Hommage à Peetah Morgan
dossier Roots 9

Hommage à Peetah Morgan

Alors que les causes du décès brutal de Peetah Morgan, chanteur lead de Morgan Heritage, restent encore inconnues à cette heure, nous lui rendons hommage toute la journée sur Reggae.fr.

Nous commençons ce tribute par un dossier spécial à lire ci-dessous sur le groupe Morgan Heritage, dont il était avec ses frères et soeurs l'un des fondateurs, et dont il est resté incontestablement le pillier.

Extrait mis à jour de l'ouvrage Reggae Ambassadors la légende du reggae (Grondeau A., Marsouin J., Achour L., paru aux Editions La lune sur le toit en 2016).

La famille royale du reggae s’appelle Morgan Heritage et elle propage son reggae roots et conscient depuis le milieu des années 1990. Pilier incontournable de la scène One Drop / New Roots, elle parcourt le monde pour délivrer ses messages de tolérance, d’ouverture d’esprit et de solidarité.


Être « enfant de » n’est pas forcément un avantage pour percer dans la musique. Cela peut attirer les regards méfiants, les jalousies, les rancœurs. Les fils et filles du respecté Denroy Morgan pourraient vous le dire. Gramps, David, Jeff, Lukes, Memmalatel, Ray, Peter et Una sont nés et ont grandi dans un univers musical fécond et un cocon familial américain bien éloigné des ghettos de Kingston. Est-ce pour autant qu’il aurait fallu leur interdire de reprendre le flambeau artistique de leur père ? La réponse est évidente à l’écoute de leur discographie.



Leur premier album est produit en 1994. Intitulé « Miracle », il est durement critiqué par une partie de la presse spécialisée qui le qualifie d’aseptisé et de sans âme. La vérité d’un jour n’est pourtant pas celle de demain. Leur seconde tentative de percer dans le reggae est la bonne. « Protect Us Jah » est publié trois ans plus tard chez VP Records. Cette collaboration avec Bobbie Dixon s’avère être une subtile combinaison de reggae conscient bien lourd et de pur reggae lover et s’impose comme un des meilleurs opus reggae de l’année. « Set Yourself Free » devient le premier succès du groupe et des titres comme « Watch the Heathen » ou « Africa, Here We Come » mettent déjà en avant les aspects revendicateur et spirituel de leur musique. Morgan Heritage se positionne alors comme un groupe avec lequel il va falloir compter.



En 1998, le combo familial confirme avec « One Calling », un superbe album issu de leur collaboration avec le grand King Jammy. Ils y chantent « Give We a Licence », un titre pro-légalisation de la marijuana, en duo avec... leur propre père !



L’album suivant, « Don’t Haffi Dread », va marquer un tournant important dans la carrière du groupe. Sorti en 1999, savant mélange de roots et de lovers à nouveau produit par Bobbie Dixon, l’album crée une importante polémique dans la communauté reggae et rasta. Le titre du même nom de l’opus affirme en effet de manière explicite qu’il n’y a « pas besoin de locks pour être un rasta ». Plusieurs artistes comme Bushman s’élèveront contre cette vision hétérodoxe du rastafarisme, mais le public reggae, lui, adhérera en très grande majorité à cette manière de voir les choses et fera de l’album un succès important de la décennie. Le débat a eu l’intérêt d’être lancé et il a installé les Morgan Heritage en leaders d’un reggae plus ouvert, tolérant, universel, à nouveau prêt à conquérir le monde.



À l’approche du nouveau millénaire, Morgan Heritage s’impose comme une référence du reggae moderne connue dans le monde entier. Artistes fédérateurs, ils sortent en 1999 le premier volume de leur compilation « Morgan Heritage and Friends », plus connue sous le nom du Liberation Riddim. L’instrumentale apparaît sans conteste comme le riddim de l’année, avec des titres devenus depuis des classiques : on pense bien sûr à « Jah Jah City », de Capleton, ou encore à « Love Is the Solution », de Jah Cure ! La famille royale du reggae produit ensuite deux autres volumes de la compilation au début des années 2000 et différents artistes comme les LMS (jeunes frères et sœurs de la famille Morgan).



Leur opus personnel « More Teachings » sort en 2001. L’album confirme la popularité internationale des Morgan Heritage grâce notamment au puissant « Down by the River ». En parallèle, le groupe propose des titres inoubliables sur des riddims phares de l’époque : « Tell Me how Come », posé sur le Season Riddim de Don Corleon (qu’on retrouve sur l’excellent album « Full Circle » en 2005), ou encore « Inna Dem Ting Deh », interprété sur le Superior Riddim du label allemand Pow Pow. Les Morgan Heritage sont alors à la pointe de la vague new roots qui déferle sur l’Europe. Leur succès est immense, leur public toujours plus important. La formation diversifie ensuite davantage sa musique et s’oriente progressivement vers un reggae crossover teinté de hip-hop et de R’n’B, voire de rock. Ce changement s’entend déjà dans l’honorable « Mission in Progress » en 2008, après lequel le groupe est mis entre parenthèses pour permettre à chacun des membres de la famille de se consacrer à ses projets en solo. Ceux-ci témoignent encore des influences éclectiques de la formation, avec par exemple Mojo, qui reprend le très rock « Roxanne » de The Police. Les rumeurs de différends au sein du groupe et de séparation définitive vont bon train, mais le groupe est solide, et son message, limpide.

