Le groupe Les Guetteurs a sorti son quatrième et certainement meilleur album - Tempête - au début du mois. L'occasion était toute trouvée pour nous entretenir avec Fratoun, chanteur lead de la formation.
Reggae.fr : Pouvez-vous nous expliquer le choix de ce titre Tempête ?
Fratoun : C’est un mot fort qui apparaît deux fois dans l’album, dans les chansons « No more trouble » et « Vita bella », et qui est suggéré dans le titre numéro deux : « Déchire les cieux ». Il retranscrit bien l’ambiance générale de l’album qui parle beaucoup du combat spirituel, des tempêtes intérieures que l’on peut vivre au quotidien. Notre album vient apporter une réponse, martelée notamment dans la chanson « Les épines » : n’ayons pas peur, soyons en paix malgré la tempête, car Dieu est à nos côtés.
Comment avez-vous travaillé en termes de production ?
Pour la grande majorité des chansons, j’ai d’abord posé la guitare sur un métronome puis nous avons rajouté les instruments par-dessus, petit à petit, au fil des mois. Ce fut une vraie aventure artistique menée avec notre ingénieur du son Damien Hoppe, avec qui j’ai partagé la direction artistique du projet et qui a mixé onze chansons sur douze. Cela nous a permis d’élargir notre champ musical, d’ouvrir l’horizon du groupe, en faisant appel à des musiciens de l’extérieur, notamment le violoncelliste Ferréol Foillard, le bassiste Thierry Petit Cheveu, la chanteuse lyrique Violaine Colin, et tant d’autres qui ont sublimé les chansons de leurs talents.
Et au niveau de la composition des textes ? Ecris-tu tous les jours et ou as-tu besoin d'un riddim pour t'inspirer ?
L’inspiration, ça va et ça vient, il faut juste savoir la saisir quand elle est là. Cela peut être dans la rue, dans le train, en faisant la cuisine, en priant… Il n’y a pas de règle. Je ne suis pas de ceux qui se fixent des créneaux d’écriture. Mais cela va en effet plus vite quand j’ai ma guitare entre les mains ou un bon riddim dans le casque !
Peux-tu en particulier nous parler du morceau Aime et fais ce que tu veux feat. Hopen ?
Les frangins du groupe Hopen sont des amis que l’on croise régulièrement depuis 10 ans : ils sont 4 frères et débordent de bonnes vibes ! Le featuring s’est fait assez naturellement. Ils m’ont invité à chanter avec eux à la Cigale en novembre 2023, sur un de leurs titres : « Aimer comme ça ». J’avais composé un couplet spécial pour l’occasion. Après cette expérience concluante, on s’est dit : « pourquoi ne pas faire une vraie collab' sur nos prochains albums respectifs ? ». C’est comme ça qu’on s’est retrouvé en studio un matin de février dernier et qu’on a composé à cinq mains cet hymne à l’abandon, « Aime et fais ce que tu veux », qui sort à la fois sur « Tempête » et sur leur prochain album.
Qu'en est-il de On est feat. Fratcha. ?
C’est une chanson du groupe de reggae Spear Hit, actif de 1999 à 2008, dont Fratcha était l’un des chanteurs, et dont Damien Hoppe était également l’ingénieur du son. Ils l’ont joué sur scène mais ne l’ont jamais enregistré. Trouvant la chanson très belle, j’ai composé un couplet dessus puis proposé à Fratcha de la chanter avec moi. Il a posé sa voix grave et rocailleuse et ça a fonctionné. Il faut savoir aussi que j’écoute Spear Hit depuis mon enfance, et encore aujourd’hui ! Ce sont eux qui m’ont donné envie de faire du reggae, de témoigner de ma foi à travers la musique. Ils avaient un zèle inimitable et une énergie folle sur scène. Chanter ensemble cette chanson, c’est un immense honneur pour moi. J’ai également fait intervenir sur ce morceau le batteur de Spear Hit, Benji, et leur guitariste, FonF, afin de lui donner cette tonalité radicalement roots qui était la marque de fabrique de ce groupe. Ils ont également joué sur « Stay with me » et « Les épines ».
Quel message as-tu voulu transmettre avec Là-Haut ?
Que les souffrances et les épreuves de cette vie ne sont rien en comparaison des promesses du ciel.
Vous avez dans cette chanson introduit de superbes sonorités de guitare espagnole.
C’est une chanson qu’on a souvent jouée ces dernières années lors de nos concerts en duo avec Guilhem, le claviériste du groupe, dans les bars ou les petits événements auxquels on était convié. C’est Guilhem qui, spontanément, s’est mis dès les premières fois à poser une guitare espagnole avec son synthé, et ça prenait plutôt bien avec le public. Lorsqu’on a commencé à travailler les arrangements pour l’enregistrement, l’idée de missionner un vrai guitariste flamenco s’est imposée naturellement. Guilhem a fait quelques recherches sur Fiverr, une plateforme de mise en relation de musiciens, et on a jeté notre dévolu sur Pablo Dominguez, un guitariste flamenco professionnel, originaire d’Andalousie, qui a su donner au titre cette sonorité si particulière, ensoleillée et mélancolique à la fois.
