Saï Saï : vétérans de l'underground parisien
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Saï Saï : vétérans de l'underground parisien

10 Août 2025

Les Saï Saï sont un des duos les plus réputés du reggae français. Ils sont entrés dans l’histoire de ce style avec des big tunes à foison et une énergie scénique incroyable. Vétérans de l’underground parisien, ils n’ont eu de cesse, depuis le début des années 1980, de mettre en avant la culture raggamuffin et ses principales valeurs.

Nous leur consacrons aujourd’hui un dossier spécial. 



Composé de Mr Ricky et de Ramsès, le duo raggamuffin parisien Saï Saï a trouvé son nom dans la langue wolof. Le terme désigne les débrouillards un peu voyous, un peu brigands, un peu vagabonds, l’équivalent du hustler jamaïcain, ou du hobo américain. Cette référence est loin d’être anodine car les Saï Saï ne sont pas que des interprètes. Ils chantent ce qu’ils vivent et vont décrire une réalité dont on ne parle jamais à la radio ou à la télévision de l’époque. C’est le reggae dancehall qui va leur permettre d’exprimer leurs idées, leurs engagements, d’aborder tous les sujets de société, sans tabou. Le reggae cherche à éduquer le peuple, à l’informer sans filtre politiquement correct. Il se diffuse entre autres via le sound system, et c’est une des raisons qui ont poussé les Saï Saï à se lancer dans un mouvement underground qu’ils n’ont plus quitté. Comme ils le confiaient à Jérémie Kroubo Dagnini et Reggae.fr en avril 2008 :

Quand tu vas en sound system, si tu n’as pas regardé la télé pendant la semaine, si tu n’as pas lu les journaux, tu auras toutes les infos! (...) Il est important qu’on soit des témoins de ce qui se passe, des témoins d’une époque. En France, on a accès aux multimédias, à la télévision, à Internet etc., mais on est complètement ignorants de ce qui se passe réellement. Tous les mecs qui ont le micro, qu’ils soient dans le reggae, le rock ou la pop, il est important qu’ils parlent des choses qu’ils observent, un peu comme des journalistes.

"Les gens du mouvement rock alternatif et du reggae ont le même état d’esprit, un esprit rebelle !"

Le duo a débuté dans la première moitié des années 1980. Il se frotte alors à tous les groupes, les crews, les tribus d’artistes qui sont en train d’installer le reggae français dans la culture du pays de Ferré et de Brassens.



On a commencé à traîner dans les sound systems en 83-84, vers 13-14 ans, et c’est ce qui nous a donné envie de faire du reggae. A la base, il y avait deux tendances. Le reggae roots qui s’est installé en France à la fin des années 70 avec des groupes comme Savane, Kaya, Sixième Continent, etc. Et puis l’autre vague: celle du dancehall, du sound system. Là, les pionniers en France, ce sont Pablo Master, King Daddy Yod, Supa John, Général Murphy, Mikey Mossman, etc., c’est- à-dire la Youthman Academy. Le premier mec qui a chanté du reggae en français, c’est Général Murphy, c’était pour une radio, vers 83. Ce sont eux les premiers artistes dancehall. Nous, on est arrivés un peu plus tard. Les premiers flyers de Saï Saï datent de 85 !

Paris est alors un formidable lieu d’émulation créative où toutes les mouvances artistiques alternatives se mélangent, s’interpénètrent pour donner lieu à une avant-garde musicale incroyable. Les Saï Saï sont au cœur de ce réacteur de l’underground. Ils croisent régulièrement d’autres groupes, d’autres crews d’artistes, en particulier issus du rock alternatif.




