Bob Andy interview
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Bob Andy interview

Pouvez-vous nous parler de vos débuts avec les Paragons ?
Garth Evans et moi allions à la même église. Tous les deux, nous avions la capacité de comprendre comment fonctionnaient les harmonies musicales, c’était quelque chose de très spontané, on avait un don. Donc, on a commencé à chanter en duo et on a vite ressenti le besoin d’avoir des harmonies, des chœurs pour compléter notre musique. Donc on a formé un groupe qui s’appelait au début The Binders, puis on a eu deux ou trois autres noms avant de s’appeler The Paragons. Je ne sais pas si vous connaissez Herold Menz, c’était un Jamaïcain qui a grandi à New York. Quand il est revenu en Jamaïque, il a intégré notre groupe et c’est lui qui nous a donné ce nom The Paragons. Plus tard il est reparti aux Etats-Unis puis est revenu en Jamaïque pour faire partie des Techniques. Nous, on l’a remplacé par John Holt qui était déjà un grand chanteur solo. Ensemble on a progressé jusqu’à devenir le groupe le plus célèbre de la Jamaïque sans jamais avoir enregistré un seul disque, car chaque année on tournait à travers les 14 paroisses de la Jamaïque et on chantait partout. Après deux années avec les Paragons, j’ai enregistré « Love at last » pour Studio One, qui est devenue N°1 sur deux stations de radio. C’était au tout début des années 60. Juste après ce morceau, on a eu quelques différents avec les Paragons ; je ne me sentais pas épanoui dans le groupe. Donc je suis retourné voir Coxsone à Studio One pour lui dire que j’avais quitté le groupe et que j’étais prêt à donner un coup de main au studio ; et il m’a gentiment accueilli.

Quels genres de jobs vous avez fait pour lui ? Vous avez enregistré tout de suite ?
Non, au début je n’avais pas cette ambition. Je faisais l’homme à tout faire car j’avais besoin de vivre. Vous savez je ne viens pas d’une famille traditionnelle jamaïcaine avec la mère au foyer et les deux enfants… mon enfance a été bien plus compliquée que ça, et j’ai appris très tôt à gagner ma vie moi-même, j’étais très manuel. Mes jobs chez Coxsone étaient de classer les 45T, de les ranger dans des boxes, et d’aller les distribuer aux boutiques de disques. J’en emmenais plusieurs centaines à chaque fois et j’y allais deux à trois fois par jour. Je ne faisais pas un boulot passionnant mais j’avais la chance de pouvoir assister au processus de création d’un disque ; de la production jusqu’à la presse. Donc c’était une bonne expérience. Pendant cette période, j’écrivais aussi des chansons, j’en avais proposé une à Ken Boothe, une à Delroy Wilson, une autre à Marcia Griffiths, puis petit à petit, je me suis mis à chanter mes propres textes et Bob Andy est né.

Vous avez passé une audition pour enregistrer à Studio One ?
Avec les Paragons oui.


Et comment s’est-elle passée ?
Excellent ! On l’a eue du premier coup. Vous savez à l’époque, j’étais très sensible au piano et j’avais cette capacité innée de reconnaître les notes sur un piano. Donc j’étais plus ou moins capable d’accompagner une chanson. Ce don m’a fait devenir le pilier des Paragons à cette époque car, lors de nos répétitions, j’étais capable de me concentrer à la fois sur mes harmonies et à la fois sur les notes de mon piano. Cela a beaucoup impressionné Coxsone.

Vous avez eu des différents avec Coxsone en termes de droits d’auteurs…
Vous savez… si quelqu’un possède les moyens de production et qu’il est identifié comme naïf, innocent et ignorant, il sera détruit par plus malin que lui. Tu te retrouves carrément dépossédé de ton avenir. Ces gens qui auraient pu t’instruire te détruisent. C’est arrivé à beaucoup de gens de ma génération et cela fait mal. Vous savez, Studio One avait un catalogue de chansons, mais sans Jackie Mittoo, ce catalogue n’aurait jamais existé ; et il n’a jamais rien gagné de tout ce travail. J’ai vu des tas d’artistes réclamer de l’argent à Coxsone, mais il avait toujours des milliers de raisons pour ne pas les payer. Malheureusement, ce comportement de la part de Coxsone reflète le comportement de la plupart des producteurs jamaïcains à l’époque. Aujourd’hui c’est différent, les jeunes sont beaucoup mieux informés sur les droits d’auteurs et sur le fait qu’ils doivent protéger leur œuvre.

Mais vous êtes l’un des rares artistes jamaïcains qui, à cette époque, s’est vraiment battu pour ses droits d’auteurs…
Même avec tous mes combats je suis toujours en procès aujourd’hui avec Studio One pour récupérer mes droits. C’est très complexe. Aujourd’hui j’essaie de sortir ma musique via internet car je veux avoir un impact et une exposition crédible, je veux aussi gagner ma vie correctement. Et pour cela, tu te dois d’avoir des tentacules pour être présent partout. Je ne suis pas très doué dans l’informatique mais je sais que c’est là que je me développerai maintenant.

