À l’occasion de la fête de la musique au sein d’une soirée bordelaise organisée au profit de l’UNICEF, nous avons pu rencontrer Balik et échanger sur cet évènement auquel il lui est apparu nécessaire de répondre présent. Le dialogue s’est ensuite poursuivi en échangeant sur les préoccupations sociales actuelles à travers le monde, sa vision d’artiste et les enjeux de ce métier, mais également les projets musicaux à venir, notamment au sein du groupe Danakil dont un nouvel album et une tournée sont annoncés pour l’automne.
Reggae.fr : Aujourd'hui, en France et à l'étranger, pas mal de conflits et de situations préoccupantes se déroulent. On te sait artiste engagé et touché par ces sujets. Tu es aussi papa, le futur de notre pays et du monde t'importe beaucoup. Comment perçois-tu justement ton rôle d'artiste dans ce contexte ?
Balik : Au moment de faire des chansons, j'ai toujours essayé, dans ma démarche artistique, d'exprimer ce que je ressentais, de prendre le pouls et d'essayer de représenter, c'est-à-dire d'essayer de faire des photos ou des états des lieux de ce que je ressens de la société. Bien plus que donner mon avis à moi. En ce moment, il y a beaucoup de conflits à l’international, sans oublier les tensions aussi présentes en France. C’est compliqué, y a un vrai repli sur soi, que ce soit en France ou en Europe, ou aux États-Unis. Comme j'ai toujours en moi cette volonté qui m'anime dans la musique d'essayer de comprendre les gens et de retransmettre en musique des sentiments, j'essaie de rendre tout ça accessible. Je veux que la musique soit intéressante, qu'elle résonne dans ceux qui ont vécu la même expérience, il faut que les mots soient les bons. J'essaie de continuer à être ce « haut-parleur de la foule populaire ».
Tu l’as effectivement fait par le passé par tes textes, mais aussi par des actions engagées significatives fortes. Que ce soit les marches citoyennes ou bien encore ce soir avec cette soirée au projet d’UNICEF, tu désignes les causes qui te sont chères et tu agis en musique.
Oui, pour les marches, c'était pour moi légitime de transmettre ce ressenti populaire d’injustice face à l'impunité et à toute une série d'accidents dans les manifestations des Gilets jaunes. Il y avait des gens blessés, sans compter des affaires de policiers inculpés non jugés libérés, des vidéos qui disparaissent et un sentiment d'impunité générale grandissant. On a aussi fait 32 mars dans ce sens. C'était vraiment une chanson qui allait au-delà de dire ce que j'en pensais. Je suis allé passer un peu de temps Place de la République à l'époque pour essayer de capter toute l’essence des échanges, des débats d'un mouvement qui a été vulgairement décrié. On a tenté de faire passer les gens qui étaient là pour des anarchistes, alors qu'en fait, pas du tout. Il y a eu à ce moment-là, en tout cas, une vraie énergie populaire. Ça n’a pas duré longtemps, mais malgré tout, il y a eu au départ quelque chose de très intéressant qui venait du fait que les gens vivent de plus en plus mal, de plus en plus difficilement.
La question de l’impact de la politique t’intéresse donc et nourrissent ton écriture ?
Dans le prochain album qu'on sortira en septembre, je me suis effectivement intéressé, sur un morceau qui va sortir bientôt (ndlr : le morceau La démocratie balbutie est sorti quelques jours après notre entretien), au rapport des gens à la politique, au monde politique, à la démocratie, au fait d'aller voter. Quand j'ai eu 18 ans, tout le monde disait « impossible de ne pas voter » et aujourd'hui, c'est presque à la mode de pas y aller. Donc qu'est ce qui a fait qu'on en est arrivé là ? C’est des réflexions comme ça que j'essaie de mettre dans mes chansons plus que des avis tranchés « faites ci, faites ça ».
