David Cairol : de Biarritz à Kingston
interview Reggae français 44

David Cairol : de Biarritz à Kingston

Cela fait plusieurs mois maintenant que l'on vous parle régulièrement de David Cairol. Ce français très attaché à la Jamaïque, y a enregistré plusieurs titres entouré de la crème des musiciens de l'île. Il s'apprête d'ailleurs à sortir un album qui s'annonce de grande qualité. Mais David Cairol a bien d'autres initiatives et cordes à son arc. On discute de tout cela avec l'artiste rencontré par notre journaliste Melena Helias il y a quelques mois à Kingston.

Reggae.fr : Ta passion pour le reggae date de ton adolescence. Est-ce que tu peux nous raconter comment tu l’as découvert ?
David Cairol : Je partais en voyage scolaire pour l'Angleterre et j'avais prêté une cassette de Lenny Kravitz à un copain. Je lui avais demandé de me la ramener pour le séjour parce que j'avais envie de l'écouter. Je la mets dans mon walkman et en fait, c'était Bob Marley… Ça m'a foudroyé, un truc qui a vraiment changé ma vision de la musique, de la vie, de tout. Donc pendant quinze jours, j'ai écouté l'album Legend là-bas. Quand je suis rentré chez moi au Pays Basque, j'ai commencé à acheter ses autres albums. Puis au bout d'un moment j'ai fait le tour de Bob Marley et je me suis élargi au reggae en général : les Gladiators, Israel Vibration, les fils Marley aussi. Quand tu es adolescent, tu passes par plein de phases. Moi, ça m'a beaucoup aidé, par rapport à la famille entre autres. Son message m'a donné beaucoup d'espoir dans la vie, il m'a porté. Musicalement mais pas que. J'ai voulu apprendre de Bob Marley, de ce qu'il avait fait pour l'humanité aussi.

Tu parles d’espoir, justement en février 2020, tu as sorti ton nouveau titre Hope Road dont le clip a été tourné en Jamaïque. “La route de l’espoir”. Comment t’est venue l’idée de cette chanson ?
C'est vraiment mon histoire que j'ai essayé de raconter en quelques lignes, mon voyage depuis mes 14 ans avec cette cassette que je reçois jusqu'à maintenant et l'arrivée en Jamaïque. Et ce titre-là est venu un peu par magie. Un soir, lors de mon premier voyage ici, j'avais une petite chambre sur une rue perpendiculaire à Hope Road (Hope Road est une longue rue de Kingston, NDLR). J'avais une guitare avec moi, j'étais en train de jouer et presque tout est venu naturellement, sauf les deuxième et troisième couplets. Et deux mois après, en France, à mon réveil un jour tout le reste de la chanson est arrivé. En l'espace d'une demi-heure.



Ensuite, tu es revenu en Jamaïque l’enregistrer…
Tout à fait, avec une partie de l'équipe de Damian Marley, le batteur de Damian Marley, le percussionniste de Chronixx et le bassiste de Protoje et Bo-Pee, un guitariste qui jouait dans Inna de Yard avant. Et lui est décédé un mois après qu'on ait enregistré l'année dernière.

Et dans le clip, vous avez parcouru le chemin de Trenchtown à Hope Road…
Oui, on a essayé de retracer le chemin qu'avait pris Bob Marley pour sortir du ghetto grâce à sa musique. Jusqu’à voir enfin le soleil et quitter la misère qu'il avait connue. C'est vraiment une route particulière. 56 Hope Road, c'est là où il a vécu. Et au-delà du nom de la rue qui existe ici, c'est la route de l'espoir, il y a une dimension un peu plus grande que ça.

Dans Hope Road, tu mentionnes le Pays Basque quand tu dis “I grew up in a French town, by the name of Bayonne”. Est-ce que tu vois des similarités entre le Pays Basque et la Jamaïque ?
Oui, déjà il y a des similarités historiques, avec les marrons en Jamaïque (des esclaves fugitifs qui ont fondé des communautés libres, NDLR). Au Pays Basque aussi, notre peuple a beaucoup résisté dans les montagnes. C'est d'ailleurs grâce aux montagnes qu'on a pu garder une culture, une tradition et un territoire. Il y a aussi le côté océan, même si ici en Jamaïque c'est la mer. Et bien sûr, une culture forte et des gens assez directs. Évidemment, il y a plein de différences, mais j’y trouve quand même une énergie que je peux retrouver au Pays Basque.

