RIP John Holt - Interview rare
dossier Roots 0

RIP John Holt - Interview rare

John Holt vient de nous quitter. Nous lui rendons hommage sur reggae.fr aujourd'hui en republiant la présente interview. Cet entretien rare a été réalisé lors du Garance Reggae Festival 2013. Quelques extraits de cette rencontre et de son live sont également disponibles en images ci-dessous.

John Holt était un artiste rare dans nos contrées. Plutôt timide, assez modeste, presque sauvage, l'homme était difficile à cerner. Malgré son humilité perceptible, il était conscient et fier de son talent et de sa popularité. Vous ne le verriez pas jouer dans des petites salles. Non. John Holt voyait les choses en grand. Quand il faisait le déplacement, il fallait que ça vaille le coup ! « Je préfère venir faire un concert devant 20 000 personnes qu'une tournée dans les clubs », nous avouait-il à la fin de notre rencontre. Le Garance Reggae Festival lui allait donc à merveille et ce n'est pas un hasard si ses deux uniques apparitions chez nous ont eu lieu à Bagnols-sur-Cèze. Souffrant de ne pas être reconnu à sa juste valeur (il est souvent réduit à son hit « Police In Helicopter »), Mr Holt a tenu à mettre les points sur les I en balayant une belle partie de sa carrière avec nous. Entretien avec un homme méfiant mais sûr de lui, le maître incontesté des chansons d'amour jamaïcaines.




Reggae.fr : Quelle était la place de la musique dans votre famille durant votre enfance ?
John Holt: Il n'y avait pas de musique dans ma famille. Ils étaient plus intéressés par la mécanique ou l'électricité. Mais en grandissant, ma famille me demandait toujours de chanter pour eux. Ça m'a conduit à me demander pourquoi ils me demandaient tout le temps ça. Parfois, je ne connaissais même pas la moitié d'une chanson, mais je la chantais quand même pour leur faire plaisir. Je pense qu'ils ont reconnu mon talent, et particulièrement ma mère.

Personne n'écoutait de la musique chez vous ?
Oh si. Mes frères et sœurs aimaient beaucoup la musique. Ils achetaient beaucoup de disques. Ils allaient aussi en soirée, mais moi j'étais trop jeune pour les suivre.

Quel genre de musique écoutaient-ils ?
C'était surtout du rock'n roll et du blues. Des artistes comme Louis Jordan. Et moi j'écoutais plus de la musique classique quand j'étais jeune.



Vous souvenez-vous de votre première séance d'enregistrement ?
J'ai fait mon premier enregistrement après avoir gagné la finale du Vere John's Opportunity Hour. C'était un concours de chant ouvert aux jeunes comme moi à l'époque. On venait chanter et si ça sonnait bien, l'animateur nous gardait pour passer à la radio. Je gagnais souvent, mais j'ai aussi perdu pas mal de fois. Au bout d'un moment, j'en ai eu marre, mais un ami m'a encouragé à y retourner et j'y suis allé déterminé. J'ai commencé à gagner sans interruption, jusqu'à remporter la finale. C'est après cette victoire que Leslie Kong de Beverley's Records - paix à son âme - est venu chez moi pour me proposer d'enregistrer pour lui. Et c'est là que j'ai commencé. En 1962. Après j'ai continué à enregistrer en tant qu'artiste solo pour d'autres producteurs comme Coxsone. Et en 1964, j'ai intégré les Paragons.

« J'ai fait mon premier enregistrement après avoir gagné la finale du Vere John's Opportunity Hour »

Justement, à propos des Paragons. Pouvez-vous nous parler de la chanson « On The Beach » ?
A l’époque, je fréquentais un endroit qui s'appelle Gold Course Beach. Il y avait des soirées tous les dimanches avec des sounds comme Coxsone ou King Tubby's. « On The Beach » parle des bons moments qu'on passait dans ces soirées à danser, discuter, rigoler, boire du vin entre amis... On s'amusait !




C'est vous qui écriviez les textes des Paragons ?
Oui. C'est moi qui écrivait toutes les paroles, car les autres avaient des boulots la journée. Moi, la journée, je passais mon temps avec ma guitare à chercher des mélodies et à écrire des textes. Les autres membres arrivaient une fois que les chansons étaient prêtes. Parfois, ils ajoutaient quelques trucs, ils changeaient quelques rimes, mais j'ai écrit 99 % des titres des Paragons.

Quand vous avez intégré les Paragons, Bob Andy était-il toujours membre du groupe ?
Oui. Il faisait les chœurs avec Tyrone Evans et Howard Barrett. J'ai intégré le groupe an tant que chanteur lead dès le début. Je n'étais pas bon pour les harmonies, j'ai une voix faite pour le lead ! Mais j'ai encouragé Bob à se lancer en solo, car je savais qu'il pouvait le faire.