Tu es sensible aux causes humaines et droits de l’Homme. Ce soir avec cette soirée on est tourné vers les droits de l’enfance, surtout avec Unicef. C’était une suite logique que de répondre présent à l’invitation de Dougy pour cette soirée spéciale ?
Pour commencer, l'UNICEF, c'est une association que je connais très bien parce que ça fait 25 ans que je partage ma vie avec une personne qui travaille dans ce milieu tous les jours et qui justement passe des journées difficiles parce que, comme on l'a dit dès le début de notre entretien, on vit une période de conflit au Moyen-Orient, en Europe aussi, et du coup, c'est une association avec laquelle on a déjà travaillé main dans la main avec le groupe aussi.
On avait, il y a quelques années, fait toute une tournée où on était entouré de bénévoles, on avait organisé des rencontres dans chaque ville, on jouait sur une tournée dans le plus de villes possibles pour réunir un petit peu d'argent. Alors on le fait avec plaisir à notre échelle parce que c'est quand même une organisation internationale qui travaille sur des budgets énormes, donc on ne va pas se mentir. C’est aussi une symbolique de faire ces événements pour ne pas oublier que ces institutions travaillent et associer le public, l’impliquer dans les actions qui seront menées grâce aux fonds, ça prend beaucoup de sens. Et puis c’est une association qui travaille essentiellement et exclusivement quasiment avec et pour les enfants dans les zones de combat ou des pèriodes dans des pays où ils n’ont pas de quoi manger. Alors s’il y a des choses, des combats à mener, c'est bien celui-là ! Il y a des luttes qui ne se fuient pas et on a besoin de nous.
L’album a l’air d’être, tu l’as dit, dans cet esprit aussi de réflexion et d’actualité. Mais côté musique ? On sait que tu as une affection pour le reggae, mais aussi le hip hop, le rap et d’autres styles. La musique en elle-même, mais ici plus particulièrement le reggae, a-t-elle encore toute sa place et comment perçois-tu l’évolution de ce mouvement ?
Il y a une évolution, ce serait triste qu’il n’y en est pas. Dans toute les musique, dans le rap, le reggae aussi, il y a des évolutions. Le reggae parle à beaucoup par l'identité et les valeurs qu'il défend et prône. C'est un courant identitaire et culturel qui nous parle dès l’adolescence. C'est ce qu’il s'est passé avec moi en tout cas. La musique permet de dessiner sa personnalité et dans le reggae on a retrouvé des messages forts qui effectivement, en Europe ont été véhiculés dès les années 70-80 par des personnalités très fortes : je pense à Marley, les Wailers ou bien encore Israël Vibration. Bob Marley c'est celui qu'on a vu le plus, c'est celui qui passe aujourd'hui dans toute la radio française et les radios du monde, mais il y en a plein d'autres. En fait Marley pour moi c'est une porte d'entrée à toute une culture et je pense que les gens qui sont touchés par cet artiste partent souvent à la découverte des autres. Donc oui, c'est une musique qui, depuis qu'elle est là, est clairement intergénérationnelle et universelle.
Je le remarque avec ma seule petite expérience. Quand on a commencé à avoir du monde en salle il y avait des gamins de 15 ans et des mecs de 30-35 ans. Aujourd'hui ça fait 20 ans qu'on est là j'ai encore des gamins de 15 ans, même des moins âgés de 8-10 ans avec leurs grands frères, leurs grandes sœurs qui venaient à 15 ans, qui viennent maintenant avec leur père ou leur frère. Ou j'ai des gens qui venaient me voir gamin, maintenant qu'ils ont des enfants, ils viennent avec eux. Il y a un truc qui fait qu'à chaque génération, en fait, ça parle à chacun. Des gens qui viennent se greffer au truc, donc oui, le reggae a encore carrément sa place.