Depuis 2007, tu fais des ateliers d’écriture au Pays Basque. Et ces derniers temps, tu en as aussi animé en Jamaïque jusqu’à créer des partenariats entre des établissements scolaires basque et jamaïcain…
L’idée, c’est que pendant deux ou trois jours, j’amène les enfants à écrire une chanson, à trouver leurs mots et à écrire la mélodie. Ensuite je les emmène soit sur scène, soit en studio, soit les deux. Donc ils vivent tout le processus de création jusqu'au live. C'est génial pour eux et moi je m'éclate parce que j'adore voir des gamins avec le sourire. Et voir certains qui sont en difficulté sortir de leurs difficultés grâce à la musique. Pour moi, c'est l'essence-même de la musique : pouvoir sortir des mots et exorciser quelque chose.

Et en arrivant en Jamaïque, tu es allé voir l’Alliance française pour leur proposer ces ateliers…
Comme la Jamaïque m'a tellement donné, musicalement et humainement, je me suis dit que ce serait génial si je pouvais moi redonner quelque chose à la source. Donc ça s'est fait, à Shortwood College où ils forment des professeurs, à St Georges College, mais aussi à l'Alliance française. C’était destiné à des jeunes jamaïcains qui apprennent le français. Bien sûr, j'ai un peu plus aidé dans la construction et dans les mots, mais ils s’en sortaient. Ils ont une culture musicale incroyable, une facilité pour chanter, pour trouver les rimes et le verbe. Donc j'ai halluciné qu'on arrive à faire ça en si peu de temps. Et dans la continuité de tout ça, on a créé un partenariat entre St Georges College et le lycée hôtelier de Biarritz. Toute l'année,  les Jamaïcains et les Français ont correspondu. On voulait casser un peu les clichés entre les deux pays. Au départ, on s’est interrogés : “Comment vous voyez les Français ?”, “Comment vous voyez les Jamaïcains ?”. Forcément chez nous la Jamaïque c'était le reggae, Bob Marley, la ganja, tout ce qui est véhiculé par les médias habituellement. Pour la France, c'était plutôt les monuments, Paris, la nourriture. Quelque chose d'assez riche tout le temps. Ensuite, on a créé une chanson qui s'appelle One People pour montrer qu’on avait aussi plein de points communs.  Et c’était aussi de dire : on a des différences, ce n’est pas grave, c'est ça qui crée notre richesse. Et cette année, on a refait un partenariat, cette fois-ci entre un collège des Landes et un lycée jamaïcain de Kingston : Campion College.



Pendant le Reggae Month en Jamaïque en 2020, tu as participé au concert hommage à Dennis Brown à Kingston. Raconte-nous.
C’est ce qui m'a le plus marqué pendant mon voyage. J'ai été invité et je suis le premier artiste étranger à avoir chanté sur la scène de Dennis Brown. C'était incroyable, on m'a dit qu'il y avait 40 000 ou 50 000 personnes. J'ai chanté Hope Road en acoustique et Revolution de Dennis Brown.

Pourquoi avoir choisi ce titre ?
C’est mon morceau préféré de Dennis Brown. J'adore ce riddim et j'adore aussi les paroles. Elles me parlent parce que j'ai grandi dans une famille assez engagée, une famille d'humanistes. C'est pour ça aussi que Bob Marley me parlait : se battre pour ses droits, avoir du respect pour l'autre. Donc c'est à la fois cet héritage-là que j'ai et puis aussi la résistance qu'on a connue au Pays Basque. Pas ces dernières années mais quand on a combattu Franco, qui était une période très dure.

C’est une attachée de presse du Reggae Month qui t’a proposé de participer. Et pendant la répétition, tu as été assez impressionné par les artistes qui étaient présents…
J'arrive à la répétition et c'était Julian Marley qui était en train de répéter juste avant moi. C'était incroyable parce qu'il y avait Freddie McGregor, Julian Marley, Christopher Ellis, Samory I, plein d'artistes incroyables. Pour dire vrai, je faisais pas le malin du tout, d'arriver là et de voir tous ces gens.

Et ensuite comment s’est passé le concert ?
Ça a été un moment magique pour moi. Je crois que c'est l'un des moments les plus forts que j'ai vécus sur scène. Tout le monde est venu me voir après, même les médias, ils sont venus me féliciter, ils m'ont dit “la Jamaïque t'aime maintenant ! Tu peux aller n'importe où, tu as ton passeport pour le monde”. Ça m'a beaucoup touché d'avoir ce retour-là. Et puis d'être le premier à avoir joué sur cette scène-là en venant d'ailleurs, c'est encore plus un remerciement qu'ils m'ont fait. Ils m'ont dit “You're a pioneer”. J'en ai la chair de poule d'en parler parce que c'était très très fort. Et puis tous les gens en face, le public qui a chanté avec moi, c'était dingue ! Je pourrais en parler des heures.

