Si vous avez vu le film Bob Marley One Love actuellement au cinéma, une scène faisant figurer le personnage mythique de Clement 'Coxsone' Dodd (fondateur de Studio One Records) vous a peut-être interpellé, puisqu'il y est représenté comme menaçant Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailers (tous trois adolescents) avec un pistolet, alors que ces derniers arrivent au studio - présentés par Joe Higgs - pour présenter leur titre Simmer Down.
Si beaucoup de connaisseurs avaient déjà noté l'incohérence de cette scène et la probable confusion avec un autre producteur au caractère bien trempé de l'époque - Duke Reid (fondateur de Treasure Isle) - et concurrent de Coxsone, c'est la fille de celui-ci qui a réagi à la scène cette semaine auprès de nos confrères de Dancehallmag.
Morna Dodd décrit la scène comme « très insultante » pour la mémoire de son père (décédé en 2004). Elle réclame des « excuses publiques immédiates » de la part de Paramount Pictures, de Rita Marley et de la famille Marley.
« Des excuses sont requises pour la représentation de mon père auprès de millions de personnes dans le monde alors qu'il s'approche et menace des adolescents avec une arme à feu », a t-elle déclaré, ajoutant même que bien au contraire, Dodd avait plutôt représenté une figure paternaliste dans la jeunesse de Bob Marley.
Lisez notre critique sur le film Bob Marley One Love : https://reggae.fr/lire-news/22331_202402_Bob-Marley-One-Love-le-film---notre-avis.html
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Pour rappel, Clement 'Coxsone' Dodd était producteur de mento, calypso, blues, rythm 'n' blues, ska, rock steady, reggae, dub. Sans lui le reggae ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Il a été et reste l'un des plus grands producteurs jamaïcains.
Né à Kingston en 1932, il fait ses études à l'école All Saints de Kingston. C'est à cause de son talent au cricket qu'on le surnomme alors Coxsone en référence à un joueur anglais de l'époque, Alex Coxon. Il travaille ensuite dans des plantations de canne à sucre dans le Sud des Etats-Unis le rhythm 'n' blues en très en vogue à cette époque.
De retour sur l'île, il décide d'avoir sa propre discothèque ambulante appelée « Coxsone Downbeat ». Grand amateur de jazz, il diffuse surtout des programmes américains, mais rapidement, il décide de s'approvisionner lui-même sur le continent. Surtout à la Nouvelle-Orléans et à Miami. Sa sélection le fait rapidement connaître du public. Il sélectionne surtout des disques de rythm 'n' blues et de du jazz de big bands. C'est à cette époque, dans les années 1950, qu'il recrute comme DJ Count Matchuki, qui sera rapidement assisté de King Sitt.
Au début des années 1960, il a de nombreux sound systems avec des DJ's de talents comme Lee Perry, Prince Buster et biens d’autres. Mais déjà le rythm 'n' blues est passé de mode aux Etats-Unis. Du coup l’approvisionnement des producteurs jamaïcains devient de plus en plus dur. Ainsi certains producteurs enregistrent-ils eux-mêmes leurs propres morceaux comme Duke Reid ou Prince Buster. Ces disques sont pressés uniquement à l’usage des sound systems. Le ska est en train de naître.
En 1961 Coxsone enregistre toutes les semaines et en 1963, il ouvre son propre studio au 13 Brentford Road. C’est ici qu’il va créer ses nombreux labels dont le mythique Studio One. Tous les dimanches il organise des auditions que Lee Perry dirige et que les futurs Skatalites accompagnent. De très nombreux artistes sont ainsi découverts : les Heptones, Bob Andy, Derrick Harriott, Toots & The Maytals, les Wailers, les Technics, Clancy Eccles, Joe Higgs, Alton Ellis, Delroy Wilson… La liste est longue et impressionnante. L’émulation entre les artistes chanteurs ou musiciens est de tous les instants. C’est un véritable age d’or de la musique jamaïcaine.
Même si la concurrence se fait très dure (le grand rival est Duke Reid et son Treasure Isle sur Bond Street), le 13 Brentford Road est le cœur de la musique jamaïcaine. Pendant la période rocksteady en 1966-1968, il s’inspire surtout des studios soul américains comme la Motown ou la Stax. Lorsque le reggae arrive en 1968, il est à son apogée. Les artistes légendaires qui ont enregistré au Studio One sont nombreux. On peut citer les Wailers, les Maytals, les Heptones, les Paragones, Slim Smith, mais encore Dennis Alcapone, les Ethiopians, les Gladiators, Burning Spears, les Gaylads…
Mais la violence de plus en plus présente lors des sound systems le pousse à fermer les siens cependant déjà, de nombreux artistes lui ont tourné le dos. En effet, Coxsone est un producteur dur et avare de sous et de droits. Des nombreux artistes lui abandonnent leurs droits pour pouvoir enregistrer. Prince Buster l'a quitté depuis longtemps pour Orange Street. Il est rapidement suivi par les Wailers, Lee Perry, Niney, les Heptones… C'est dans les années 1970 qu’il va perdre sa position dominante. Il demeure un découvreur de talents hors pair. C’est lui qui lance Dillinger, Lone Ranger, les Wailing Souls, Papa Michigan & General Smiley, Prince Jazboo, Sugar Minott…
De plus, il se lance frénétiquement dans la production de dubs. Son catalogue, le plus beau de l’ïle, est ainsi recyclé avec talent. C’est le travail de Studio One qui fixe les repères, les rythmes et les clichés du genre. Au milieu des années 1980, Coxsone ferme le mythique temple de la musique jamaïcaine, le sacro-saint Studio One dont le fidèle King Sitt est le gardien. Il part pour New York où il ouvre un magasin, Coxsone’s Music City d’où il continue, avec l’aide de son fils, Coxsone Junior, de recycler avec de nouveaux groupes ses vieux riddims. Quelques années avant sa mort il réouvre avec fracas son studio du 13 Brentford Road à Kingston. Avec sa bande d’amis, les mêmes qu’il y a 30 ans, il reste très attaché à la musique de sa jeunesse, le boogie-woogie dont il est un grand collectionneur. Mais le grand Sir Coxsone est rattrapé par toutes ces longues nuits de travail acharné. Le 5 mai 2004, son cœur lâche après que la mythique Brentford Road eut été rebaptisée en son honneur Studio One Street.