Le reggae n’est pas un sujet qui a énormément inspiré le cinéma. La sortie de Made in Jamaïca dans les salles obscures puis aujourd’hui en DVD condensait donc de nombreuses attentes chez les amateurs de reggae. A priori, l’ambition de ce documentaire était présenter le style musical reggae tel qu’il est aujourd’hui, oscillant entre dancehall et roots. On débute donc, dès les premières secondes du film dans une soirée dancehall branchée de Kingston. Les images sont de qualité, la réalisation soignée, les mouvements de caméra donnent l’impresion d’y être. On aperçoit Bounty Killer puis Lady Saw au chant. On apprécie quelques pas de danse de Bogle. C’est alors qu’on apprend que ce dernier meurt, assassiné, et cette annonce semble amener le film vers une réflexion sur les paradoxes des ghettos de Kingston qui oscillent entre violence et crimes, c’est-à-dire le pire, et reggae, le meilleur. Malheureusement les grands espoirs que laissent ces premiers instants vont être en partie déçus. Ce n’est pas vraiment ce genre de réflexion que nous propose Made in Jamaïca. Le film reste reste plus dans le descriptif avec l’enchaînement de très nombreuses, et souvent très belles, sessions de studios, extraits de live et acapella, que dans la réflexion autour du reggae et de la société jamaïcaine. Le parti pris est clairement artistique avec un grand soin apporté à des extraits live filmé parfois au bord d’une rue (Gregory Isaacs) ou dans une gare désaffecté (Bunny Wailer). De ce point de vue la mise en scène est admirable. Les lieux de tournage, l’éclairage et le traitement des couleurs sont excellents. Mais les amateurs de reggae pourront regretter que la forme ait été privilégiée sur le fond. Evidemment, on voit bien le contraste étonnant entre les artistes dancehall, leur énergie scénique (le live d’Elephant man à Amsterdam restitue très bien les concerts d’Energy God) leur volonté d’être rebelle mais finalement leur reproduction des codes du hip hop US. On est très loin du message conscient et révolutionnaire de Bob Marley, contrairement à ce que Elephant man ou Bounty Killer disent. On aurait d’ailleurs bien aimé un peu de contradiction aux propos des artistes qui sont finalement très "politiquement correct". On apprécie évidemment voir Capleton chanter « That day will come », Toots HIbert montrer sa magnifique voix soul, Gregory Isaacs susurrer ses paroles dans une obscure salle de lap dance, Beres interpréter magnifiquement un de ses titres. On aime un peu moins quand Bunny Wailer reprend Bob ou Peter Tosch (dans un costume de cow boy à la limite du ridicule). On sourit quand Lady Saw joue au tennis dans sa chambre puis chante dans sa cuisine pour finir dans son home studio. On sent la détresse de Nadine Willis, jolie danseuse qui apparaît de manière récurrente et qui raconte sa terrible histoire sur la fin du film. Il y a donc une vrai émotion qui passe et que l’enchaînement des très morceaux séquences musicales ne gâchent pas. Mais on regrette un peu la teneur des interviews, assez faible, qui ne servent pas le propos du documentaire. Cela dit, le vrai reproche qu’on peut faire au film c’est l’oubli de tout un pant du reggae made in Jamaïca. A part Capleton, on ne voit aucun des représentants de la scène new roots. Pas de Richie Spice, de Chezidek, de Ras Shiloh, de Fantan Mojah, encore moins de Gyptian, d’Anthony B., de Junior Kelly ou de Sizzla. Le documentaire occulte la branche du reggae la plus dynamique de ce style de musique depuis 10 ans. C’est probablement ce qui laissera sur sa faim tout amateur de reggae, en plus du manque de fond manifeste du documentaire. Dans l’ensemble on est donc un peu déçu, il faut bien l’avouer, mais le DVD reste quand même de très bonne facture et a sa place dans votre dvd thèque. Il y a tellement peu de documentaires sur le reggae qu’on ne va pas bouder notre plaisir.