Dans ton prochain album, tu as un featuring avec Judy Mowatt, ancienne choriste de Bob Marley notamment.
Pour moi, si Bob Marley était un Roi dans le sens musical, Judy Mowatt était la chanteuse que je vénérais et que j'adorais. Je la trouve magnifique. Je me souviens encore des vidéos que je voyais à l'époque du One Love Peace concert, Judy Mowatt chantait quelques morceaux. J'étais fan de son album Black Woman. Pour moi, c'est un des plus grands albums qui aient été faits en reggae. Elle a été l’une des premières femmes à faire un album militant, pour les femmes mais aussi politiquement. Magnifique album. Moi j'étais fan donc.



Comment l’as-tu contactée ?
Le producteur avec lequel j'ai travaillé ici sur quatre titres l’a contactée pour moi afin de lui proposer un featuring. Mais elle en a fait très peu pendant vingt ans. Un des rares qu'elle a fait c'était avec Harrison Stafford des Groundation. Je ne savais pas trop si elle allait vouloir, c'est quelqu'un qui est vraiment attaché aux paroles. Finalement elle est venue en studio, en janvier 2019, je lui ai expliqué ce que je voulais dire dans le texte et elle a accepté et ça a été magique. La chanson s'appelle Echoes From The Jungle.

Qu’est-ce qui t’a marqué pendant tes trois séjours jamaïcains ?
Il y a ce côté spirituel et ce regard sur l'humanité, j'adore en parler. C'est vrai que c’est moins présent en France. Ici en Jamaïque, il y a vraiment ce partage qui est assez direct. On ne parle pas de la pluie et du beau temps. On parle vite de choses fortes. Ça m'a fait beaucoup de bien. Ensuite musicalement, j'ai beaucoup appris, en regardant comment ça fonctionnait, comment les musiciens jouaient. J'ai appris à prendre mon temps aussi. Le rythme est différent ici. Chez nous, on est toujours dans le speed et ici, cette spiritualité et ce côté mystique font que ce qui est doit être. Ce n’est pas une fatalité mais c'est juste se dire que la vie est comme ça et prenons le temps de la remercier, prenons le temps de la vivre. S’il y a du retard ce n’est pas grave, s’il y a un souci, ce n'est pas un souci, tant qu'on est en vie. Et la manière de cuisiner, la cuisine ital, c’est vraiment une chose que j'ai appris ici : la nourriture comme médecine naturelle. Enfin, je retiens aussi l'hospitalité et l'aide permanente. J'étais surpris de voir autant d'entraide, de gens qui viennent vers toi facilement, avec beaucoup de sourires et d'humanité.

Quels sont tes projets et tes ambitions maintenant ?
Je voudrais tourner un maximum avec le prochain album déjà. Et essayer de viser l'Europe et le monde, notamment les États-Unis. Il y a des partenaires qui s'intéressent au projet donc la perspective est tout à fait différente. Et je pense que le fait d'avoir enregistré en Jamaïque et en anglais me permet d'aller au-delà des frontières, bien plus qu'avant.

Tu me parlais aussi de l’Éthiopie. Tu voudrais enregistrer là-bas ?
J'adorerais. Il y a un artiste avec lequel j'adorerais travailler, c'est Mulatu Astatqé, un musicien de jazz éthiopien. Mais mon idée, c’était plutôt d’y aller pour visiter, découvrir le pays, vivre la culture. C'est le seul pays en Afrique qui n'a pas été colonisé, le seul qui a résisté. Et puis forcément il y a aussi cette histoire entre Haïlé Sélassié et les rastas. J'ai envie de voir par moi-même comment les rastas vivent là-bas. Ça a l'air magnifique et ça fait partie de ces pays source dans le monde parce que c'est une des premières langues qui ont été parlées et c'est le berceau de l'humanité.

Donc ce ne serait pas un voyage pour la musique mais je suppose que ça influencerait tes créations ?
Je pense. Ça pourrait amener à quelque chose de différent et peut-être que, comme en Jamaïque, j'irai enregistrer quelque chose là-bas ! Je suis vraiment ouvert à tout parce que j'écoute beaucoup de choses. Tu éveilles quelque chose auquel je n’avais pas pensé…

Par Propos recueillis par Melena Helias
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