Ton activité est chargée alors on va commencer avec le très bon album de Fantan Mojah : Stronger. Pourquoi avoir choisi de travailler avec cet artiste ?
Tout a commencé avec le titre de l'album que j'avais produit il y a 2 ans. Comme 'Stronger' a bien marché en Jamaïque la vidéo a été numéro un des chart d'HYPE TV et de RETV et le morceau joué beaucoup aussi sur IRIE FM et en sound. Stone Love le passe régulièrement.Ca a fait avancer un peu l'activité de Fantan qui après son premier LP avait un peu ralenti ;,on a alors parlé de faire un album. J'ai donc proposé au nouveau boss de Greensleeves Olivier Chastan, qui veut vraiment faire avancer les choses dans ce label depuis son acquisition par VP , de re- signer
Fantan Mojah. Il a tout de suite été partant et a bien connecté avec lui. Il m'avait déjà demande de bosser sur le 'best of' de
Sizzla ça c'était très bien passé. On a donc commencé à attaquer ce projet rapidement .
On le dit difficilement gérable, est-ce le cas ?
Pas du tout c'est un des artistes les plus cool et de loin..
Comment s’est passé le choix des morceaux ?
En fait le problème est que Fantan n'enregistre pas des tonnes de singles comme d'autres artistes donc nous avons eu un choix restreint pour la sélection des titres, et nous avions un budget limitée pour faire un album complètement nouveau. On a donc décidé de prendre les meilleurs morceaux qu'il a sorti depuis son premier opus. On voulait également mettre 4 inédits mais pour des raisons financières et contractuelles ils n'ont pas fini sur le cd.
Comprends-tu que certains amateurs de musique soient lassés de voir des albums qui ressemblent plus à des compilations de singles que de véritables titres inédits ?
Tu sais les albums de producteurs avec que des titres inédits peuvent être super et d'autres fois faire un flop total. La manière vraiment de faire un album c'est de construire une toile derrière un ou 2 singles qui cartonnent. On a choisi de faire le meilleurs album musicalement avec les moyens du bord. Quand tu sors un disque tu ne peux pas aussi a chaque fois plaire à tout le monde ; Ce genre d'album est vraiment fait pour un public qui n'achète pas nécessairement tous les 45 T de Fantan.
Raconte nous un moment surprenant durant la production de cet album ?
Rencontrer Florent Malouda chez
Fantan Mojah. J'ai été un peu surpris de le voire à Kingston en train de kiffer la musique grave, un gars super cool et très humble, pour un fan de foot c'était étonnant. (dommage qu'il ne joue pas a Arsenal ! ).
Tu as également supervisé le 'best of' de Mr Vegas. Comment es-tu arrivé sur ce projet ?
En fait je travaille avec Vegas depuis qu'il a commencé dans le business. Je l'avais branché avec Greensleeves et me suis occupé de ces 2 albums pour le label et j'avais aussi produit un duo avec Neg'marrons il y a quelques années qui avait bien tourné en France; Donc pour moi de faire un 'best of' c'était assez facile vue que je connais très bien l'artiste. N'importe qui d'autre aurai pu le faire de toute façon, pour compiler ce CD tu n'as pas besoin d'avoir fait Mat Sup ça se compile tout seul avec le nombre de hit qu'il a eu.
As-tu été surpris de l’annonce de Vegas de prendre du recul vis-à-vis du monde de la musique ?
C'était un coup de tête qu'il a pris et je te confirme que Vegas n'a pas arrêté la musique du tout! Je suis en train de l'aider à concevoir son prochain album !
On en arrive à l’actualité chaude puisque tu as produit « Rise Up » le nouvel album d’Anthony B. qui sort chez Greensleeves. Pourquoi choisir de travailler avec Anthony B ?
