La féminité, l’élégance, l’espièglerie, la débrouillardise et la ferveur incarnées ! Peu de gens le savent, sans doute à cause de son parcours « people », mais Princess Erika est l’une des véritables pionnières du reggae en France. Active dès les débuts du mouvement à Paris, elle n’a jamais abandonné cette musique jusqu’à aujourd’hui.?Sa carrière est celle d’une artiste au sens large : musique, cinéma, théâtre. Princess est une femme qui s’éclate, qui va là où le vent l’emmène. Une femme libre.
La liberté, Erika la découvre en même temps que le reggae, à l’adolescence. Les premiers morceaux de Bob Marley qu’elle entend font écho à ses origines camerounaises. Elle a beau être née en France, les paroles du roi du reggae lui font prendre conscience de son identité. En tant qu’Africaine exilée, elle se reconnaît dans son message panafricain.
« J’avais l’impression que le reggae me faisait faire un travail que je n’avais pas fait », se souvient-elle. Élevée à la chanson française, à la culture pop et à la musique classique – elle fera même quelques années de conservatoire –, la chanteuse découvre un univers rebelle, une façon de s’affranchir d’une famille africaine aisée.
Dans la musique, j’ai pris vraiment des grosses claques en soul avec Stevie Wonder, en pop avec des mecs comme Bowie ou les Beatles. Ce sont des trucs qui ont échelonné ma vie, mais c’est vrai que le reggae, pour moi, est quelque chose de très spécifique. Il a orienté toute ma vie parce qu’il a été une révélation pas seulement musicale mais aussi contestataire. Ça m’a parlé parce que c’était dans mon caractère d’être révolutionnaire.
Son premier concert dans le public? David Bowie. Et son deuxième? Bob Marley! Définitivement attirée par la musique, les instruments, les coulisses du milieu, elle fréquente le QG du Parking 2000 dans le 18e arrondissement, un lieu où les musiciens se croisent, échangent et improvisent. Elle monte son premier groupe avec une de ses sœurs et deux copines. Fières de leur identité noire et féminine, elles se baptisent Blackheart Daughters, les filles au cœur noir. Quelques reprises, des compositions aussi qui les mèneront jusqu’à faire les premières parties de Dennis Brown en France. Armées de guitares acoustiques et de percussions, elles se nourrissent de nombreuses influences mais leur style préféré est le reggae. L’une d’elle est d’ailleurs la petite amie française de Bob. Côtoyant Marley de près, Erika, qui n’est pas encore Princess, se sent privilégiée, initiée à cette musique qui la touche tant. Dans les années 80, elle assiste avec ses amies à la naissance du mouvement sound system dans la capitale. Erika fréquente les pionniers du genre et impressionne les acteurs de ce milieu très masculin.
Je suivais les sounds Youthman Unity avec Pablo Master et High Fight International avec Tonton David, Daddy Nuttea, Selecta Polino et tous ces gars. A cette époque, ils prenaient les platines et le micro et nous donnaient l’occasion de nous exprimer. Moi, j’étais une fille de la scène, du live. Le dancehall est une autre forme d’expression du reggae qui m’a beaucoup influencée. C’est juste après cette époque que j’ai fait Trop de bla-bla.
Elle enregistre ce morceau en 1987 sous le nom Princess & The Royal Sound. Toujours avide de liberté, elle réalise le titre en totale autoproduction avec les musiciens de son choix qu’elle va chercher jusqu’à Londres. La chanson se retrouve sur la toute première compilation de reggae français, France Connection, aux côtés de Daddy Yod, Mikey Mosman, Wach’Da ou Pablo Master. Elle est la seule femme présente sur l’album. Erika s’affirme en Princess et affiche sa force de caractère. Récupéré par Polydor qui le sort en single, Trop de bla-bla devient un tube et pénètre même le Top 50 l’année suivant sa sortie. Un morceau à ce point indémodable qu’il sera adapté en 2001 par une célèbre compagnie d’assurance pour une publicité au slogan connu de tous : « Zéro tracas. Zéro bla-bla... ».
Le reggae m’a parlé parce que c’était dans mon caractère d’être révolutionnaire.
