Il y a tout juste un mois, le canadien Bob Riddim présentait Destiny, un nouvel album posthume du légendaire Lee Scratch Perry, décédé brutalement il y a tout juste deux ans. L'originalité du projet réside dans les collaborations que Bob Riddim, auteur de la plupart des instrumentaux, a proposé à l'artiste jamaïcain d'enregistrer dans l'année qui a précédé sa disparition. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le pari est réussi.
Entretien avec ce producteur original et très actif.
Reggae.fr : Peux-tu tout d'abord te présenter brièvement ?
Bob Riddim : Je suis Bob Riddim, producteur depuis près de 20 ans. Depuis quelques années, je concentre surtout mes productions sur le reggae/dancehall. Ce sont des genres qui me sont chers et que j’écoute depuis longtemps. C’est pourquoi j’ai décidé d’y consacrer la majeure partie de mon temps. J’ai eu le privilège de collaborer avec divers artistes de renom originaires des quatre coins de la planète, et je sens que mon son a évolué grâce à ces collaborations. Entre autres, j’ai travaillé avec Kabaka Pyramid, Yaadcore, Skillibeng, Xana Romeo, Naomi Cowan, Anthony B, Blvk H3ro, Wayne J, Turbulence, Evie Pukupoo, Exco Levi, Leno Banton, Addis Pablo, Rocky Dawuni et Neto Yuth.
Comment as tu fait la connaissance de Lee Perry ? Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Je n’ai malheureusement pas eu la chance de rencontrer Lee Perry en personne. Nous avons commencé à travailler ensemble lors de sessions que nous faisions à distance en juillet 2020, pendant la pandémie. J’ai proposé à Lee des riddims avec des sonorités modernes, différents de ceux sur lesquels nous étions habitués de l’entendre. Cette rencontre musicale a créé quelque chose de novateur et a motivé la continuation de la collaboration, inspirant Lee à créer et textes profonds et sentis.
À quel moment vous-êtes vous dit que vous travailleriez sur un album ?
Dès les premières chansons, nous sentions que la rencontre entre les riddims modernes et la voix chargée d’émotion et marquée d’expérience de Lee créait quelque chose d’unique. Avec Lee et sa femme Miri, nous nous sommes alors rapprochés, communiquant plus fréquemment. D’un commun accord, nous avons décidé de compléter ce qui serait l’album Destiny. Tout s’est déroulé de façon naturelle et sentie.
Pourquoi le sortir maintenant et pas avant ?
Avant de sortir l’album, nous devions prendre le temps de réfléchir et d’exécuter minutieusement tous les aspects du projet. Il était importait pour nous que Destiny représente l’héritage de Lee tout en propulsant l’artiste dans des zones jusque-là inexplorées. Toutes les étapes de la démarche (production musicale, collaborations, artworks, mixage…) ont été réfléchies et parfois explorées à plusieurs reprises afin qu’elles soient cohérentes avec cette vision.
Son nom Destiny a t-il été décidé avec Perry ? Pourquoi ce titre pour nommer l'album ?
Destiny est la deuxième collaboration que nous avons créée avec Evie Pukupoo. À ce stade du projet, tous les artistes impliqués ont senti que le projet pouvait représenter quelque chose de spécial pour Lee, une liaison entre son héritage et le futur du reggae/dancehall. Destiny représente donc ce momentum, mais aussi la symbolique de l’union entre l’innovation et la tradition, la création d’une voie qui se déploie naturellement pour Lee après des décennies de travail acharné, inspirant et impliquant la future génération d’artistes de Kingston.
Tu as fait appel à de nombreux autres chanteurs pour l'accompagner. Comment s'est fait le choix des collaborations ?
La vision de la rencontre entre l’héritage (Lee) et la nouvelle génération (collaborateurs) a d’abord émergé lors de discussions avec Lee et sa femme Miri. Les artistes qui apparaissent sur l’album représentent donc la nouvelle génération d’artistes reggae. Collaborant déjà avec plusieurs de ces artistes, il fut aisé pour moi de les introduire à cette vision et au projet et sans surprise, tous ont été inspirés et enthousiastes d’y contribuer.
Lee Perry a t-il eu son mot à dire ?
Bien sûr, Lee tenait à ce que le projet soit respectueux de sa vision, de ses valeurs et de ses aspirations pour le futur. Le choix des artistes invités a été réalisé en collaboration directe avec lui et Miri.
Ont-ils enregistré ensemble parfois ?
Malheureusement non, étant donné que l’album a été enregistré pendant la pandémie. Toutefois, le partage n’en était pas moins riche. Tout au long du projet, idées, inspirations, flows, poèmes, images, symboles ont été partagés, créant une bulle de création qui outrepassait la distance physique. Je crois sincèrement que ces échanges ont permis de créer la magie nécessaire à la création d’un tout cohérent et incarnant l’apport de tous.
Quel est ton meilleur souvenir du processus de création de cet album ?
Cela est peut-être l’un des aspects positifs du travail de création avec des artistes qui demeurent à des milliers de kilomètres : cela m’a permis de découvrir des pistes dans leur entièreté, comme on déballe un cadeau. Si la découverte des créations de Lee inspirées par mes riddims a évoqué chez moi humilité et gratitude, elle m’a aussi offert des rires, des surprises, des frissons.
En tant que producteur et dans ton oeuvre en général, en quoi Lee t'a t-il influencé ?
Lee m’a d’abord amené à assumer mes choix artistiques, sans gêne, sans demi-mesure. Il était un artiste de renom, mais d’autant plus inspirant puisqu’il portait peu attention aux normes établies lorsque venait le temps de créer. Je crois que c’est ce qui lui a permis de propulser le genre au-delà des limites établies. Dans ce projet, je me suis donc permis de pousser les effets au-delà des standards. Je me suis permis de suivre mon instinct créatif et de tisser un tout à la fois cohérent et éclaté, un projet qui est à la fois réellement représentatif de l’artiste que je suis et ancré dans l’héritage de Lee. Cette collaboration marque un point tournant dans mon parcours artistique et me portera assurément à créer de façon toujours plus authentique et éclatée.
Quels sont tes prochains projets ?
J’ai entamé dans les dernières années différents projets avec des artistes de la nouvelle génération reggae, mais aussi des productions afrobeats, qui soit sont en cours de production, ou dans certains cas, sont prêts à sortir. Comme je le mentionnais plus tôt, la production d’un titre ou d’un album représente seulement une partie du travail à accomplir avant la sortie. Je suis donc dans un work in progress actuellement dans différents projets.
BIG UP BOB RIDDIM