On l’a dit vous avez travaillé avec Studio One, mais vous avez aussi enregistré chez son concurrent, Treasure Isle…
J’ai fait quelques morceaux pour Duke Reid en effet. Mais… de ces deux démons… Coxsone était plus charmant artistiquement. En fait, Coxsone était un mec super, il n’était juste pas conscient de ce qu’est réellement la vie. Il est clair que l’avarice est une maladie, alors ce n’est pas mon problème, ce qui m’importe c’est d’être là et de pouvoir expliquer aux gens mon expérience avec Coxsone.

 Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Marcia Griffiths ? Qui a eu l’idée de former ce duo Bob & Marcia ?
C’était mon idée. Tout ce qui a avoir avec Bob & Marcia vient de moi. Vous savez, Marcia et moi on a  une trilogie en commun : on a tous les deux été membres d’un groupe, on a tous les deux fait une carrière solo et on a formé ce duo ensemble. La genèse de ce duo c’est… en fait, ma première expérience devant un micro à Studio One c’était avec Marcia. On faisait les chœurs sur beaucoup beaucoup de titres. Coxsone m‘avait confié cette mission car il savait que j’étais doué pour ça. Mais notre duo Bob & Marcia n’était pas prévu, ça s’est juste produit un jour parce que j’avais écrit des chansons qui lui allaient bien. J’ai écrit ces chansons spontanément en écoutant des riddims. A cette époque, j’étais sur le point de quitter Studio One car, même si j’avais appris beaucoup de chose, j’avais compris qu’il n‘y avait plus d’avenir pour moi là-bas. Et Marcia connaissait bien Harry J. On s’est rencontrés au studio Dynamics et il m’a fait écouter un riddim : celui de « Young gifetd and black ». Harry J. voulait absolument que je chante cette chanson, et c’est naturellement que j‘ai invité Marcia Griffiths à le faire avec moi.

Vous êtes considéré comme l’un des meilleurs paroliers de la musique jamaïcaine, vous avez écrit beaucoup de chansons pour d’autres artistes…
En fait je n’ai pas écrit tellement de chansons pour les autres, mais beaucoup d’artistes ont repris mes propres chansons. J’ai écrit pour Ken Boothe, Marcia Griffiths, Delroy Wilson et J.C. Lodge, mais c’est tout.

N’est-ce pas trop difficile d’écrire pour les autres ?
En fait, au début de ma carrière, j’adorais écrire des chansons mais je n’avais pas confiance en moi en tant que chanteur. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai quitté les Paragons. Mais petit à petit, j’ai développé cette confiance dont j’avais besoin grâce aux artistes que je rencontrais à Studio One, Ken Boothe, Delroy Wilson, Leroy Sibbles, Alton Ellis de temps en temps. J’aurais pu être intimidé par tous ces rastas, mais le fait d’écrire des chansons me donnait de la crédibilité et j’apprenais beaucoup en les regardant enregistrer, je comprenais comment on construit une chanson.

Il paraît que vous avez aussi travaillé au studio Tuff Gong. C’est vrai ?
Je ne dirais pas que j’ai travaillé à Tuff Gong, c’est juste qu’ils avaient engagé un manager qui n’avait aucune connaissance musicale. Et je ne sais pas pourquoi, il a jugé que je pourrais lui être de bon conseil, car en tant qu’artiste je devais en connaître beaucoup sur la musique. J’ai encore appris sur le processus de fabrication d’une chanson. J’ai participé à un certain nombre de productions dont je n’aime pas trop parler à cause de l’argent qui a été dépensé. Ce manager gaspillait beaucoup d’argent et il avait des méthodes militaires que je n’appréciais pas ; il était un ancien de la marine.

Cette collaboration à Tuff Gong s’est-elle faite du temps où Bob Marley était vivant ?
Non. Je crois que ça a commencé en 1985 ou 1986.

Vous avez fait votre premier voyage en Ethiopie en 2005. Comment s’est passée cette expérience ?
C’était mon pèlerinage car j’ai pris cette décision tout seul. On ne m’a jamais invité à chanter en Afrique. Quand j’étais à Londres, je me suis promis à moi-même qu’un jour, lorsque je serai en Europe, j’irai toucher le continent africain. Donc je suis allé au Kenya puis en Ethiopie. J’ai participé brièvement au concert Africa Unite à Addis Abeba. Je suis aussi allé à Shashamane une semaine. C’était une expérience formidable que je n’oublierai jamais, d’avoir un contact personnel avec les gens, de pouvoir les écouter et leur parler. C’était vraiment un aboutissement pour moi car j’ai une connexion spirituelle avec l’Ethiopie.

Avez-vous des projets pour vous ou pour d’autres artistes ?
C’est vrai que ces derniers temps j’ai bien travaillé pour les autres, mais je vais me concentrer sur ma propre carrière maintenant. Vous savez, j’ai mis beaucoup de temps à me développer en tant qu’artiste. Il est temps que je me re-concentre là-dessus. Mon voyage dans la musique est mystique et je veux préserver ce mysticisme. Donc tout ce que je vais faire dans les 5 prochaines années en termes de musique sera pour moi.

 

Par Djul
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