Kabaka Pyramid

Kabaka Pyramid

Nationalité : jamaïcaine

Il y a quelques jours, nous vous faisions découvrir notre rencontre avec Kabaka Pyramid en images. Voici l'intégralité de notre interview retranscrite ci-dessous. Elle a été réalisée avec la complicité de nos amis de l'Est et de Suisse On The Roots et  Nico de Lion Sound.

Regggae.fr : Peux-tu te présenter pour les internautes qui ne te connaissent pas ?
Kabaka Pyramid: Bonjour à tous c'est Kabaka Pyramid. J'ai grandi à Kingston en Jamaïque. Je suis musicien, producteur, ingénieur du son, tout en un ! Je suis là pour la musique, pour propager un message positif et élever les gens. Le nom Kabaka vient de la tribu Buganda en Ouganda, en Afrique. Kabaka est le titre qu'ils donnent à leur Roi. Donc ça veut dire « Roi ». Je cherchais un nom africain et ce nom a résonné en moi comme une évidence, j'aimais l'énergie de ce nom. Et Pyramid vient d'un nom que j'utilisais quand je faisais du hip-hop : Ronny Pyramid. J'ai juste rassemblé Pyramid et Kabaka pour en faire un seul nom.

"Je suis musicien, producteur, ingénieur du son, tout en un !"

Comme tu viens de l'évoquer, tu exerces différentes activités dans la musique. A quel point est-ce important d'être polyvalent pour un chanteur ?
C'est très important. En étant polyvalent, tu te démarques des autres, ça te donne un avantage. Si tu comprends la production, quand on te donne un riddim et que tu sens qu'il manque quelque chose, tu peux parler au producteur et te faire comprendre facilement. C'est pareil avec un ingé-son. Si l'ingénieur ne sait pas exactement le son que tu veux, il peut te dire que ça sonne bien alors que tu sais que ça ne sonne pas bien. Si tu comprends ça, tu peux lui dire quels éléments accentuer car tu sais ce que tu veux, plutôt qu'il te dise ce qu'il faudrait faire. Donc c'est important de connaître ces choses et d'être polyvalent.

On suppose que tu as eu accès à ces connaissance grâce à la démocratisation des ordinateurs et des logiciels de son. Certains artistes de la vieille école critiquent cette démocratisation en disant que les ordinateurs font tout et que n'importe qui peut faire de la musique de nos jours. Mais il est vrai que cela permet à des artistes talentueux comme toi d'émerger...
Il y a toujours une balance et il faut faire avec. La technologie progresse. Il n'y a rien de plus constant que le changement et il faut suivre les évolutions de la technologie. Il y a des artistes talentueux qui n'auront jamais la chance d'accéder à un gros studio et qui peuvent travailler tous seuls. Mais il y a aussi des artistes qui n'ont pas vraiment de talent mais qui saisissent l’opportunité d'enregistrer par eux-mêmes. Il y a du bon et du mauvais là-dedans, comme pour tout dans la vie, mais il faut faire avec et savoir en tirer des avantages. Moi, j'ai su en tirer avantage, car je n'ai jamais évolué dans un gros studio, ni grandi auprès de musiciens. J'ai tout appris tout seul. Je me suis enseigné moi-même la plupart des choses que je connais. Donc il peut y avoir quelqu'un comme moi qui émerge de manière positive, ou quelqu'un peut dire que ce que je fais n'est pas bien. Ça dépend juste des personnes.

Il paraît que tu as commencé la musique en reprenant les mélodies de chansons célèbres avec tes propres paroles. Te souviens-tu des chansons que tu reprenais ?
J'étais très jeune quand je faisais ça. C'était pour m'amuser. Je ne me souviens plus trop. Je me rappelle juste que la première chanson dont j'ai changé les paroles était « I Believe I Can Fly » de R. Kelly. Mais je ne me souviens pas de mes paroles (rires).

Tu mélanges reggae et hip-hop dans ta musique. Parle-nous de tes influences dans ces deux styles musicaux.
J'ai toujours été influencé par le reggae. Mon père écoutait beaucoup de reggae : Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer. Je me souviens même qu'il avait un CD de Shaggy, « Mr Boombastic », que j'écoutais beaucoup étant jeune. Dans ce CD, il y avait déjà un genre de mélange reggae et hip-hop. C'est une de mes premières influences. Il y avait ce tune d'Ini Kamoze, c'était ma chanson préférée, « Here Comes The Hotstepper ». Plus tard, je me suis plus penché sur la musique de Sizzla Kalonji. Il a eu un profond effet sur mon évolution spirituelle et musicale. Le reggae a toujours été présent. Et pour ce qui est du hip-hop, j'ai commencé à en écouter quand j'avais à peu près 11 ans. Les paroles et la poésie m'ont attiré. J'ai vraiment adhéré aux différentes choses que les rappeurs disaient dans leurs chansons. Je ne me suis jamais intéressé aux hits populaires, mais plutôt aux vrais paroliers que beaucoup ne veulent pas écouter. Des gens comme Wu-Tang Clan, Nas, Talib Kweli, Mos Def, Dead Prez. Des gens qui ont quelque chose à dire en fait, c'est ça que j'écoutais.

Comment se porte la scène hip-hop en Jamaïque ?
Il y a une scène hip-hop, mais elle est plutôt petite par rapport au reggae et au dancehall. Il y a beaucoup de MCs, rappeurs et producteurs undergrounds. Il y a une émission qui s'appelle Pay Attention et d'autres choses comme ça qui permettent aux talents de s'exprimer, mais ce n'est pas soutenu par les médias grand public. Il y a peut-être un ou deux DJs qui vont jouer du hip-hop local, mais c'est tout. Beaucoup de gens fustigent le hip-hop en disant que les Jamaïcains ne sont pas censés rapper. La plupart des rappeurs prennent l'accent américain. Certains gardent l'accent jamaïcain mais même eux ils ne sont pas soutenus. C'est dur, mais il y a plein de jeunes talentueux. Il faut Big Up Five Steez, Nomad Carlos et tous les autres.