Et oui, ça évolue en fonction du temps, des modes, des moyens de production. Ça ne disparaît pas, mais ça change. Et heureusement, comme ça, on a pu découvrir le Revival, les singjays, le retour au roots, au raggamuffin, les backing bands. Il y a eu une période où les groupes sont revenus en force et avec des beaux mélanges. Je pense à Jahneration qui ont amené une super touche rock, il y en a qui sont hip-hop raggamuffin. Chacun apporte une nouvelle fraîche, donc le reggae a encore beaucoup à vivre !
Justement en parlant de groupe. Tu évolues au sein du groupe Danakil et tu as aussi évolué en solo pour un album. Pourquoi ce choix ? Quel était ton univers d’inspirations ?
Ce n’était pas un besoin, mais justement, l’idée était de m’ouvrir à tout un panel musical que j’apprécie. Parce que je ne me suis pas cantonné, dans mon expérience personnelle, à écouter du reggae. C'est mon kiff, c'est ma musique de base, mais j'écoutais beaucoup de rap avant et pendant que j'écoutais du reggae. Donc j’avais envie de mélanger tout ça.
J'adore écouter de la soul, des chanteurs comme Otis Redding, Marvin Gaye, j'ai énormément écouté Jacob Banks et tous les artistes qui sont dans cet héritage-là.
J'ai beaucoup rapé aussi quand j'étais plus jeune, pas publiquement, mais pour l'anecdote, j'ai plein de morceaux même qui sont sortis avec Danakil qui au départ sont des titres rap. Si j'avais voulu faire un album reggae, je n’avais pas besoin d'aller ailleurs qu'avec eux. L’album Parenthèse représente ma parenthèse artistique. C'est sorti sur le même label que le groupe, avec la même équipe de production, mais j’avais envie de cette « parenthèse » et j'en ferai un deuxième, je pense un de ces 4.
Justement, dans le processus créatif aujourd’hui, un sujet qui, à la fois émerveille tout autant qu’il prête à débat, arrive au cœur du monde musical, mais pas que. Il s’agit de l’IA.
C’est carrément dingue ! Si je tape « Nouvel album Danakil », ça va me sortir 10 chansons en s'inspirant de ce qu'il trouve sur Internet, de ce qu'on a sorti auparavant. L’ingé-son du groupe a tapé Les champs de roses, une de nos chansons phares, il m’a envoyé ça sans rien dire. J’ai capté que c’était de l’intelligence artificielle, mais ça m’a refait ce titre dans une version incroyable avec un mec qui chante. Tu as l'impression que c'est un vrai chanteur qui chante. On a refait le test avec d’autres morceaux et je découvre des chansons sans moi, sans musiciens, sans chanteur. C’est dingue au vu des clips sortis aussi sans réalisateur. Et au-delà de la musique, au niveau de la société, ça pose des vraies questions sur le rôle de l’humain. En fait, l'ancêtre de tout ça, c'est l'industrialisation. Il y a dans les entreprises dans les 50 dernières années des postes qui ont été remplacés par des machines. Et on s'est posé les mêmes questions, et bon on est encore là, on s'accroche et on est vivant. On va s’en sortir et se réinventer.
Le mot de la fin, justement face à tout ce que l’on a pu évoquer ensemble. Si tu avais un mot pour remotiver les troupes ?
Il y a bien sûr l’espoir et l’action, mais je dirai le futur, l'avenir. C’est demain, c'est tout de suite, il arrive, donc il faut bien s'en préoccuper et ne pas baisser les bras. Je pourrai dire le courage aussi. On a encore tout à écrire.
Et puis se rappeler aussi qu’il y a toujours des époques difficiles. Aujourd'hui, c'est difficile mais je n'ai pas un souvenir d'époque où on s'est dit « c'est Easy ». Dans les livres d’Histoire on nous a appris les 30 glorieuses, que à l'après-guerre tout allait bien, du boulot partout du soleil mais même là il y a eu des galères. C’était la période de la guerre froide donc il y a toujours eu des moments difficiles. Il y a plein de questions qui se posent et il y a plein d'enjeux dans tous les sens mais il faut garder espoir en l’avenir et œuvrer pour !