« J'ai écrit 99 % des titres des Paragons »

Quels souvenirs gardez-vous de cette période avec les Paragons ?
Il y en a plusieurs. A une période, on jouait tous les week-ends dans des clubs et on avait beaucoup de succès. C'était génial de voir tous ces gens qui venaient danser en nous écoutant chanter. On a aussi travaillé avec beaucoup de grands producteurs, car les membres du groupe avaient de bonnes relations avec eux. Je suis aussi très fier de l'album « On The Beach », car les 10 titres qui figurent dessus ont tous été N°1 des charts en Jamaïque.



Comment êtes-vous retourné en solo ?
Chacun des membres du groupe a eu des opportunités personnelles. On n'a pas vraiment décidé de se séparer. C'est juste la vie qui en a décidé ainsi. Deux membres du groupe sont partis étudier aux Etats-Unis. En fait, j'étais presque le seul du groupe à être impliqué à 100 % dans la musique. Les gens disaient que j'étais fini car les Paragons n'existaient plus, mais je les ai surpris car j'ai rapidement fait un hit pour Duke Reid avec « Tonight ».

« Je suis très fier de l'album « On The Beach », car les 10 titres qui figurent dessus ont tous été N°1 des charts en Jamaïque »

Vous avez enregistré avec de grands producteurs. Comment les choisissiez-vous ?
En fait, à l'époque, j'ai enregistré avec tous les producteurs jamaïcains. A partir du moment où tu me payes, j'enregistre pour toi ! C'est comme ça que je fonctionnais, car je n'avais de contrat avec personne. J'étais totalement indépendant. Coxsone a voulu me faire signer un contrat d'exclusivité, mais j'ai refusé.

Ces différents producteurs avaient-ils différentes manières de travailler ?
Pas vraiment. C'est sensiblement la même chose. Tu arrives avec ta chanson, tu la répètes avec les musiciens et tu l'enregistres.



Avaient-ils différentes manières de vous payer ?
C'est moi qui choisissais comment on me payait. Je voulais une avance et des droits d'auteur. Je ne cédais jamais mes chansons, car je ne trouvais pas ça correct. J'ai été conseillé par la Performing Right Society, une société anglaise de défense des droits d'auteur. Ils sont venus en Jamaïque en 1965 je crois et on était seulement 5 ou 6 à assister à leur réunion. Ils nous ont expliqué comment protéger nos chansons et ils nous ont laissé des documents sur l'édition et des choses comme ça. C'est comme ça que j'ai compris comment ne pas me faire avoir. Je n'ai jamais fonctionné comme les autres chanteurs jamaïcains qui prenaient 1$ pour une chanson et qui laissaient tous les droits au producteur.

« J'ai le plus grand nombre de titres N°1 en Jamaïque. Plus que n'importe quel artiste »

Vous avez enregistré beaucoup de hits...
[Il nous coupe] : J'ai fait tellement de hits dans ma carrière que je ne me souviens même plus de tous les titres. Il y a par exemple « On The Beach », « Wear You To The Ball », « The Tide Is High », « Ali Baba », « A Love I Can Feel », « Tonight », « Stick By Me ». J'ai le plus grand nombre de titres N°1 en Jamaïque. Plus que n'importe quel artiste. J'ai aussi la chanson qui est restée le plus longtemps N°1 avec « Stick By Me » qui est restée N°1 pendant 16 semaines. Il y a aussi eu « Happy Go Lucky Girl », « Look What Love Has Done To Me »...



Quand vous écriviez ces chansons, pouviez-vous imaginer qu'elles allaient devenir des hits ?
Quand on écrit, c'est difficile de s'imaginer. Mais une fois qu'on a enregistré la chanson et qu'on la réécoute, on ressent quelque chose. On sait si le morceau sonne bien ou pas. Quand il sonne bien, il ne nous reste plus qu'à espérer et prier pour qu'il plaise aussi au public. Car c'est le public qui fait d'une chanson un tube. C'est le public qui achète les disques.

« Le gouvernement a interdit « Police In Helicopter » car des gens de St Ann se sont mis à allumer des feux dans les champs de cannes à sucre »

Parlez-nous de « Police In Helicopter ». Cette chanson a été bannie en Jamaïque n'est-ce pas ?
Oui, car les gens commençaient à rendre cette chanson vivante.  Je vais vous expliquer. Un jour, je prenais l'avion pour aller de Montego Bay à Kingston. J'ai regardé par le hublot et j'ai vu tous ces hélicoptères et cette fumée qui venait de grands feux en bas. La police était en train de brûler des champs de marijuana. J'ai demandé un bout de papier et j'ai écrit la chanson en 15 minutes dans l'avion : « Police in helicopter. Searching for marijuana ». Et je disais : « Si vous continuez à brûler les champs de weed, on va brûler les champs de cannes à sucre ». Et le gouvernement a interdit la chanson car des gens de St Ann se sont mis à allumer des feux dans les champs de cannes à sucre. Ils ont pris cette chanson très au sérieux. Elle est passée une fois à la radio, puis plus jamais. Mais le disque s'est très bien vendu grâce à ça. La chanson ne passe toujours pas à la radio aujourd'hui. C'était le Premier Ministre en personne qu'il avait interdite. J'ai même dû me cacher pendant une période, car j'avais engendré tout ça.