En fait c'est pas facile de trouver un artiste avec qui tu as une connexion qui fonctionne, Anthony est sûrement un des seuls artistes Jamaïcains avec Vegas avec qui je m'entends le mieux, c'est un mec généreux, travailleur et intelligent qui donne 100% dans tous ce qu'il entreprend, comme les autres albums avaient assez bien fonctionner on s'est dis pourquoi pas en faire un 4eme..
N’as-tu pas été refroidi par ses récentes gal et slack lyrics ?
Pas du tout, je n'ai pas cette mentalité réactionnaire de dire que les artistes avec des turbans doivent enregistrer que des titres conscious et les 'ballhead' du dancehall faire que du slackness ou autre. Au bout d'un moment je suis sûr que pour un artiste de faire des milliers de disques sur le même thème ( jah, la ganja etc...) ça doit être un peu lassant ; tu as fait le tour de la question sous tous les angles donc tu as envie de passer à autre chose après avoir chanté ça pendant 10 ans.. Il y a des gens qui aime son changement de direction, d'autre pas ; la Jamaïque est pleine de contradiction et c'est de cette contradiction que sort la musique, de ce mix de culture, de genre , de personnalité et de mentalité, je hais mettre les choses dans des cases je trouve ça réducteur et idiot. 'Tease her' est une bombe dans les dancehalls de Kingston et c'est le plus gros tube d'Anthony B en Jamaïque depuis quelques années, les gens deviennent ouf quand ce morceau passe a Wedy Wedy ou Bembe et les jamaïcains ne se posent pas autant de questions que les européens sur les convictions de l'artiste ou d'où sort il quand ils écoutent ses chansons, ils kiffent la musique point bar.
La fonction de la musique c'est aussi de traverser les barrières , être puriste c'est bien mais nous vivons tous des contradictions dans nos vies et les artistes de reggae aussi.
Ton album est vraiment conscient. Comment se passe la prod. Demandes-tu à un artiste de poser des lyrics sur tel ou tel thème ?
En fait avec 'Rise up' on voulait faire un album un peu plus roots que le dernier qui avait pas mal de titres dancehalls, donc j'ai décider de prendre cette direction, Anthony a donc écrit des lyrics plus conscients que sur le dernier album . On avait aussi enregistrer 2 titres dancehalls mais j'ai décidé de ne pas les inclure n'étant pas satisfait de la qualité des morceaux.
Raconte nous le meilleur souvenir de l’enregistrement….
C'est toujours un plaisir de travailler avec Sly et Robbie qui ont joué sur pas mal de titre acoustique de l'album. Je les connais depuis que j'ai débuté dans la musique, se sont les musiciens les plus humbles et généreux du business. Tous mes souvenirs sont bons...
Le plus mauvais ?
aucun
Tu sors coup sur coup deux des meilleurs albums new roots du moment, quelle est ta vision de cette scène new roots. Peux-tu la définir (accélération du beat, plus de moyens, protools, riddim….) ?
Je sais pas si c'est les meilleurs albums new roots du moment. On essaye toujours de faire au mieux avec ce que l'on a, des fois ça sort bien , d'autres fois moins .Sur pratiquement 99% de mes prods ou sur les projets sur lesquels je travaille je ne suis jamais satisfait il y a toujours un trucs ou je me dis ça aurai pu être mieux fait ou ... les prods new roots , one drop etc. j'appelle ça du reggae tout simplement , j'aime la musique donc je n'ai pas beaucoup de critique vraiment par rapport a ça, le son avance dans une bonne direction.
Avec ces albums, et pour encourager ou décourager les jeunes producteurs, arrives-tu à vivre du reggae ou comme beaucoup as-tu d’autres activités pour « vivre » et produis-tu ces albums par passion de ce son ?