Quel est ton meilleur souvenir durant le processus d'enregistrement ou de création de l'album ? Et le pire ? et ou une anecdote rigolote ?
L’enregistrement de cet album nous a pris tellement de temps qu’il est difficile de choisir parmi tous les souvenirs ! Mais puisqu’il le faut je dirais que l’un de mes meilleurs souvenirs fut la prise avec la chanteuse lyrique Violaine Colin, sur la chanson « Vita Bella » : cela faisait quelques semaines que je cherchais la bonne voix, forte et puissante, capable de renforcer le refrain en lui apportant de la profondeur et du relief. J’ai sondé autour de moi plusieurs connaissances puis finalement une amie m’a donné le numéro de Violaine, et il se trouve qu’elle connaissait les Guetteurs ! Je l’ai appelé pour lui donner ma vision, puis on s’est fait une visio pour qu’elle me montre ce qu’elle pouvait faire : en un essai j’ai compris qu’on visait juste. Le jour de l’enregistrement, elle nous a donné, à Damien et moi, une vraie leçon de technique vocale. Tout était à sa place et ajusté : l’interprétation, l’accent, l’intensité… Pour ce qui est du pire souvenir, je suis tenté de parler des heures passées à côté de l’ordinateur de Damien, à l’épauler dans l’édition des prises, mais même ça, avec du recul, c’est un bon souvenir. Je mesure la chance que j’ai de travailler avec un ingénieur du son aussi scrupuleux : il fait du travail d’orfèvre !
Vous êtes certainement l'un des seuls groupes issus de la planète reggae à revendiquer sa chrétienté. Percevez-vous des critiques à cet égard ?
Il y a aussi Christafari aux Etats-Unis, des chrétiens qui font du très bon son et qui témoignent ouvertement de leur foi en Jésus-Christ depuis plus de 30 ans. Spear Hit aussi dont j’ai déjà parlé, qui avait un son roots calibré, une patte unique. Récemment, j’ai aussi découvert Credo Trio, un groupe de La Réunion dont le chanteur est un religieux dominicain. Les critiques, il y en aura toujours, on ne s’y arrête pas. D’autant qu’elles sont bien minoritaires en comparaison de toutes les marques de soutien que l’on reçoit ! C’est un grand privilège de pouvoir rencontrer, à l’issue des concerts, des gens qui nous disent que nos sons les accompagnent au quotidien, les aident à avancer, à prier.
Si les valeurs de paix et d'amour sont communes à de nombreuses religions, les actes et ce que représente le Vatican sont souvent largement fustigés par la communauté rasta, elle-même très liée au mouvement reggae. Comment conciliez-vous tout cela ?
On fait simplement ce que l’on aime, du reggae, pour un Dieu que l’on aime, Jésus-Christ. L’amour permet toutes les conciliations.
Quelles sont tes principales influences reggae ?
J’ai appris vraiment le reggae dans mon adolescence en écoutant les Wailers, tous leurs disques bien sûr, mais aussi leurs répétitions, leurs sessions de pré-enregistrement : des heures et des heures d’écoute pour tenter de découvrir le secret de leur groove ! Mon album préféré est « Burnin’ », sorti en 1973, lorsque Bob Marley était encore entouré de Peter Tosh et de Bunny Wailer. Le jeu de batterie de Carlton Barrett, associé au doigté de son frère Aston à la basse, demeure pour moi la référence absolue. L’album « Aux armes et caetera » de Gainsbourg, avec Sly et Robbie à la section rythmique, et les I-Threes aux chœurs, fut également l’une de mes plus grandes révélations artistiques. Puis il y a eu Groundation et leur reggae unique, plein de nuances et de subtilités harmoniques, qui encore aujourd’hui me laisse muet d’admiration.
Quels artistes reggae écoutes-tu actuellement ?
J’apprécie beaucoup la musique de Marcus Gad et de son band « Tribe » qui développent un groove très roots, patiné, aux sonorités cuivrées. On est allé les voir en concert avec Guilhem il y a un an, à Tremblay-en-France et c’était envoutant ! J’aime beaucoup aussi le son de Dub Silence : outre leurs compositions, ils font des reprises géniales des hits du moment en mode reggae, et ça détend bien ! Sinon, j’écoute régulièrement Naâman, Panda Dub, Tiken Jah, Alpha Blondy, Danakil, Dub Inc et tant d’autres…
Vos prochaines dates de concert ?
On joue le 16 novembre prochain à La Crèche dans le 79, à la salle de l’Hélianthe, le 23 novembre à Limoges, et le 30 novembre à Avignon. Toutes les dates de 2025 seront annoncées prochainement sur nos réseaux sociaux.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
De beaux concerts et de belles rencontres ! Nous avons notamment pour projet de booker une belle salle à Paris pour la fin du printemps.
Merci Fratoun !