Au début des années 70, vous avez eu beaucoup de succès en Angleterre. Êtes-vous allé en Angleterre pour enregistrer ou pour faire la promotion de certaines chansons ?
Oui je suis allé en Angleterre à cette époque, mais ce n'était pas prévu au départ. Personnellement, je n'ai jamais vraiment voulu quitter la Jamaïque. C'est pour ça que beaucoup de gens dans le monde ne m'ont jamais vu en concert et que j'ai mis autant de temps à venir pour la première fois en France par exemple. J'étais bien chez moi et je voulais y rester ! L’Europe me paraissait si lointaine.



Parmi les grands artistes jamaïcains, il paraît qu’Alton Ellis était un de vos amis les plus chers...
Alton était mon meilleur ami. Mon ami N°1. Quand on était ensemble, on riait de tout, même si c'était triste. On se rappelait de l'époque où on était jeune et où on commençait dans la musique. On parlait de la façon dont on était traité et des nombreuses fois où l'on n'était pas payé. On en rigolait beaucoup, même si c'était sérieux. Alton m'a fait découvrir Trench Town car il habitait là-bas et j'allais souvent le voir. C'est aussi lui qui m'a appris à jouer de la guitare. Et j'ai écrit beaucoup de chansons grâce à ça. C'était quelqu'un de très gentil, simple et humble, comme moi. On ne se prenait jamais la tête. On a essayé d'organiser des concerts ensemble, mais on n'était pas très doués pour ça. Il écrivait de superbes chansons aussi. On a même enregistré ensemble. Des titres comme « OK Fred ». J'ai fait des chœurs pour lui aussi, même si mon nom n'est pas mentionné dans les crédits. Je l'aidais à écrire quelques chansons. C'était vraiment mon meilleur ami. Il me manque beaucoup. Vous savez, je rêve de lui tout le temps. Mais ce sont toujours de bons rêves où je me vois sur scène avec lui.

« Je n'ai jamais vraiment voulu quitter la Jamaïque. C'est pour ça que j'ai mis autant de temps à venir pour la première fois en France »

Plusieurs de vos chansons ont été reprises par des groupes internationaux comme Blondie ou Massive Attack. Qu'avez-vous pensé de ces reprises ?
Je les ai trouvées bien. La plupart des artistes jamaïcains veulent que leurs chansons soient reprises par une star internationale car cela rapporte beaucoup financièrement et musicalement également. On gagne bien plus d'argent avec ce genre de reprises qu'avec nos propres versions. Donc allez-y ! Faîtes des reprises ! Il y en a encore plein à faire (rires). Pour être honnête, je ne connaissais même pas Blondie avant qu'ils ne reprennent « The Tide Is High ». Mais ils m'ont envoyé une lettre et je les ai autorisés à faire cette reprise. Et boom ! La chanson a été diffusée dans toutes les plus grandes radios du monde. Je crois qu'on a dépassé le million de passages radios. Ensuite il y a eu Massive Attack avec « Man Next Door » et Atomic Kitten qui a refait « The Tide Is High ». Je ne sais pas ce qui a poussé ces groupes à faire ces reprises. Peut-être est-ce la mélodie, ou les paroles ou les harmonies... Mais en tout cas, ça prouve que j'ai une influence sur certains groupes et je suis fier de ça. Tous ces groupes peuvent continuer à faire des reprises de John Holt.



Il y a plusieurs chansons qui sont à la fois chantées par vous et par Dennis Brown, comme « Man Next Door » ou « Hooligans ». Qui les a interprétées en premier ?
La plupart du temps, c'est moi qui chantais en premier et Dennis Brown en faisait une version après. Je n'ai jamais repris une chanson de Dennis Brown. C'est toujours moi qui chantais en premier et il aimait beaucoup ce que je faisais. J'ai été une des influences de Dennis Brown. Il essayait de chanter comme moi. Il était mon apprenti (rires). Et en ce qui concerne l'album « Wildfire », il vient d'une de mes chansons. On a fait ce duo « Wildfire » et ensuite on a fait un album ensemble à Londres, au Easy Street Studio. Cette chanson m'est venue quand j'étais en Californie. Je marchais sur la plage et j'ai vu des gens en train de faire l'amour sur le chemin. Et les paroles me sont venues : « Girl your love is like wildfire spreading all over me ». Il y a eu d'autres chansons où j'écrivais mes couplets et Dennis écrivait les siens. Il y a « Reload » et quelques autres morceaux de l'album « Wildfire ». Mais les chansons dont vous me parlez, c'est toujours moi qui les ai chantées en premier. Car Dennis disait : « Si John peut le faire, je peux le faire ». Comme il était sur le même ton de voix, il voulait toujours essayer de reprendre mes chansons.

Par Steph Albon, Greg Wallet et Ju-Lion; photos Ju-Lion
Commentaires (0)

Les dernières actus Roots