Ca fait 18 ans que je vie uniquement de la musique, c'est pas une industrie facile c'est sûr ; il y a plein de jeunes producteurs et de jeunes labels en Europe et en France qui sortent des séries avec des artistes jamaïcains. Aujourd'hui , les meilleurs prods roots d'ailleurs sont maintenant fait en Europe a mon avis ! je sais que la plupart de ces labels européens font ça comme un hobby, ils ne vivent pas de cela et financent leurs prods avec des activités externes à la musique. Pour sortir une série avec au moins 4 gros artistes sur un riddim tu as besoin d'un apport d'argent important, c'est pratiquement impossible de te rembourser la mise seulement sur les ventes de 45 t surtout de nos jours.
J'ai la chance de pouvoir vivre de ça de part mes activités musicales diverses... j'ai commencé mes premières prods en 92/93 avec £300 soit 3000 francs (400 euros).
Aujourd'hui avec ça tu vas pas aller bien loin. Le reggae pour le plus grand nombre qui sont plongés dedans c'est une passion plus qu'un travail ; de produire des albums d'artiste clairement tu ne fait pas ça pour l'argent ça coûte un fric fou.
Tu es rentré dans le business avec Raggasonic, que t’inspire les récentes déclarations de Mory qui dit vouloir la reformation du duo mais que Big Red n’est pas chaud pour cela ?
Je suis rentré dans le business à Fashion records en 1991 où j'ai commencé comme ingénieur du son en enregistrant
Cutty Ranks, General Levy, Top Cat, Michie et Louchie etc.. donc bien avant Raggasonic. La reformation de Raggasonic c'est comme celle des Sex Pistols, un jour
on en parle un autre jour ça va pas se faire. Moi j'y crois plus et le concept est un peu vieux, c'est dommage. Il y a quelques années ça aurai pu se faire mais plus de 10 ans après... Maintenant si ils m'appellent demain pour refaire un album je suis partant, mais il faut que musicalement ça tienne la route et on a tous pris des directions différentes…
As-tu envie de bosser avec la nouvelle génération d’artistes créoles ? lesquels ?
J'ai toujours aimé ce que fait
Admiral T qui est l'un des artiste avec qui j'ai envie de travailler, je suis plus motive que jamais d'enregistrer des artistes francophones.
Cette année je vais m'y remettre, j'ai d'ailleurs un titre avec
Dragon Davy qui va sortir en single bientôt 'Pyrohman Dragon'.
Comment analyse-tu sa densité mais que personne ne perce réellement au niveau national à part Admiral T ?
Il y a beaucoup d'artistes effectivement qui ont du talent aux Antilles et en France , mais il faut qu'ils se laissent produire et qu'ils travaillent avec des gens sérieux et compétent pour les mettre au top. Il y a trop de trucs moyens de part la productions, les lyrics , le flow... Ils ont besoin d'être dirigés pour beaucoup pour arriver à un stade supérieur et sortir de l'underground; mais le talent est là, tous ce dont ils ont besoin c'est d'être bien produit.
Justement comment vois tu la crise actuelle de l’industrie musicale ?
Les cds d'artistes se vendent toujours mais les chiffres baissent c'est vrai. C'est sur que c'est plus dur qu'avant mais notre industrie est 'drivée' par des passionne comme moi qui continue à acheter des 45ts et des CDs quand ils sont bon donc je suis toujours optimiste pour le futur.
Vois-tu une solution aux problème que pose Internet ?
Oui pour l'industrie du reggae ! Que les producteurs jamaïcains et les labels arrêtent de donner des titres aux radios locales sur l'île 6 mois avant que leurs séries sortent.. Comme ça elle ne seront pas sur tous les sites gratuits de téléchargement .
Tu as récemment sorti la série The Session. La vente de vinyle est-elle encore rentable ?
Oui mais je ne sais pas pour encore combien de temps.
Pense-tu qu’on se dirige vers la fin de ce support dans la mesure ou de plus en plus de sound ne jouent plus que à partir de leur pc (en Jamaïque notamment) ?
Les pressages jamaïcains sont en déclin pour plusieurs raisons: les titres des séries sont sur le net bien avant que les 45ts ne sortent ce qui n'encourage pas à les acheter ; si tu les a gratuitement en format mp3, 6 mois avant qu'ils soient pressés sur un 45t qui scratche et des fois saute. Par contre les pressages U.S. et européens sont toujours opérationnels. Enfin on ne sait pas ce qui va se passer dans les prochaines années non plus.