Son album éponyme en 1992 dévoile un reggae très personnel, coloré de funk, de pop et de musique afro. Une direction qu’elle ne lâchera pas sur ses cinq albums écrits et composés par elle-même. Princess Erika traverse les années 90 avec retentissement... En musique notamment avec Faut qu’j’travaille (un titre, présent sur l’album D’origine, qui reste son plus gros succès à ce jour et qui fut soutenu par un clip révélant d’ailleurs les talents d’acteur de Romain Duris en 1995). Elle flirte avec le show-business, chante chez les Enfoirés... Princess Erika est alors une des seules personnalités françaises noires à être médiatisées pour autre chose que du sport. Elle assume son rôle sans jamais renoncer à sa personnalité. Elle comprend qu’elle peut tirer bénéfice de cette exposition pour faire sa musique librement. Séduite par la comédie, Erika s’intéresse au théâtre et au cinéma.
Je suis multitâche. Pour moi, le théâtre, c’est comme chanter. C’est du divertissement, c’est le partage avec un public et avec des partenaires sur scène. J’ai besoin de faire les choses que j’aime. Je ne veux pas me précipiter. Je fais du théâtre et du cinéma quand je suis dispo pour ça tout en travaillant ma musique dans mon coin. La publicité et mon métier d’actrice me permettent de financer mes albums. J’investis mon propre argent parfois à perte mais je fais la musique que j’ai envie de faire, comme j’ai envie de la faire. Je choisis les musiciens que je veux, les studios où je souhaite enregistrer, je fais la pochette que je veux et ça n’a pas de prix.
La chanteuse s’entoure de ses idoles pour façonner sa musique. Des musiciens d’Aswad à Dennis Bovell en passant par Sly & Robbie, lorsqu’elle s’envole en Jamaïque pour l’opus Tant qu’il y aura en 1998, Erika se fait plaisir. Toute sa vie, son bonheur aura été de recevoir des compliments de ces artistes qu’elle aime tant, de les voir ravis de rencontrer une Française capable de s’approprier leur musique de manière si singulière. Sa légèreté et sa façon d’aborder le reggae d’une voix sensuelle empreinte de soul en font une artiste unique qui plaît au grand public et parfois moins à certains puristes qui oublient son activisme musical. Le milieu people qu’elle fréquente n’arrange pas les choses, mais Erika assume.
Aujourd’hui, elle doit plus sa notoriété à son métier d’actrice qu’à la musique, milieu où elle estime ne plus rien avoir à prouver à personne, sauf à elle-même. A partir des années 2000, elle apparaît plus souvent à l’écran ou sur les planches que dans des salles de concert : la série Camping Paradis sur TF1, la pièce à succès Les Monologues du vagin, les émissions Les Enfants de la télé ou Les Grosses Têtes... Elle s’éloigne avec succès des thématiques reggae de ses débuts, mais c’est la preuve encore une fois de sa liberté et de son audace auxquelles elle tient ! Toutefois, la musique n’est jamais loin. Les albums A l’épreuve du temps et Juste Erika voient le jour non sans peine en 2005 et 2011. Princess Erika participe également à des projets comme la compilation Il est cinq heures, Kingston s’éveille (2006) aux côtés de Pierpoljak, Camille Bazbaz, R-wan. Elle y reprend de belle manière La Vie en rose d’Edith Piaf.
La vie de Princess Erika se partage aujourd’hui entre ses différentes passions. Toujours inspirée, elle travaille sans cesse sur de nouveaux morceaux même si le reste de ses activités artistiques freine son implication à 100% dans la musique. La chanteuse avance ainsi, consciente de la chance qu’elle a de pouvoir faire ce qu’elle aime, elle sait qu’elle peut compter sur sa bonne étoile et un public de fidèles. Malgré quelques épreuves personnelles difficiles, sa vie reste palpitante et Erika dispose toujours de l’énergie nécessaire pour relever de nouveaux défis. Engagée dans la défense de différentes causes humanitaires, elle n’hésite pas à donner de sa personne en organisant des concerts ou en participant à des projets musicaux caritatifs, prouvant ainsi que les messages d’unité et de solidarité portés par le reggae ne sont jamais loin de son quotidien.
Son dernier album J'suis pas une sainte est sorti en 2022. Il a été crée et réalisé en étroite collaboration avec Louis Ville. Le projet est composé comme d'habitude de titres forts, à commencer par African Ladies, qui porte en lui toute la puissance de l'héritage, de l'histoire et de l'expérience d'Erika. L'épanouissement de l'artiste se fait aussi entendre sur C'est plus fort que moi et elle se transforme en véritable artiste blues sur Deux semaines. Les sons mêlent en effet blues, jazz, reggae, rock et bien d'autres choses. L'album reflète bien la personnalité d'Erika, féministe avant-gardiste, têtue et talentueuse.