aujourd’hui? Des souvenirs mémorables ? Une rencontre particulièrement marquante? Un événement ou un titre qui te rendent fiers ?
Depuis 2004 et la sortie de mon premier album, j'ai eu la chance de jouer dans plus de 25 pays à travers le monde. Ces tournées ont forcément été marquantes chacune à leur manière, j'ai toujours du mal à choisir des moments plus marquant que d'autres... Je me souviens de ma première date hors région (Big Up Diff'art!), mon premier avion avec mes machines (Big Up Rootsillah de Dakar!), ma première tournée européenne, ma première fois en amérique du sud... etc... Faire une sieste avec Earl 16, partager un run avec Diplo, recevoir un mail de Daddy G de Massive Attack, passer une semaine avec Didier Super, enregistrer Mark Iration, composer avec Vibronics, discuter matos studio avec Russ Disciples...sont forcément des moments marquants... comme enregistrer le MC Rebel I au Pérou, ou monter dans une barque avec le matos (sound system compris!) pour aller jouer à une session au Mexique, ou jouer pendant 6H d'affilée à la Réunion, ou jouer un concert unique au Maroc avec un orchestre de 20 musiciens de musique traditionnelle ou traverser les balcans pour faire 13 concerts en 15 jours à travers je ne sais plus combien de pays..... en vrai, plus que le coté musical, c'est surtout humainement que ces voyages m'ont formé. Quelle chance de découvrir toutes ces cultures, de rencontrer autant de passionnés qui, chacun dans leurs territoires œuvrent pour développer notre musique. On rencontre de beaux humains dans le reggae. J'en suis très fier.