Tu shung Peng est une expression de patois jamaïcain pour désigner notre herbe préférée ; c’est aussi un band de reggae originaire du sud ouest parisien et fondé en 1998. Trop peu connu du grand public, le Tu shung Peng a pourtant à son actif de nombreuses collaborations avec des artistes comme U Brown, Michael Rose, Ken Boothe, Clinton Fearon et bien d’autres et un nombre incalculable de dates comme le Garance en 2010 où ils étaient le seul band français à se produire sur scène. Après quatre albums sortis entre 2006 et 2015 le groupe nous revenait le 6 mars dernier avec un nouvel opus de qualité à découvrir absolument Channel 5.
Entretien avec l'un de ses membres fondateurs, Manu Humbert.
Reggae.fr : Peux tu décrire ton rôle dans Tu Shung Peng ?
Manu : J’ai créé le groupe avec Ras Dean qui était un ami d’enfance et batteur de 1997 à 2008. Je suis musicien au mélodica et bien investi dans la production des morceaux et la direction du projet.
Peux-tu expliquer le choix du titre de l'album Channel 5 ?
C’est notre 5ème album, une pépite raffinée comme un parfum de renom. Nous faisons aussi référence aux « channels » de la console de mixage bien sûr et au studio Channel One…
Comment avez-vous travaillé en termes de production ?
Je suis parti en Jamaïque avec des riddims que j'avais sélectionnés de notre duo de compositeur Double Barrel (Berur et Mellow Mood) qui sont également musiciens de Tu Shung Peng depuis le début. J’ai proposé les riddims aux Viceroys, Bongo et Nazzleman et on a réalisé les prises de voix à Anchor Studio, Kingston. On a fait la même avec les Nucleus Roots à Manchester en Angleterre. Puis le band a ré-enregistré en live sur les voix au Wise Studio à Ris-Orangis et arrangé les morceaux. Comme sur l’album précédent, nous avons fait appel à Black Steel et Dub Judah pour les harmonies vocales de certains titres. Enfin, Fabwize a mixé l’album, Simon Capony s’est occupé du master.
Et comment avez-vous collaboré avec les artistes ? Vous leur proposez plusieurs riddims ? Ils choisissent ?
Généralement, on aime sélectionner les riddims pour les chanteurs afin de les emmener dans une direction. C’est ainsi que j’ai procédé pour ce projet. Les Viceroys sont les seuls à avoir choisit leurs riddims. Ils étaient passés au Wise Studio pendant un jour off de leur tournée hexagonale de 2015.
Etiez vous avec eux physiquement pour enregistrer à chaque fois ?
Pour les records à Kingston, oui. A Manchester, c’est Paul Lush des Nucleus Roots qui a pris le relais. Je le connais depuis longtemps et je savais que les artistes de son écurie donneraient le meilleur d’eux-mêmes !
Quel est le feat dont tu gardes le meilleur souvenir ?
Le titre Just can’t forget de Bongo ! J’ai senti qu’il y avait quelque chose avec cette chanson dès qu’il l'a chantée a cappella. Toute la famille de Sparrow Martin chez qui je logeais à Gordon Town chantait en boucle le titre du soir au matin…Il y a aussi Message in A song, que Wesley Tinglin a fini d’écrire avec moi, au milieu de ses chèvres dans les collines de St Thomas.
Je suppose que le travail avec The Viceroys est particulier dans ton esprit maintenant, puisque l'un des membres du groupe, Neville Ingram, est décédé quelques jours après que vous ayez dévoilé le titre Message In A Song ...
Oui c’est comme un cycle mystique mais en même temps les gars ne sont plus tout jeunes ! Wesley Tinglin est décédé en 2018. Son compère Neville Ingram l’année suivante et la veille de la sortie du single dont il est le lead vocal… Ces artistes étaient de vrais Rastas comme on en croise peu. La vibration réelle du Rastaman !
De manière générale, qu'est ce que tu as préféré dans le processus de réalisation de cet album ?
Comme souvent le travail des voix en JamaÏque pour l’expérience riche qui en ressort à chaque fois, aussi bien professionnellement qu’humainement. Mais j’apprécie tout autant l’étape de la pré-production avec Mellow Mood, guitariste et boss du Wise Studio.
Au contraire, qu'est ce qui t'a semblé difficile ou ton plus mauvais souvenir ?
Le plus délicat pour moi a été de tomber d’accord sur la direction des mixs avec notre ingénieur du son Fabwize. Sur cet aspect le Tu Shung Peng, dont Fabwize est membre fondateur, l’a toujours suivi et poussé dans son travail du son. Il a sculpté le son qui nous est propre. Pour ma part, au fil des années et particulièrement aujourd’hui je cherche un mix au plus proche du son acoustique de chaque instrument et cet album est quand même très « produit » avec la pâte de notre sorcier frenchie… Au final, on a eu que de bons retours sur les mixs de l’album.
Comment es-tu tombé dans la musique jamaïcaine ?
En écoutant les LPs de Pablo Moses A Song et Aux armes etc de Gainsbourg à l’âge de 13 ans, j’ai été marqué par l’originalité des rythmiques. Puis au lycée, j’ai rencontré des passionnés du style qui collectionnaient les vinyls jamaïcains. Je suis devenu un inconditionnel et j’ai décidé d’y consacrer ma vie.
Ecoutes-tu des artistes de la nouvelle génération ?
Oui bien sûr ! Lila Iké, Mortimer, Samory I, Chronixx, Koffee pour les jamaïcains et bien d’autres venant des Îles vierges ! Il y a de supers artistes émergeants..
Qu'est ce que tu ferais dans la vie si tu ne faisais pas de la musique ?
Je pense que je vivrais au milieu des éléments en auto-suffisance. C’est peut-être ce qui m’attend pour les années à venir et n’est pas incompatible avec la musique ! C’est d’autant plus envisageable dans la crise actuelle. Ce n’est pas seulement une crise sanitaire mais aussi une crise sociale et sociétale qui remet en question bien des concepts : la bêtise humaine était de sortie ces derniers mois…. !