L’histoire de la musique en général, et du reggae en particulier, est parsemée des destins de jeunes artistes autodidactes qui, par leur travail, leur intuition et leur ouverture d’esprit, participent à l’évolution des styles musicaux dont ils sont issus. Kabaka Pyramid appartient à cette famille d’artistes.
Keron Salmon fut la révélation reggae de l’année 2013. Mêlant sans complexe sonorités reggae et hip-hop, il a apporté un véritable vent de fraîcheur musical sur son île natale. Talentueux et autodidacte, l’artiste aborde toutes les facettes du métier.
« Je suis musicien, producteur, ingénieur du son, tout en un ! C’est très important d’être polyvalent, tu te démarques des autres, ça te donne un avantage. Si tu comprends la production, quand on te donne un riddim et que tu sens qu’il manque quelque chose, tu peux parler au producteur et te faire comprendre facilement. C’est pareil avec un ingénieur du son, tu peux lui dire quels éléments accentuer dans un son car tu sais ce que tu veux, plutôt qu’il te dise ce qu’il faudrait faire. Je n’ai jamais évolué dans un gros studio, ni grandi auprès de musiciens. J’ai tout appris tout seul. Je me suis enseigné moi-même la plupart des choses que je connais. »
On peut s’orienter vers du hip-hop et garder un message conscient en lien avec rastafari.
Originaire de Kingston, Kabaka est passionné de musique depuis son plus jeune âge. Il est influencé par de nombreux artistes appartenant à l’histoire du reggae, mais aussi d’artistes de hip-hop américain qui le séduisirent grâce à des textes conscients et engagés.
« Mon père écoutait beaucoup de reggae : Bob Marley, Peter Tosh, Bunny Wailer. Je me souviens même qu’il avait un CD de Shaggy, “Mr Boombastic”, que j’écoutais beaucoup étant jeune, et il y avait déjà un genre de mélange reggae et hip- hop. C’est une de mes premières influences. Il y avait aussi ce tune d’Ini Kamoze, c’était ma chanson préférée, “Here Comes the Hotstepper”. Plus tard, je me suis plus penché sur la musique de Sizzla Kalonji. Il a eu un profond effet sur mon évolution spirituelle et musicale. Et pour ce qui est du hip-hop, j’ai commencé à en écouter vers 11 ans. Les paroles et la poésie m’ont attiré. Je ne me suis jamais intéressé aux hits populaires, mais plutôt aux vrais paroliers que beaucoup ne veulent pas écouter. Des gens comme Wu-Tang Clan, Nas, Talib Kweli, Mos Def, Dead Prez. Des gens qui ont quelque chose à dire, en fait, c’est ça que j’écoutais. »
Cette passion pour les musiques urbaines américaines n’est pas anecdotique. À ses débuts, Kabaka se fait un petit nom dans l’underground en tant que rappeur, apparaissant sur plusieurs mixtapes hip-hop. L’artiste fait fusionner ensuite son double bagage musical en mêlant hip-hop et reggae sur son premier EP, « Rebel Music » (2011).
Proche de Protoje, ce dernier apparaît en featuring sur l’énorme « Warrior » qui fait de Kabaka Pyramid le nouvel artiste en vue. Les médias spécialisés européens et américains s’emparent du phénomène, élevant déjà les titres de l’EP au rang de classiques du reggae. Kabaka Pyramid est nommé dans plusieurs compétitions au Canada et en Jamaïque et il est sacré révélation de l’année en 2013 par la Jamaica Reggae Industry Association. À la suite de ces récompenses et de ce premier opus, l’artiste se produit dans le monde entier et conquiert un public nombreux et fidèle, probablement aidé par son ouverture, sa couleur musicale, susceptible de toucher un public plus large. Il faut dire que le style de Kabaka oscille toujours entre passé et modernité, entre tradition et avant-garde.
« Je crois que c’est toujours bien de boucler la boucle et de montrer que tu es un amateur de vieille musique. C’est important, car des énergies différentes se libèrent selon l’époque. Les années 1970 ont leur propre énergie, les années 1960 aussi et les années 1950 aussi. Si tu te concentres seulement sur l’énergie actuelle, tu auras un truc moderne. Mais si tu ramènes des sons anciens, tu peux obtenir un truc frais qui sort de ton époque. Ça apporte un nouvel élément. La musique a besoin de différentes variables pour devenir ce qu’elle est. »
Le chanteur ne suit pas la tendance, il veut la devancer. Son deuxième EP, « Lead the Way », est un véritable bijou musical qui se présente comme un album, avec pas moins de treize titres. L’EP achève de caractériser la personnalité artistique du jeune yardie tout en renforçant son aura auprès du public. À ceux qui trouveraient quelque chose à redire à son style crossover, Kabaka répond.