Comment se passe le choix des artistes qui posent sur tes séries ?
En fait ça dépend si un artistes est de passage à Londres et que je peux lui faire poser à un moment où j'ai un riddim prêt. Si je vais en Jamaïque, comme pour tous les artistes que j'enregistre sur mon label, je suis là physiquement, donc si je veux faire poser
Capleton par exemple sur un riddim au cours d'un de mes voyages et qu'il est en tournée c'est grillé pour cette fois là. Mais c'est le riddim qui me parle d'abord et en fonction de ce que j'entend dans ma tête je fait mon choix ; j' enregistre surtout les dj's et chanteurs que je kiffe .
As-tu une anecdote sur les difficulté qu’on peut rencontrer dans ce genre de production ?
Mon plus gros problème dans mon label c'est que je fait tout tout seul : je presse mes singles, prends l'avion tout les 8 mois pour aller en Jamaïque pour enregistrer etc.... ce qui n'est pas super facile, il faut que je sois là pour dire à l'artistes de changer un couplet dont je ne suis pas ouf . De faire tout ça en solo c'est aussi assez fatiguant et des fois pas évident.
Les producteurs de nos jours sont un peu coincés aussi entre les labels d'un côté qui sont en crise et payent des avances de moins en moins grosses et les artistes qui veulent toujours des sommes exorbitantes pour enregistrer des titres.
Prépares-tu de nouveaux riddim dancehall ? et comment vois-tu la polémique récurrente sur la violence des lyrics dans le dancehall (par exemple Mavado qui est censuré dans de nombreuses villes ?)
Je travaillais sur un nouveau riddim mais je ne suis pas sûr de le sortir en single. De faire des riddims dancehall c'est beaucoup plus dur que de faire du roots : le son change tellement vite et les artistes sont beaucoup plus compliqués à gérer.. Je suis sûrement le seul producteur européen qui a produit des riddims dancehall qui ont marché en Jamaïque et qui sont sortis en Greensleeves riddim album. Le problème c'est que la vente de 45t pour des raisons diverses a complètement plongé. Si tu fais une série roots tu vas en vendre encore beaucoup en single mais si tu fais un riddim dancehall ça ne vaut plus le coup... Dub Vendor va t'en commander 25 de chaque (si ils aiment !). C'est malheureusement devenu une musique qui a perdu ses supports. Le marché des compiles uniquement ragga a plongé, les riddims albums aussi avec le net et les 45t ne vendent plus ; donc quand tu fais une série aujourd'hui avec toutes les stars du genre sur ton riddim même si tu es le producteur le plus au top ça ne vaut malheureusement plus rien.
La violence dans les lyrics a toujours existé, elle reflète la vie quotidienne d'une partie de la société jamaïcaine, maintenant la différence des 4 dernières années c'est que les nouveaux artistes et producteurs ont tous vraiment grandi en écoutant et en étant influencés par le hip hop de 2 Pac et Biggie. C'étaient leurs héros et pas
Dennis Brown, Shabba etc... comme la vague de producteurs et d'artistes d' y il a 10 ou 15 ans , donc leurs repères sont un peu différents, peut être un peu plus hardcore. Movado je trouve ce qu'il fait franchement mortel; je pense toujours de toute façon que la violence télévisuelle des films d'hollywood a beaucoup plus d'effet néfaste sur l'humanité que la musique...
Quel est ton dernier coup de cœur musical ?
le dernier album de
Lutan Fyah 'Africa'
L’artiste avec lequel tu aimerais bosser mais avec qui cela ne s’est pas fait….
Junior Gong
Un dernier mot ?
A tous les amateurs de reggae : Aller chez les magasins de disque spécialisés ils représentent la fondation de notre musique !