Les gens du mouvement rock alternatif et du reggae ont le même état d’esprit, un esprit rebelle ! Nous, on fréquentait le milieu punk, (...) le milieu qui a donné naissance à la Mano Negra, aux Négresses vertes, aux Bérus, etc. Et on traînait aussi avec Lord Zeljko, le selecter du sound King Dragon. À l’époque, il y avait une association qui organisait des concerts de rock alternatif. Et entre chaque concert de rock, au changement de plateau, on faisait un sound system avec Lord Zeljko et c’était super bien accepté par la population. Les gens du punk rock alternatif étaient là aussi pour lutter contre Babylone! Tout ça vient en fait de l’influence de Marley qui chantait Punky Reggae Party. Nous, on a vachement assimilé cet esprit. Dans les premiers sounds qu’on faisait, il y avait nos potes du rock et du reggae, et il n’y avait aucun problème. On ne retrouvait pas le côté communautariste, cet esprit tribal comme c’est parfois le cas maintenant.

Le sectarisme n’existe pas non plus du côté des musiques urbaines et c’est ainsi qu’on retrouve les Saï Saï à l’affiche de la première et mythique compilation Rapattitude (1990) sur laquelle ils posent le désormais classique Rouleurs à l’heure. Ils réalisent également un trio avec MC Solaar, Pour Kim Song-Man, pour Amnesty International (le clip du morceau reste d’une étonnante modernité).



En 1991, leur premier album sort. Il s’intitule Ragga Dancehall et on y retrouve des titres explicites comme Un logement décent, Ils parlent trop, Charts des MC’s, Bouge et remue. Après une incartade crossover avec les Satellites pour le titre Protégez les bébés (1993), ils sortent leur second album Le ragga ça l’fait (1995). L’opus comporte plusieurs big tunes de l’époque: Casseurs de vib’s, Ma philosophie, La Panacée, Fuck la censure et le fameux titre Sarajevo mon amour.

Subissant la guerre, le siège, les habitants de Sarajevo avaient besoin de dire au monde qu’ils existaient. Ils ont donc décidé de faire venir des artistes étrangers et c’est ainsi qu’on est partis là-bas. (...) On a fait un concert dans une salle qui s’appelle Sloga. C’est l’équivalent de l’Olympia à Paris où les Stones, Hendrix et d’autres ont joué. Malgré la guerre, les gens sont venus nombreux. Il y avait le couvre-feu à 22 heures. C’était en période de cessez-le-feu, mais il y avait quand même des tirs de snipers et des obus de mortiers. On a fait notre concert, mais le lendemain, on ne pouvait plus sortir de la ville car il y avait la pression des armées qui assiégeaient Sarajevo. Il a fallu qu’on se débrouille pour survivre. On est restés un mois au lieu d’une semaine. On a vécu avec les gens, on a fait dix concerts gratuits (dans le lycée de Sarajevo, dans des clubs...), etc. Malgré la guerre, il y avait une activité culturelle underground. Cela pourrait donner une bonne leçon aux gens qui, ici, se plaignent de ne pas pouvoir faire des choses alors qu’il y a énormément d’opportunités.



Activistes musicaux, artistes engagés, les Saï Saï publient leur troisième album en 1998: L’Esprit du sound. On y retrouve le big tune La Rime paie, hommage à l’underground et critique violente de la société du spectacle. Une tournée internationale s’ensuit et trouve son aboutissement dans le Live en 2000, enregistré à la Flèche d’Or.



Les deux artistes vont ensuite développer chacun leur carrière solo tout en préparant un retour. Fidèles à leur statut de pirates musicaux, de membres historiques de l’underground français, ils autoproduisent Le Disque de la rue Le Re-tour en 2009. Depuis cette date, Mr Ricky a participé à de nombreuses compilations internationales: colombienne (Cumbia Rockers All Stars), tchèque (Skilzen), norvégienne (Norsk Robb-a-Dobb), mais également à d’autres projets francophones. De son côté, Ramsès est revenu sur le devant de la scène grâce à un duo avec Sergent Garcia (Jungla Urbana, 2017) après avoir proposé un excellent titre hommage à Shabba Ranks, l’un de ses modèles jamaïcains (Shabba Ramsès, 2012). Les deux artistes ne cessent de tourner en sound system et il suffit de les croiser pour comprendre que la culture raggamuffin est encore bien vivante.

Par Grondeau Marsouin Photo Franck Blanquin
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