« Si vous écoutez le Black Uhuru des années 1970, vous ne pouvez pas me dire que ça ne sonne pas comme du hip-hop ! C’est juste que c’est old school et que le hip-hop n’existait pas encore. Je crois que les gens n’aiment pas trop le côté négatif que le hip-hop a de nos jours. Ils ont l’image des mecs en boîte de nuit avec des filles sexy et tout ça. Je crois que ce qui gêne les gens c’est cet aspect qui tend à infiltrer le dancehall jamaïcain. Mais ça n’a rien à voir avec ce que je fais. On peut s’orienter vers du hip-hop et garder un message conscient en lien avec rastafari. »
C’est une autre qualité de Kabaka : le chanteur s’avère être un excellent parolier. Comme ses confrères de la scène Reggae Revival, il se considère comme rasta et met principalement en avant la spiritualité (« Lead the Way »), l’amour (« Worldwide Love »), l’héritage africain (« Free From Chains »)... Il reste néanmoins dubitatif quant à l’expression même « Reggae Revival ».
« Ce sont les fans qui sont à l’origine de ce terme, je ne pourrai donc en parler qu’en tant qu’amateur de reggae : quand j’écoute Chronixx, Protoje, Exco Levi ou Dre Island, je ressens une vibration qui me manquait depuis quelque temps ; je dis ça en tant que fan, en tant qu’artiste je ne suis là que pour faire ma musique ! Quand je discute avec les gens et qu’ils me disent qu’en écoutant ce que je fais ils n’avaient pas ressenti de choses pareilles depuis Bob, que puis-je leur répondre ? Je ne vais pas leur dire que le reggae n’était pas mort, je ne peux pas changer ce qu’ils pensent ! Que les gens s’expriment, qu’ils appellent ça Reggae Revival ou New Roots, ce n’est pas mon problème... »
L’artiste admet à demi-mot que la musique de sa génération apporte véritablement un nouveau souffle au reggae, mais qu’elle s’inscrit aussi dans la continuité de l’évolution du mouvement musical jamaïcain.
Le son de Kabaka séduit sans difficulté, et ce bien au-delà de son île natale. L’artiste multiplie les collaborations (notamment avec Major Lazer) avec des producteurs européens (Silly Walks, Irie Vibrations, Dub Inc) et on le retrouve en combinaison avec des artistes d’horizons divers, du légendaire Sizzla Kalonji à l’espoir américain Jah Sun.
À partir de 2015, lui et son label Bebble Rock se rapprochent de Ghetto Youths International et Damian Marley. Les deux artistes s'entendent à merveille et Marley produit alors le premier véritable album de Kakaba intitulé « Kontraband » (2018), après plusieurs singles remarqués.
L'alchimie opère sans difficulté. Le potentiel de l'artiste est sublimé par les prods de Damian Marley. « Kontraband » est un album complet et frais.
La pandémie mondiale n'arrête pas l'artiste sur sa lancée. Kabaka multiplie les singles (et les collaborations), et sort entre autres une mixtape (Immaculate) avec le crew allemand Jugglerz.
En 2022, Kabaka Pyramid sort son deuxième album studio intitulé « The Kalling ». Toujours vec Damian Marley à la production exécutive, cet opus de de 15 titres place l'artiste reggae revival comme l'un des plus talentueux de sa génération, tant au niveau de son flow qu'au niveau de ses textes. La collaboration Pyramid / Marley continue de faire des étincelles, à l'image du hit en puissance « Red Gold And Green ».
Mais « The Kalling » recèle bien plus de surprises. De l'ouverture de l'opus avec « Mystic Man », samplé du morceau du même nom de l'idole de Kabaka Peter Tosh, feat. de Buju Banton sur le puissant « Faded Away » (reprise de « Fade Away » de Junior Byles), en passant par le titre éponyme en collaboration avec Stephen Marley, Protoje et Jesse Royal, l'album est une vraie réussite et parvient à nous étonner sur chaque piste.
Avec un style original et énergique, de belles mélodies qui soutiennent des messages forts, Kabaka Pyramid est de ces artistes qui sont partis pour durer ! C'est en tout cas tout ce qu'on lui souhaite.