« Morgan Heritage ne s’est pas séparé, nous avons décidé de développer nos carrières solo pour que les gens découvrent plus intimement chaque membre de la famille. On s’est réunis plusieurs fois et on s’est demandé ce qu’on pourrait faire pour surprendre nos fans et faire quelque chose de nouveau. »



Les projets solo ne rencontreront pas le succès escompté et la famille reprendra le chemin des studios pour livrer en 2013 « Here Comes the King », avec comme single phare le bien nommé « The Return ». Morgan Heritage retrouve rapidement son public et repart en tournée. Sur scène, leur prestation est réglée comme du papier à musique, le show millimétré, et rien n’est laissé au hasard, ce que critiquent d’ailleurs certains fans des débuts. Les Morgan Heritage restent pourtant dans l’air du temps. Le regain de popularité du reggae et l’explosion de la génération Reggae Revival ne leur aura pas échappé, et ils proposent en 2015 un album intitulé « Strictly Roots ».

« Nous sommes nés à Brooklyn et avons grandi à Springfield, aux États-Unis, mais nos parents sont jamaïcains. Nos racines sont en Jamaïque et en Afrique. Tous les hommes de cette planète ont des racines quelque part, peu importe où ils habitent. Si on dit « Strictly Roots », c’est parce que quand vous écoutez notre album, vous avez accès à une large palette qui représente la musique jamaïcaine et toutes les influences qu’elle a eues sur les autres styles comme la pop, le ska punk, le hip-hop ou le dubstep. Toutes ces musiques ont été influencées par le reggae et notre but était de les ramener à leurs racines. »



« Strictly Roots » est le dixième album studio des Morgan Heritage, et le premier autoproduit sur leur label Cool To Be Conscious, créé spécialement pour l’occasion. L’opus a rassuré les fans et il atteint rapidement la première place du Billboard US. Son succès est couronné par un Grammy Award en février 2016, le premier du groupe. On y remarque la présence de Chronixx, clin d’œil revendiqué à la scène Reggae Revival.

« Cette nouvelle génération d’artistes est en train de toucher une nouvelle génération de fans. Alors, en tant qu’artiste établi, si tu veux aussi toucher cette base de fans, c’est important pour toi de collaborer avec les jeunes artistes. Ces gars-là ont des fans qui ne nous connaissent pas, il faut le savoir. »

La famille royale du reggae confirme ainsi sa volonté de rester ouverte aux autres artistes et aux autres styles musicaux. N’en déplaise aux frileux et aux ayatollahs du reggae en tout genre qui dénoncent le tournant commercial du groupe, Morgan Heritage reste fidèle à ses valeurs et philosophe face à la critique.

« C’est quand même bizarre qu’à chaque fois qu’on explore un autre style les gens se posent des questions. Si No Doubt fait une chanson un peu reggae, tout le monde va dire : “Oh vous avez entendu ? No Doubt fait du reggae ! Génial !” Alors que quand c’est Morgan Heritage qui fait de la pop, on entend plutôt : “Ah, ils ont viré commercial.” C’est la vie. On ne peut pas plaire à tout le monde. »<



C'est avec le même état d'esprit que le groupe sort l'excellent album « Avrakedabra ». La magie opère à nouveau. La famille royale du reggae assume plus que jamais son côté pop et part à la conquête d'un public toujours plus large avec un album particulièrement bien produit et fourni en featurings. L'opus « Loyalty » suit en 2019. Ce douzième effort regroupe 16 nouveaux titres dont des featurings avec Patoranking (« Pay Attention »), Popcaan ou encore Stonebwoy, notamment sur le single « Africa X Jamaica » sur lequel figure également Diamond Platnumz.



Avec « Legacy » sorti après la pandémie, le groupe se ressère encore plus autour de Gramps, Peetah et Mojo. Le projet regroupe 32 titres dont des versions remasterisées de featurings en or avec Chronixx (Child of Jah), Shaggy, Bounty Killer (Gunz in the Ghetto), Ziggy et Stephen Marley (One Family), Beres Hammond (Help the Needy), Stonebwoy… et bénéficie d’un lancement sous forme d’un fichier NFT garantissant l’unicité et l’originalité du projet.

Morgan Heritage enfonce le clou avec leur album évènement « The Homeland » en 2023, un projet pharaonique et rare de par sa diversité et son universalité. 21 titres mettent à l'honneur la terre mère à double titre : à la fois l'Afrique, berceau de l'humanité mais aussi la terre natale des parents de Morgan Heritage, la Jamaïque. Ce ne sont pas moins de 30 artistes que le groupe réunit sur le projet, c'est dire les liens que la famille royale du reggae a tissé au fil des années passées sur la route. Les invités proviennent de 4 continents et au moins 11 pays d'Afrique sont représentés.

Morgan Heritage a ainsi perpétué son oeuvre en tournant à travers le monde, inlassablement et pour le plus grand plaisir du public. La disparition de Peetah Morgan en 2024, à l'âge de 47 ans, est un choc pour le groupe, sa famille et la planète reggae. Mais nul doute que Morgan Heritage parviendra d'une manière ou d'une autre, à poursuivre l'oeuvre commune.




Par Reggae.fr
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