"On peut s'orienter vers du hip-hop et garder un message conscient en lien avec Rastafari."

Certains artistes roots foundation se plaignent de l'incursion du hip-hop dans le reggae jamaïcain. As-tu reçu des critiques vis-à-vis de ta musique ?
Pas vraiment non. Je crois que les gens n'aiment pas trop le côté négatif que le hip-hop a atteint de  nos jours. Ils ont l'image des mecs en boîte de nuit avec des filles sexy et tout ça. Je crois que ce qui gêne les gens c'est cet aspect qui tend à infiltrer le dancehall jamaïcain. Mais ça n'a rien à voir avec ce que je fais moi. Si vous écoutez le Black Uhuru des années 70, vous ne pouvez pas me dire que ça ne sonne pas comme du hip-hop. C'est juste que c'est old school et que le hip-hop n'existait pas encore. C'est plutôt ce genre de musique que je veux remettre sur le devant de la scène. Il y a beaucoup d'intros de riddims qui sonnent comme du hip-hop, mais dès que le beat one drop arrive, on reconnaît le reggae. On peut s'orienter vers du hip-hop et garder un message conscient en lien avec Rastafari. Tant que le message est là, on ne reçoit pas vraiment de critiques. Ou alors ceux qui en font le font dans mon dos (rires).

Tu as commencé avec le hip-hop, puis tu as mélangé les genres. Aujourd'hui, des producteurs te proposent de véritables riddims one drop. Es-tu aussi à l'aise avec ça ?
Ça dépend. Je prends les riddims un par un et si je le sens bien, je le choisis. Le reggae est parfois plus approprié aux chanteurs et je ne me considère pas vraiment comme un chanteur, mais comme un parolier, un deejay. Ce n'est pas parce que je fais du reggae qu'on peut me donner le même riddim que Richie Stephens ! Je ne réfléchis pas comme ça. Si un riddim ne me convient pas, je ne l'utilise pas, que ce soit du reggae, du hip-hop ou du R&B. Mais si je prends une vibe en l'écoutant, je pose direct dessus. Je ne me préoccupe pas du style. J'essaye juste de ne pas trop faire de dancehall car c'est une course folle. Donc j'évite de me rapprocher de ça et je garde mon style à un certain niveau.

"Je ne me considère pas vraiment comme un chanteur, mais comme un parolier, un deejay."


Ta musique et ta voix sont proches du style de Protoje. Vous êtes de la même génération. Vous avez émergé quasiment à la même période. Peut-on dire que vous vous influencez l'un l'autre ?
Je crois que j'ai été influencé par Protoje. En fait, je suis influencé par tous ceux que j'écoute. Protoje et moi habitions au même endroit quand je travaillais sur mon EP. Donc j'ai écouté quelques vieux morceaux à lui, des tunes que personne n'a jamais entendu. Et ces sons m'ont influencé. C'est comme quand j'écoute Junior Gong... ensuite je vais enregistrer une chanson qui sonne comme les siennes. C'est ce qui est dans ton subconscient qui s'extériorise. Et je suis sûr que Protoje a eu des idées en écoutant ma musique. Je ne peux pas parler à sa place, mais je sais qu'on se respecte mutuellement.

Tu as dit que tu n'essayais pas de réinventer la musique. Ça te plaît de reprendre des anciens riddims adaptés à la sauce moderne ?
Je crois que c'est toujours bien de boucler la boucle et de montrer que tu es un amateur de vieille musique. C'est important, car des énergies différentes se libèrent selon l'époque. Les années 70 ont leur propre énergie, les années 60 aussi et les années 50 aussi. Si tu te concentres seulement sur l'énergie actuelle, tu auras un truc moderne. Mais si tu ramènes des sons anciens, tu peux obtenir un truc frais qui sort de ton époque. Ça amène un nouvel élément. La musique a besoin de différentes variables pour devenir ce qu'elle est.

Tu fais partie de cette nouvelle génération roots aux côtés de Chronixx, Raging Fyah, Uprising Roots et tous ces groupes. Ressens-tu un réel intérêt du public ou le dancehall est-il encore la musique dominante sur l'île ?
C'est dur d'évaluer le succès. Tout est relatif. Parfois je suis dans la rue et je croise un gars qui me dit : « Tout le monde parle de toi et Chronixx etc. » Mais parfois je me présente comme Kabaka et on me dit : « Tu chantes quelle chanson ? » Je réponds « No Capitalist » et les gens ne connaissent pas le morceau, donc ils me disent que je ne suis pas artiste (rires). C'est dur de savoir. Ce qui est sûr, c'est que je reçois beaucoup plus d'amour des gens de l'étranger. Ça se sent beaucoup sur les réseaux sociaux. Mais les gens m'apprécient en Jamaïque et ils aiment le mouvement global que l'on forme avec Protoje et Chronixx. S'ils progressent, je progresse avec eux et vice versa.

Tu as sorti beaucoup de singles, des mixtapes, des EP... Quand verrons-nous le premier album de Kabaka Pyramid ?
Je ne peux pas encore dire quand, mais ce sera sûrement en 2014. Je travaille actuellement dessus. J'ai quelques chansons déjà prêtes et j'ai hâte de sortir cet album.

Biographie par Djul avec On The Roots et Lion Sound
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